Adeline Rapon, identités plurielles

Adeline, artiste photographe, a déjà vécu plusieurs vies. Blogueuse, joaillière, aujourd’hui photographe, elle a renoué avec ses racines en s’installant en Martinique en février 2024.

Adeline Rapon © Jean-Albert Coopmann
Marie Ozier-Lafontaine

Métisse

Adeline naît en 1990, d’un père martiniquais et d’une mère corrézienne. Elle passe son enfance à Paris, dans un environnement multiculturel. « À la maison, on écoutait Kassav, Bisso Na Bisso, Khadja Nin, du R&B… » À l’école, dans le 13ᵉ arrondissement, ses camarades sont d’origine chinoise, africaine, antillaise, française… « Petite, je ne me suis pas vécue comme différente, le dialogue était facile avec les autres enfants. » C’est au lycée, dans un établissement bourgeois du 5ᵉ arrondissement, qu’Adeline se sent à part, entourée d’élèves « presque tous blancs, de droite. Certains avaient même une trousse à l’effigie de Nicolas Sarkozy ! ». À 18 ans, elle trouve son aïeule sur le site Anchoukaj. « C’était la première femme à porter le nom Rapon, peu après l’abolition de l’esclavage. J’ai pleuré, mon histoire est devenue concrète. »

Singulière

Au collège, Adeline est introvertie, ne parle presque pas. L’adolescente se réfugie dans le dessin et se construit un personnage atypique. « J’aimais la mode, je m’habillais avec des tenues en total décalage avec le style des jeunes de mon âge. » Elle crée son propre style, coud ses vêtements, s’inspire des grands défilés de mode. Dès cette époque, Adeline fait tout intensément, de manière presque obsessionnelle : « quand je m’intéresse à quelque chose, je m’investis corps et âme. »

« En Martinique, j’ai trouvé des amis, l’amour, des projets, une partie manquante de ma culture. »

Adeline Rapon

Blogueuse et joaillière

À l’adolescence, Adeline écrit un blog personnel, qui se transforme en quelques années en blog de mode. « Avec un appareil photo offert pour mes 18 ans, j’ai commencé à poster sur mon blog des looks que je créais, mais aussi des textes, des dessins… » En deux ans, le site remporte un vrai succès, avec plus de 10 000 vues par jour. Elle devient alors créatrice de contenu pour de grandes marques comme Yves Saint Laurent, Diesel, Paco Rabanne… En parallèle, elle passe son CAP bijouterie-joaillerie, « parce que j’ai toujours aimé fabriquer des choses. » Puis elle apprend le métier de joaillière, exigeant, minutieux, éprouvant à cause du bruit des machines, de la pression et des produits toxiques. Elle adore sa double vie de blogueuse-joaillière, mais le rythme l’épuise. S’ajoute à cela un environnement sexiste et raciste. Résultat : trois burn-out.

Photographe

Pendant le Covid, Adeline se concentre sur la photo. Elle réalise des autoportraits inspirés de vieilles photos des Antilles, qui deviendront la série Fanm Fò. Succès immédiat : Vogue et Konbini l’interviewent. Elle sent qu’il se passe quelque chose. « Je comprends que je veux raconter des histoires avec mes photos, et arrêter de produire du contenu pour des marques. » Elle vient régulièrement en Martinique, réalise des portraits pour l’association Amazones, entame une collaboration avec le magazine Zist (série Vie et Mort), puis expose au Rond-Point (exposition Lien.s).

Engagée

« En Martinique, j’ai trouvé des amis, l’amour, des projets, une partie manquante de ma culture. » Après un carnaval qui fut pour elle « un choc émotionnel, un passage spirituel », elle s’installe en Martinique en février 2024. Elle s’engage alors dans des actions en faveur des LGBT. Elle co-crée Kozé avec sa compagne, un espace d’échanges militant dédié à la communauté LGBT caribéenne. Elles lancent ensemble l’événement lesbien wapab !, un moment festif offert aux femmes queer, « invisibilisées à la ville comme à la fête. J’ai la chance de pouvoir le faire, alors je le fais. » Peu après notre interview, Adeline s’est envolée pour la Guyane, une de ses nombreuses destinations de l’année 2025. Son exploration continue.

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