Une réforme en profondeur de l’octroi de mer est prévue au plus tard en 2027. Les avis divergent. Christophe Wachter, secrétaire général des MPI nous livre ici son analyse.

Texte Sarah Balay – Photo Lou Denim

Appliqué en Outre-Mer depuis le XVIIe siècle, l’octroi de mer servait à taxer toutes les marchandises arrivant par la mer. Après une succession de réformes, il s’assimile aujourd’hui à une taxe indirecte sur la consommation qui concerne les produits importés et ceux produits localement. L’État annonce des évolutions dès 2024 et 2025, tandis que l’autorisation européenne de reconduction du dispositif arrive à échéance en 2027. Christophe Wachter, secrétaire général des moyennes et petites industries, nous livre son analyse dans un entretien.

Pour une partie de la population et des économistes, l’octroi de mer est avant tout perçu comme une taxe responsable du coût de la vie plus élevé en Guadeloupe par rapport à l’Hexagone.

Christophe Wachter : En effet, beaucoup de personnes lui imputent même la responsabilité exclusive de la cherté des biens de consommation en Guadeloupe. Or, on aurait tort d’y voir une simple taxe, car elle a un impact très positif sur l’économie de nos territoires. En effet, cette possibilité locale d’ajuster le niveau de certaines taxes et donc d’exonérer (totalement ou partiellement) les productions locales permet aux produits guadeloupéens d’être plus compétitifs par rapport aux produits importés. Elle agit donc comme un soutien de la création de valeur, localement, laquelle alimente le PIB (produit intérieur brut) de la Guadeloupe. Dans toute économie, l’alimentation d’un PIB local est quelque chose de fondamental.

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Est-ce un outil économique à part entière ?

L’octroi de mer est très clairement le premier et le seul symbole d’une certaine autonomie fiscale, en plus d’une importante ressource budgétaire pour les collectivités territoriales chargées de collecter cet octroi de mer. Il représente, en moyenne, 46 % du budget de fonctionnement des communes. En un mot, il finance aussi nos services publics de proximité.

Il est toutefois question de réformer l’octroi de mer à compter de 2027. Qu’en pensez-vous ? 

Cette réforme n’annonce pas de suppression comme on a parfois pu l’entendre. Il s’agirait d’abord d’une simplification juridique, ensuite d’une clarification du fonctionnement. Cela correspond sans doute à une nécessité, pour que l’octroi de mer soit mieux compris par les consommateurs/citoyens que nous sommes, mieux accepté par l’ensemble des milieux économiques, et mieux maîtrisé par les collectivités communales. Quel que soit le sens de la réforme, il est nécessaire de se mobiliser localement pour que cette recette annuelle qui représente 300 millions d’euros en Guadeloupe (1,7 milliard pour tout l’Outre-mer) demeure gérée par les collectivités régionales. Au cas où cette recette se trouverait « recentralisée », ce serait l’État qui reverserait l’octroi de mer sous forme de dotations aux collectivités, et cela constituerait un recul par rapport à l’évolution politique et budgétaire qu’attend notre territoire.

« Toute réforme de l’octroi de mer fait, ipso facto, courir un risque de déstabilisation de notre système économique et social. »

À l’échelle du grand public, cela pourrait-il toutefois avoir un effet sur le pouvoir d’achat ?

Il serait risqué selon moi de justifier une réforme de l’octroi de mer en s’adressant uniquement aux consommateurs, en évoquant une possibilité d’améliorer le pouvoir d’achat. Toute réforme de l’octroi de mer fait, ipso facto, courir un risque de déstabilisation de notre système économique et social, et pose aussi la question du maintien d’emploi dans les collectivités, ainsi que du financement des services publics liés. Ne nous y trompons pas, cette taxe a tout son sens, c’est la colonne vertébrale de notre système économique local.

Pourquoi la réforme de l’octroi de mer ne pourrait-elle pas faire baisser les prix ?

C’est toujours possible sur le papier, comme c’est toujours possible de le promettre. Le fonctionnement et la logique du marché auront toujours tendance à maintenir le même niveau de prix. Il y a de vraies réflexions économiques et fiscales à prendre en compte dans l’intérêt des consommateurs et du marché intérieur, et pourquoi ne pas penser un statut fiscal qui soit un reflet plus conforme à la réalité économique guadeloupéenne, ses capacités productives et sa situation de dépendance vis-à-vis de produits importés ?

L’industrie « péyi » peut-elle vraiment être une solution à la vie chère en Outre-mer ?

C’est imparable, toute progression de la part de produits locaux dans les paniers des ménages entraîne naturellement une baisse des prix et une meilleure circulation monétaire dans notre marché intérieur. Aujourd’hui, la part de l’industrie locale dans le volume global de la consommation n’est que de 10 à 12 % en moyenne. Dans le domaine de l’agroalimentaire par exemple, et pour gagner en autonomie, la restauration collective (hôpitaux, hôtels, écoles) devrait privilégier systématiquement les produits locaux.

« Il est important de redire qu’un trajet de 8 000 km relève de l’absurde pour certains produits disponibles localement. »

Devrait-on imposer en quelque sorte cette préférence pour les produits péyi ?

(sourire) Tout territoire qui a la volonté de se développer commencerait par imposer ce choix de manière franche et mesurable, en recherchant les effets positifs sur l’emploi et pour la baisse des prix. De plus, à l’heure où l’impact carbone devient un élément constitutif du prix des produits, il est important de redire qu’un trajet de 8 000 km relève de l’absurde pour certains produits disponibles localement. À tous les points de vue, économique, environnemental, sociétal… c’est une évidence individuelle et une responsabilité collective. C’est la marche du monde.

*MPI : moyennes et petites industries

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