CTM: l’art, enjeu de territoire
Le Campus Caribéen des Arts entend jouer pleinement son rôle au niveau du territoire, de la Caraïbe et à l’échelle internationale.
Propos recueillis par Mathieu Rached
C’est l’unique pôle d’enseignement supérieur d’arts visuels francophone de la Caraïbe. Ce n’est ni un titre de gloire, ni une anecdote, mais une réalité qui place cet établissement du réseau des écoles territoriales dans une position singulière. La présidente, Manuella Clem-Bertholo, et le directeur nommé au mois de juillet 2018, Audry Liseron-Monfils, unissent leur travail et leurs réflexions pour donner une nouvelle dimension au Campus Caribéen des Arts, et incarner « une école qui vit son pays ». Échange avec une présidente d’établissement d’art passionnée et engagée.
Quelle place occupe le Campus Caribéen des Arts à l’échelle de la Martinique et plus largement de la Caraïbe ?
Manuela Clem-Bertholo : C’est un établissement qui a été créé en 1984 et c’est un lieu qui a beaucoup de richesses et de choses à montrer. Il est riche de sa situation géographique à la fois au cœur de la ville et en surplomb de Fort-de-France, de l’histoire du bâtiment en tant que tel qui était un ancien hôpital, riche également de ses professeurs de haut niveau, artistes de renommée internationale, de ses étudiants, et riche évidemment du projet initié par Aimé Césaire. Du point de vue universitaire, en tant qu’établissement territorial d’art, nous avons obtenu le maintien de notre habilitation en 2017 ce qui permet à nos étudiants de continuer à présenter des diplômes nationaux en art, le DNA (Diplôme National Supérieur d’Art) de niveau licence et le DNSE (Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique) de niveau master. Je me suis battue ardemment afin de défendre cette idée de la domiciliation de l’enseignement supérieur en Martinique. Nous avons les capacités de le faire, et je me félicite que nous ayons été entendus.
Combien d’étudiants accueillez-vous ?
Une centaine chaque année. Cent dix pour cette rentrée, parmi lesquels une dizaine de Guadeloupéens, une dizaine de Guyanais et quelques uns originaires d’autres îles de la Caraïbe.
Un nouveau directeur a été nommé en juin 2018 pour les 3 prochaines années. Pouvez-vous nous parler du projet pédagogique que vous allez porter ensemble ?
M. Audry Liseron-Monfils nous a présenté un projet d’établissement qui répondait précisément à ce que nous voulions, à la vision que nous avions pour le Campus Caribéen des Arts, c’est à dire un projet qui intègre un ancrage historique et culturel. Ce projet baptisé « territoires sensibles »
a pour ambition de pouvoir re-qualifier le Campus Caribéen des Arts, en prenant en compte le biotope de la Martinique. Mieux nous connaître et nous définir nous permettra d’être mieux outillés et de mieux dialoguer au sein du monde.
Vous souhaitez que la Martinique joue un rôle particulier à l’échelle régionale ?
Nous avons plusieurs objectifs au niveau de l’établissement, à la fois quantitatif c’est-à-dire d’accroître l’effectif des étudiants inscrits, et aussi qualitatif en continuant à délivrer un enseignement de qualité. Par ailleurs, nous pensons que nous avons un rôle à jouer au niveau du bassin caribéen, en nous positionnant comme un pôle, un foyer d’art, en constituant un point de rencontre.
Concrètement, comment atteint-on cet objectif ?
L’enjeu est de faire naître des forces artistiques au niveau du territoire pour qu’elles puissent essaimer et rayonner au niveau international. Tout commence par la garantie de la liberté artistique, c’est-à-dire de veiller à ne pas nous mettre dans un carcan de création et d’enseignement, mais de pouvoir aller au-delà de ce que l’on sait faire, de ce que l’on peut attendre de nous. Nous sommes un grand pays sur un petit territoire. C’est cette réalité que nous cultivons et insufflons à nos étudiants.
Justement, quel type de formation reçoivent-ils ?
Comme pour toutes les écoles d’art, elle est double. Nous avons pour mission de former les étudiants aux techniques artistiques mais aussi aux différents métiers du monde de l’art, et en même temps nous avons pour mission de définir les artistes de demain, de susciter la force artistique que chaque étudiant porte en lui.
Vous vous appuyez sur des enseignements plus spécifiques que d’autres ?
Les étudiants présentent des bilans tous les six mois, ce sont des moments pédagogiques très intéressants. Leurs travaux sont exposés et soumis au regard d’un jury de professionnels des arts visuels, de design graphique et de design objet. Nous avons aussi pour projet la création d’une galerie d’art qui servirait d’école pédagogique. Tout en renforçant le lien avec la population, cette galerie élargirait le parcours pédagogique en apprenant aux étudiants un certain nombre d’autres métiers du monde de l’art et de sa diffusion : scénographie, design de l’espace, commissaire d’exposition… Plus largement, nous travaillons actuellement avec le directeur sur la possibilité d’enrichir l’agenda de l’établissement afin de bien nous ancrer dans notre réalité et notre biotope.
On n’enseigne pas l’art de la même manière dans une école territoriale de Bretagne, une école nationale à Paris, ou à Fort-de-France au Campus Caribéen des Arts ?
La feuille de route est similaire mais les moyens, les méthodes et les problématiques diffèrent assurément. Le réflexe de l’in-situ et la valorisation de démarches contextuelles favorisent des postures ouvertes au monde. Ces positionnements placent l’artiste sur un plan d’égalité lui donnant les pleins moyens de qualifier la nature du dialogue avec l’autre. Nous travaillons à faire émerger, à enrichir une dynamique et une création artistique pleinement ancrées dans l’histoire, la place et la culture de la Martinique. Faire valoir son droit à l’expression de sa sensibilité permet de déceler les ressources d’un lieu et de faire exister un art qui sera reconnu comme art. Jugé, apprécié et coté en Martinique, dans la Caraïbe et dans le monde.
Lumières sur la Martinique
La culture ? Un outil de reconnaissance et un levier économique.
Propos recueillis par Mathieu Rached
Le 30 octobre dernier, lors de la plénière, l’action culturelle du territoire s’est vue créditée de nouvelles perspectives, aussi bien sur le plan artistique, que sur la formation et sur le plan économique.
L’encouragement à la production audiovisuelle en Martinique d’abord, pour doper un secteur culturel et renforcer l’expérience de techniciens martiniquais. La création ensuite d’une école d’art territoriale, capable de fédérer les écoles existantes et d’enclencher un cercle vertueux, d’excellence et de reconnaissance. Deux projets phares sur lesquels revient Marie-Hélène Léotin, Con-seillère Exécutive en charge de la culture.
Que représente la création de l’EMEA, l’École Martiniquaise d’Enseignement des Arts ?
Marie-Hélène Léotin : À travers l’enseignement artistique, nous pensons qu’une véritable avancée est possible dans les processus d’éducation. L’art et la culture sont des moyens à mettre en œuvre pour faire face aux problématiques de nos sociétés modernes, pour permettre à nos sociétés d’avancer dans le sens du progrès humain, d’une élévation vers le bien, vers le juste, vers le vrai, vers le beau. L’art et la culture sont des outils, parmi d’autres, pour tendre vers cet idéal. Ce sont des facteurs de prévention face aux effets négatifs de nos sociétés actuelles.
Quelle sera la mission de cette école ?
Sa tâche sera de contribuer au développement humain par un enseignement artistique de qualité et une transmission scientifique de la culture martiniquaise. L’EMEA assurera une formation pour la VAE (Validation des Acquis de l’Expérience).
Selon quel calendrier, l’EMEA verra le jour ?
Nous en sommes au stade de la signature des conventions : écoles, mairies (délibérations des conseils municipaux) et enfin Président du Conseil Exécutif de la CTM. Le financement est inscrit au budget 2019, avec une participation de la CTM à hauteur de 300 000 €. La phase 1 est une école décentralisée avec les 3 structures retenues mises en réseau (Association Musiques Plurielles du Robert, Lakou sanblé Matnik de Schoelcher, L’Ecole de Musique et d’Art plastique de Rivière-Pilote), qui concerne les cycles de 6 à 18 ans. La phase 2, à moyen terme, est une école consacrée à l’enseignement supérieur avec délivrance de diplômes reconnus par le ministère, type DE (Diplôme d’Etat).
Les engagements en faveur de la production audiovisuelle vont-ils dynamiser un secteur et des métiers spécialisés, techniques et artistiques ?
En terme d’emplois, le tournage de la série policière grand public commandée par France 2, baptisée provisoirement «Tropiques crimi-nels», sollicitera et stimulera les métiers de régie, construction de décors, habilleurs, comédiens, peintres, électriciens, repéreurs… Autant de postes qui se verront consolidés au fil des saisons de production.
Quant au projet du long métrage « Fanon» du réalisateur Jean‐Claude Barny (réalisateur de « Negmawon »
en 2005 et de la série historique « Tropiques Amers » en 2007, ndlr), il devrait solliciter des techniciens martiniquais de manière significative pour le tournage à l’étranger, participant ainsi à leur formation et au renforcement de leur expérience.
Avec ces deux projets, se joue aussi le rayonnement de la Martinique ?
Absolument. Le long métrage Fanon participera à son échelle à la valorisation du patrimoine historique martiniquais et à la prise de conscience des générations futures. La série, de son côté, offrira un autre type de visibilité et de retombées du fait de la mise en avant des aspects les plus attractifs de l’île, ainsi que de la vente du programme à des chaînes étrangères.
Et celui des retombées éco-nomiques…
En effet, et à ce titre, la série de fiction est le genre audiovisuel qui génère les retombées les plus importantes et structurantes notamment du fait de la récurrence des saisons. D’après une étude du CNC de 2016, 1 € d’une collectivité territoriale génère 8 € dans l’économie du pays (rémunération, technique, tournage).
Quant à l’aide à la production de « Fanon », capitale pour la recherche de financements, elle démontre notre capacité à produire des films de portée internationale.
Financements de la CTM
Projet FANON : Deux cent mille euros (200 000 €)
Projet Série policière : Six cent mille euros (600 000 €)