Déplacements individuels, meetings, voyages « incentive », congrès, événementiel… le tourisme d’affaires combine les composantes classiques du tourisme : transport, hébergement, restauration. Petit territoire, Saint-Martin dispose de tous les atouts pour répondre à la demande à condition de réussir à réinventer cette forme de voyage.

Texte Ann Bouard

Quand la partie hollandaise choisit de développer le tourisme de masse notamment en accueillant les mastodontes des mers et leurs croisiéristes, la partie française, elle, joue la carte d’un tourisme familial haut de gamme et développe peu à peu des niches, comme le mariage, la gastronomie, la culture et aussi les déplacements professionnels. Le point d’entrée sur le territoire pour les voyageurs d’affaires internationaux demeure l’aéroport Princess Juliana. Un point sur lequel s’appuie l’Office de tourisme de Saint-Martin qui mise sur les liaisons quotidiennes avec le Canada, les États-Unis, l’Amérique du Sud (via le Panama ou Miami) et l’Europe (via Paris et Amsterdam) pour capter cette clientèle. Aujourd’hui, les voyageurs d’affaires sont essentiellement nord-américains. En cause, l’empreinte carbone qui freine les entreprises françaises et européennes qui, pour des raisons écologiques évidentes, privilégient la proximité et actuellement majoritairement les pays du Maghreb.

Mais l’autre porte d’entrée, l’aéroport de Grand Case, draine, lui, des voyageurs fréquents venus assurer certains services manquants sur le territoire mais aussi une large clientèle régionale qui s’étend bien au-delà de la Guadeloupe. Politiques, hommes d’affaires, stars de la musique, qui font le choix de déplacements en avions privés optent pour la partie française. Pour une entreprise, il est moins souvent coûteux de louer un avion pour transporter une dizaine d’employés que de les faire voyager sur des vols commerciaux. Une démarche que les hommes d’affaires de Porto Rico font régulièrement d’ailleurs, mais qui n’est pas encore dans les mœurs françaises. 

Mickencia Lavaud, superviseur du trafic aérien à l’aéroport de Grand Case, en charge également de l’aviation d’affaires et privée, estime qu’il y a un réel potentiel à développer, mais cela passe par l’augmentation des capacités d’accueil, aujourd’hui limitées à 12 parkings, dont 11 dédiés et 1 pour un ATR (avion de transport régional capable d’accueillir 48 à 78 personnes). Un projet de bâtiment est en cours pour développer l’offre et éviter aux charters ou jets privés d’aller se stationner ailleurs en attendant leurs passagers.

Ceux qui en font l’expérience sont cependant unanimes pour reconnaître la qualité de l’accueil, et ils apprécient cet aéroport à taille humaine, son côté très local et les services mis en place : tapis rouge au bas de la passerelle, limousine sur le tarmac, accès privilégiés, bouquet de fleurs et tout de ce qu’il est possible de demander. Petit bémol, pas de salon VIP ! 

“Dans les « diner-rounds » les participants sont répartis entre les restaurants de Grand Case ou ceux de la place du Village de la Baie Orientale”

Ida Weinum, directrice de l’Office de tourisme 

Une niche à creuser et un tourisme à réinventer

Un travail de fond est mené par l’Office de tourisme avec Atout France pour développer tous les marchés de niche dont les voyages d’affaires. Une mission qui incombe à Nathalie Pinthière, nouvellement engagée en juin dernier. Après un premier rendez-vous en octobre à Las Vegas au salon du voyage, elle se rendra au salon des entreprises en Guadeloupe et en Martinique afin de proposer le produit Saint-Martin aux comités d’entreprises. 

L’Office de tourisme entend bien aller crescendo et multiplier les actions de promotion à destination de cette clientèle. Cinq groupes spécialisés en la matière vont ainsi être invités afin qu’ils puissent juger des atouts de la destination et mieux appréhender les spécificités du territoire pour en parler en connaissance de cause. Ida Weinum, directrice de l’Office de tourisme, en est convaincue, « Saint-Martin peut trouver sa place dans l’offre des destinations d’incentive ou de cohésion d’équipe ». Un tourisme d’affaires certes différent mais qui peut profiter d’activités que l’on peine à trouver réunies sur d’autres destinations. Quant au nombre de personnes accueillies simultanément, des solutions existent, comme les « diner-rounds », où les participants sont répartis entre les restaurants de Grand Case ou ceux de la place du Village de la Baie Orientale. Des initiatives particulièrement appréciées auxquelles s’ajoutent les sorties bateau, les visites d’Anguilla ou St Barth, une journée à la Loterie Farm, etc. Ce ne sont pas les activités qui manquent pour animer les séjours des voyageurs en marge de leur séminaire.

“Saint-Martin peut trouver sa place dans l’offre des destinations d’incentive ou de cohésion d’équipe”

Les hôtels se structurent

Un frein au développement du tourisme persiste en terme de capacité hôtelière. La partie française n’a toujours pas retrouvé les 1 250 chambres d’avant Irma. Les hôtels haut de gamme sont peu nombreux si ce n’est la Samanna, seul 5 étoiles, ou l’Esmeralda, La Plantation, le Grand Case Beach Club, l’Hommage Hôtel et la Playa qui affichent 4 étoiles ou encore le Centr’Hôtel doté de deux étoiles. Ce dernier, du fait de sa localisation au centre de Marigot, est parmi les plus plébiscités par les voyageurs d’affaires individuels. Tout comme le Grand Case Beach Club choisi pour sa proximité avec l’aéroport.

Tous ces hôtels restent à taille humaine, ce qui leur confère certes un charme, mais de ce fait pêchent par les équipements requis pour les séminaires ou autres congrès. Peu à peu cependant, une réflexion est menée en ce sens, et ceux en reconstruction ou nouvellement réouverts s’équipent de salles de réception. C’est le cas du Beach Plaza, qui lors de sa réouverture disposera d’un vrai centre de conventions au 4e étage ; le plateau accueillera une salle de conférence d’une capacité de 200 personnes et un restaurant, et pourra être entièrement privatisé. Un effort important consenti pour développer la clientèle d’affaires au sens large, qui représente une manne non négligeable en basse saison, reconnaît Patrice Seguin, Président du Club du tourisme de Saint-Martin.

Côté salles de réception, cela évolue aussi. Si le haut de gamme passe toujours par la Samanna, avec son pavillon dédié aux événements et ses villas, d’autres sont également en mesure d’accueillir des réunions de travail : le Secret avec une capacité de 300 personnes, le Grand Case Beach Club avec une salle équipée et un parking privé, l’Hommage Hôtel avec sa petite salle de réunion, ou même la Guest House Fantastic. 

D’autres lieux, comme le 978 Sanctorum, ou l’Anse Marcel Beach avec une toute nouvelle salle, petite mais pouvant accueillir de petits groupes de travail, ou encore les restaurants qui s’équipent de salles climatisées, jouent le jeu de la privatisation pour les entreprises. L’offre est de plus en plus étoffée pour un tourisme d’affaires à taille humaine, à l’image de Saint-Martin, intimiste et différent.

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Ali Laggoune, Président de Lagoon Group 
Nostalgie d’un temps passé    

Ali Laggoune est l’un des acteurs incontournables du voyage d’entreprises. En 35 ans d’activités, il a vu le secteur évoluer et dresse un bilan amer.
Dans les année 1990, Saint-Martin accueillait les gros laboratoires pharmaceutiques, les congrès de médecins, les conventions automobiles. Saint-Martin était alors une destination privilégiée pour le tourisme d’affaires haut de gamme, mais détrôné depuis par Anguilla avec ses hôtels de luxe. La clientèle française qui représentait 50 % des voyageurs d’affaires dans ces années-là à peu à peu disparu des radars. Il n’y a plus le nombre de chambres nécessaires pour accueillir ce type d’événements et plus d’enseignes hôtelières prestigieuses qui servent de locomotives. Il faut aujourd’hui exister au plan mondial face à des centaines de destinations concurrentes. Surtout, en regardant Anguilla, il faut acter le fait qu’une île de 16 000 habitants fait mieux que les deux parties de Saint-Martin réunies en termes de tourisme haut de gamme ! Les voyages de motivation ou de récompense sont censés être des voyages de rêve, dans des conditions exceptionnelles. Or, nous n’avons pas su préserver notre principal atout, le côté petit village St Tropez des Caraïbes… La destination reste malgré tout prisée par les gros budgets grâce au parc de villas, qui est presque supérieur désormais au parc hôtelier, dont celles des Terre Basses. On ne peut pas revenir en arrière, il va falloir se réinventer.

Un code du tourisme plus proche des normes américaines que françaises  
 
La Collectivité de Saint-Martin dispose de son propre référentiel de classement des hébergements. La grille est révisée tous les cinq ans mais en raison d’Irma et de la crise sanitaire qui suivit, cela n’avait pu être fait depuis 2011, date à laquelle il avait été mis en application pour les hôtels. Depuis 2014 ce sont les guest houses qui ont intégré cette classification.
Ce code, basé sur le cahier des charges national, a été adapté afin de tenir compte de critères spécifiques au territoire ou différents de l’Hexagone (climatisation/chauffage, taille des chambres, etc.). Une classification qui se veut plus rigoureuse avec plus de critères qu’en Hexagone. Une rigueur qui se justifie par l’exigence de la clientèle américaine notamment. En mai dernier, la classification a été revue afin de prendre en considération l’ajout de services, les nouveaux critères relatifs au développement durable et les évolutions technologiques et numériques désormais indispensables et essentielles pour les voyageurs d’affaires.
À ce jour, sur la partie française de l’île, 19 hébergements sont classés : 7 hôtels de tourisme, 3 résidences de tourisme et 9 Guest houses, ce qui représente une capacité de 713 chambres, auxquelles il convient cependant d’ajouter les meublés de tourisme déclarés (Airbnb) soit 451 lits.
Ne sont pas comptabilisés les non classés (7 hôtels dont Le Secrets à Anse Marcel qui comptabilise à lui seul 200 chambres, 3 résidences, 11 Guest houses), soit 448 chambres. Pour inciter ces derniers à entrer dans le dispositif du classement, la Collectivité de Saint-Martin a adopté plusieurs mesures dont des aides financières avec des conditions assouplies.