“Protéger, préserver et partager l’eau dans un modèle durable”. Telle est la mission des 17 collaborateurs de l’Office de l’Eau de Guadeloupe. Rencontre un jour de forte pluie avec sa présidente déléguée, Isabelle Amireille-Jomie, et son directeur, Dominique Laban.

Texte Édouard SaelenPhoto Lou Denim

Nous avons une certitude, c’est que préserver les milieux aquatiques, c’est se préserver soi-même.

Isabelle Amireille-Jomie, présidente déléguée de l’Office de l’Eau de Guadeloupe

L’eau est au cœur des problématiques de notre territoire, qu’il s’agisse de répondre aux besoins des populations, d’assurer le bon déroulement des activités économiques ou de maintenir une biodiversité riche et abondante. Mais si ce constat fait l’unanimité, force est de constater qu’assurer une gestion durable et juste des ressources nécessite l’intervention d’un certain nombre d’acteurs. Isabelle Amireille-Jomie et Dominique Laban, respectivement présidente déléguée et directeur de l’Office de l’Eau, nous éclairent sur le rôle de leur organisation.

Avant tout, pourriez-vous nous présenter l’Office de l’Eau et son fonctionnement ?

Isabelle Amireille-Jomie : L’Office de l’Eau est un établissement public local à caractère administratif rattaché au Département de la Guadeloupe. Il a été créé en 2006 avec la mission primordiale de superviser le suivi et le maintien de la qualité des milieux aquatiques. À ce jour, nous sommes 17 collaborateurs à assurer ce travail, répartis dans une équipe technique et scientifique, ainsi qu’une équipe administrative et financière.

Qu’entendez-vous par milieux aquatiques ?

I.A-J : Ces milieux sont les retenues d’eau telles que celle de Letaye, les mares, les lagunes, les rivières, les littoraux ou les nappes souterraines, autrement dit tous les habitats gorgés d’eau où vivent des populations végétales et animales. La raison d’être de l’Office est de préserver ces espaces et leur biodiversité. En retour, ils nous rendent de précieux services, comme nous nourrir, enrichir nos sols ou épanouir le vivant.

Quelles sont vos missions et dans quel cadre s’inscrivent ?

I.A-J : Nos missions sont multiples. Elles peuvent concerner l’étude et le suivi des ressources en eau des milieux aquatiques, mais aussi des activités de conseil, d’assistance technique aux maîtres d’ouvrage, de formation, d’information ou de financement. Elles sont régies par le Code de l’Environnement et encadrées par les orientations du SDAGE (Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux) en vigueur pour la période 2019-2024. Le croisement des orientations du SDAGE et des missions de l’Office nous permet d’établir un plan de nos ambitions à l’échelle du territoire.

L’Office a donc mené des inventaires d’usages (…)  puis des missions d’aménagement et de restauration sur 12 mares de l’île.

Dominique Laban, directeur de l’Office de l’Eau
Office de l'Eau
Dominique Laban, directeur de l’Office de l’Eau

En revanche, nombre d’aspects liés à l’eau n’apparaissent pas ici dans vos objectifs, comme la distribution ou la régulation des eaux du réseau. Comment sont-ils traités ?

Dominique Laban : Notre rôle est celui de la préservation des eaux de Guadeloupe, mais nous évoluons aux côtés d’autres partenaires qui diffèrent
dans leurs champs de compétences et leur autorité. La DEAL (Direction de l’environnement, de l’aména-gement et du logement) représente l’autorité environnementale, elle arbitre et régule les droits de prélèvements des eaux en milieu naturel. L’ARS (Agence régionale de santé) représente l’autorité sanitaire, elle régit les aspects de potabilité et de santé liés à l’eau des réseaux. Tandis que le SMGEAG (Syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe) et la CCMG (Communauté de communes de Marie-Galante) assurent la distribution et l’accès à ces réseaux. Nous participons à la dynamique collective en partageant nos observations sur le suivi des milieux, mais aussi en employant les redevances que nous percevons vers l’objectif de réparer les dommages causés aux milieux.

Dès lors, concrètement, pourriez-vous m’en dire plus sur certaines des initiatives de l’Office de l’Eau ?

D.L. : Il y a d’abord nos interventions fondées sur l’expertise. L’une d’entre elles est l’assistance à la réhabi-litation des mares de Marie-Galante lancée en 2022 par la CCMG. Sur un territoire très faiblement doté en ressources d’eau souterraine et dépendant de son agriculture, ces mares sont une source d’eau précieuse si ce n’est indispensable. L’Office a donc mené des inventaires d’usages, des diagnostics complets sur l’état des milieux, puis des missions d’aménagement et de restauration sur 12 mares de l’île. Un guide des bonnes pratiques et un plan de gestion à destination et usages agricoles sont en cours d’élaboration. D’ici la fin 2024, ce sont 38 mares supplémentaires qui devraient suivre la démarche.

L’apport d’expertise de l’Office se matérialise également dans son soutien aux opérations de sauvegarde des mangroves, comme dans la forêt de Jarry ou dans le marais littoral de Port Louis, le plus grand des Antilles.

Ici, nos relevés et analyses géo-hydrologiques aident le Conservatoire du Littoral ainsi que la CANGT (Communauté d’agglomération du Nord Grande-Terre) à piloter leur stratégie de conservation.

Office de l'Eau
Dispositif de stockage d’eau au CHBT

L’Office de l’Eau peut-elle aller plus loin que ce rôle d’apporteur d’expertise ?

D.L. : Oui, nous disposons depuis des années maintenant d’une capacité à financer des projets, et cela représente à peu près 45 % de notre budget annuel. Nous intervenons à la condition que ces projets représentent une avancée significative en faveur d’une gestion plus responsable et plus raisonnée des ressources en eau. Quand on sait que, sur les 110 m3 d’eau puisés chaque année en Guadeloupe, 40 % sont perdus, on se doit d’agir.

Nos financements couvrent par exemple des programmes de mise en conformité des stations d’épuration et des périmètres de captage. Ceux-ci sont portées par des bailleurs sociaux ou par les opérateurs SMGEAG et CCMG. D’autres financements sont eux plutôt dédiés à la récupération de l’eau de pluie et au stockage d’eau. Nous travaillons avec les établissements sensibles du territoire (santé, médical, scolaire) ou avec des communes qui souhaitent pouvoir faire face aux besoins en eau en cas de crises majeures. Nous travaillons également avec des opérateurs touristiques comme le Jardin botanique de Deshaies qui récupère les eaux de pluie pour alimenter ses sanitaires, ou encore avec l’importateur et concessionnaire automobile CAMA qui se sert de cette eau pour laver ses véhicules. D’autres stations de lavage pourraient suivre.

Je crois savoir que la sensibilisation est un champ d’action primordial pour l’Office de l’Eaux. Comment l’investissez-vous ?

I.A-J : Nous avons une certitude, c’est que préserver les milieux aquatiques, c’est se préserver soi-même. Dès lors, notre engagement, c’est de changer les pratiques, et ce, par tous les moyens. Nombre de nos actions de communication touchent la jeune génération, les meilleurs ambassadeurs de nos défis.

Nous organisons très régulièrement des journées de sensibilisation, en partenariat avec des associations locales, dédiées à l’eau, à la mer, aux rivières ou aux zones humides. En parallèle, nous avons aussi mis en place des visites virtuelles de nos écosystèmes insulaires. Nous avons créé des mallettes pédagogiques pensées pour les écoles, et nos équipes interviennent régulièrement dans les classes. Ce qui nous anime ici, c’est de transmettre notre passion pour la biodiversité et espérer que celle-ci motive les bonnes pratiques. Évidemment, si on peut susciter des vocations pour les métiers de la filière eau, nous en sommes très heureux également…

Aujourd’hui, quelle est la qualité des milieux aquatiques guadeloupéens ? Et quelles sont les principales problématiques selon vous ?

D.L. : Tout dépend de la nature du milieu considéré… Globalement les eaux guadeloupéennes sont encore en bon état mais on ne peut pas se vanter d’être « l’île aux belles eaux », c’est faux.

L’eau représente une ressource vitale bien qu’extrêmement fragilisée par nos activités. L’agriculture d’abord qui, par les pesticides et le lisier d’élevage, constitue une importante source de contamination. Les zones urbanisées ensuite qui, du fait de la dégradation des systèmes d’assainissement ou des déchets jetés dans les cours d’eau, accentuent les pressions sur nos réseaux. Certains industriels enfin qui, en plus de leurs usages de polluants, sont souvent situés sur des sites riches en biodiversité.

Mais ce qui nous alerte le plus, ce sont les conséquences du changement climatique qui se manifestent déjà par des sécheresses et des pluies diluviennes. Or, on le sait, la région Caraïbe est particulièrement vulnérable du fait de sa topologie complexe et de sa dépendance aux apports pluviométriques. Il est donc temps d’agir ensemble pour une gestion durable, responsable et éclairée des eaux de notre île. C’est le rôle de l’Office de l’eau, mais aussi le rôle de chacun de nous.

Une dernière question. Pourriez-vous orienter les éventuels lecteurs qui souhaiteraient en savoir plus sur la gestion de l’eau en Guadeloupe ?

D.L. : Nous publions tous les ans un rapport sur les chiffres clés de l’eau en Guadeloupe. Il est à retrouver sur notre site internet https://www.eauguadeloupe.com/ Pour toute question, nous sommes également joignables par mail à l’adresse contact@oe971.fr.

Depuis 2019, l’Office de l’Eau de Guadeloupe met en œuvre son 3ème PPI (Programme pluriannuel d’interventions).
Il définit 5 priorités d’action :
• Améliorer la gouvernance et replacer la gestion de l’eau dans l’aménagement du territoire
•​ Assurer la satisfaction quantitative des usages en préservant la ressource en eau
• Assurer la satisfaction qualitative, garantir une meilleure qualité de la ressource en eau vis-à-vis des pressions exercées par l’activité humaine
• Réduire les rejets et améliorer l’assainissement
•​ Préserver et restaurer les milieux aquatiques

Office de l’Eau Guadeloupe