Du tambour aux ramboutans : immersion au petit Cayenne

Il est 6h du matin, Cayenne dort encore. Pourtant, le marché s’agite déjà. Entre fruits rares, liqueurs maison, artisanat métissé et scènes de vie inoubliables, le petit Cayenne déborde d’énergie et de chaleur humaine. Chronique d’une matinée pleine de couleurs, de rires… et de ramboutans.

© Christophe Fidole
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Du tambour aux ramboutans : immersion au petit Cayenne

Il est 6h du matin, Cayenne dort encore. Pourtant, le marché s’agite déjà. Entre fruits rares, liqueurs maison, artisanat métissé et scènes de vie inoubliables, le petit Cayenne déborde d’énergie et de chaleur humaine. Chronique d’une matinée pleine de couleurs, de rires… et de ramboutans.

Laurie-Anne Antoine

5h57.

Il faut que j’aille au marché. Cette phrase, je me la répète en boucle depuis trois semaines. Et comme vous devez vous en douter, je l’ai répétée sans jamais bouger le petit doigt. Mais voilà qu’un miracle, que l’on appellera EWAG, m’a poussée hors du lit un samedi matin, un cabas dans une main et quelques billets dans l’autre.

Lorsque je sors de ma voiture, il fait nuit noire. La ville tout entière dort, mais le petit Cayenne lui, est bien éveillé. À peine arrivée, je me fais happer par l’odeur des épices, la couleur du comou, les cris des commerçants, les éclats de voix tantôt en créole, suivis par du portugais et parfois même de l’anglais.

Et en fond, une playlist improbable : un morceau de kompa qui émane d’un trottoir et de l’autre, un air brésilien qui me rappelle drôlement les dimanches matins dédiés au ménage.

marché le petit cayenne production locale Christophe Fidole
© Christophe Fidole

6h43.

Le soleil commence à pointer timidement le bout de son nez. Mais visiblement pas assez, pour cette mamie qui inspecte les pommes rosa étalées à la lampe torche.

Juste en face d’elle se tient Olivia, la reine de ce stand. Entre deux pesées, elle m’explique que ses fruits ont été déchargés à 2h30, mis en place à 4h30, et qu’à 6h30, 300 kilos avaient déjà trouvé preneur. Après tout, comment leur en vouloir ? C’est la seule à en proposer autant et ils ont ce goût bien à nous, celui de la terre de Cacao.

Juste à côté de ces beaux fruits, je crois voir des melons… Ou des pastèques ? Raté. Ce sont des tonkas, aussi appelés concombres chinois. “Un goût plus corsé, mais une texture parfaite pour la soupe”, assure le grand-père d’Olivia, très sérieux. J’acquiesce, évidemment. Qui suis-je pour contester la parole d’un aîné ?

En quittant Olivia, je croise une jeune femme, à vue d’œil dans ma tranche d’âge. Détail anodin ? Pas tant que ça. Elle sort visiblement de soirée. Robe noire, talons hauts, maquillage encore intact. Après avoir dansé toute la nuit, elle a décidé que les ramboutans n’attendraient pas.

Et pendant que je l’observe (carrément fascinée), j’entends un grand “Voisine !” lancé derrière moi. Deux femmes s’enlacent, heureuses de tomber l’une sur l’autre. J’ai à peine le temps d’entendre un “Si ou te di m ou t ap vini, nou t ap vin ansanm” avant de filer au marché couvert.

marché le petit cayenne production locale Christophe Fidole
© Christophe Fidole

7h12.

J’entre et je suis accueillie par… Une rave matinale ? C’est légal de mettre une musique aussi forte de si bonne heure ? Le coupable n’est personne d’autre que le premier boucher d’une longue file. Son enceinte posée en hauteur, il se contente de couper sa viande dans le plus grand des calmes.

Mais les clients, eux, ne s’en plaignent pas. Certains hochent même de la tête en rythme, entre deux tranches de bœuf et de boudin. Et ce, tout du long des 7 stands de boucherie alignés dans l’allée.

De l’autre côté du hall, le calme est maître. Les artisanes s’installent activement et l’odeur de l’encens, du parfum ou encore des tissus neufs commence à prendre le dessus sur celle de la viande fraîche.

Dans un coin, une grand-mère accroche ses derniers paréos en hauteur, s’assure que ses poupées créoles soient impeccables pendant que son petit-fils dispose avec sérieux des bijoux hmongs sur un bout de polystyrène. Il aurait sûrement préféré être devant un épisode des Minijusticiers à cette heure.

À deux pas de là, Steve tient le stand M. Chapeau. Il me présente ses 27 liqueurs (oui, j’ai compté). Gingembre, maracudja, pitaya, piment, cacahuète (est-ce que j’ai craqué pour celui-ci ? Peut-être)…  Depuis 1978, sa mère régale les visiteurs du marché mais depuis 3 ans, c’est Steve qui assure sa relève.

Sur sa table, on trouve aussi de l’huile de ricin venue de Macouria, de l’huile maskriti (ou de carapate) fraîchement arrivée d’Haïti, de la cannelle, du poivre et le petit dernier, de la sauce saté.

Sa voisine de stand, elle, refait une petite beauté à son commerce. Pendant que d’autres s’attellent à finir les derniers préparatifs, elle s’assure surtout que son espace sente bon. Un seau à la main, elle asperge le sol d’eau et aussitôt une odeur de fleurs flotte dans l’air.

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9h.

La ville se réveille doucement. Le Fa Fa Fa, les restaurants asiatiques, le Huit à Huit, les bazars… Tous sont ouverts depuis un petit moment déjà mais ils savent également qu’avant midi, personne ne peut rivaliser avec le marché.

Sous le hall, la zone restauration déborde déjà. Circuler parmi eux devient un véritable sport et la sueur ne cesse de me coller à la peau.

Mais à cet instant, ma plus grande bataille est celle que je mène contre mon ventre. Entre jus de prune de cythère, de maracudja, les banh bao, les coxinhas, le rôti, les nems, la soupe chinoise (si vous avez pensé à celle de François, c’est que vous avez tout compris)…

J’aurais pu être de ceux qui se posent à l’un de ces petits restos pour déguster leur petit-déjeuner revisité, mais mon sandwich poulet chou du samedi n’attend plus que moi. Désolée, pas désolée.

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10h22.

“Christian, lâche ça. C’est pas pour toi !” lance un commerçant hmong sur le ton de la rigolade. Le présumé Christian, pris la main dans les ramboutans du stand voisin, affiche une mine coupable. Le marché est maintenant plein à craquer.

Des familles, des jeunes, des anciens, des locaux, des touristes, des créoles, des amérindiens, des bushinengués, des brésiliens, des asiatiques… Une foule à l’image de la Guyane.

Il y a ceux en jogging, ceux qui affichent clairement un réveil difficile et ceux qui ont mis leurs plus beaux habits. L’ambiance est dense, joyeuse, bruyante.

Le sol quant à lui, est jonché de déchets : peaux de ramboutans, bouts de cartons, restes de dégustation… Parce que oui, il faut bien goûter avant d’acheter. C’est la règle.

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© Christophe Fidole

Dans le marché couvert, la musique électronique qui battait son plein plus tôt a laissé place aux discussions, aux rires, aux bruits de pas.

Loin de ce tumulte, cachée au fond d’une allée, on a Élizabeth. Depuis 10 ans maintenant et chaque jour de marché,  elle vend des sacs, des pochettes, des bavoirs… Tous fait de ses mains. Puisque lorsque la journée s’achève, elle reprend la route de son travail principal dans une boutique de souvenirs.

Sa voisine, bien plus discrète, vend des couverts taillés dans du bois de Guyane. Chacun d’entre eux est orné de gravures faites au couteau et ils brillent tant que… Attendez une minute. D’où ça sort ça ?  La sortie du marché couvert franchie, je me retrouve face à un moment magique : des tambours en pleine rue, une chorale miniature aux voix fortes et des danseuses de kaseko qui se baladent fièrement entre les commerçants.

Je souris, comme beaucoup d’autres curieux autour de moi. Et à cet instant, tout ce qui me vient à l’esprit c’est : mais qu’est-ce qu’elle est belle ma Guyane !

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12h51.

Le petit Cayenne s’éteint doucement et ça commence à se sentir. Les gens n’ont plus assez de bras pour porter toutes leurs trouvailles et les thés glacés se baladent maintenant par dizaine…

Serait-ce enfin le moment d’aller manger un bout ? Ou de tout simplement rentrer à la maison ?  Fabienne, aujourd’hui, a décidé de sortir du lot en optant plutôt pour un jus mélangé. Accompagnée de quelques proches, elle a bien voulu faire le trajet de Rémire et braver le stationnement, rien que pour montrer à ses invités à quoi ressemble un vrai marché guyanais.

Mais entre nous, ce qu’elle préfère, ce sont ceux qui sont plus calmes, plus libres d’accès, même si ça signifie qu’il y ait moins de choix.

Et puis il y a les organisés : Shana, Carl, Véronica, Grégory… Une liste en poche, il n’est pas question de les laisser partir sans que chaque ligne ne soit cochée. Bien que rarement de passage, ils soutiennent à leur façon la production locale, combien même les prix font tiquer. Mais une chose est sûre, personne ne repart les mains vides et généralement, le ventre encore moins.

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14h40.

On croirait presque voir une scène de crime, ou du moins celle des ramboutans. Les derniers stands se retirent lentement et la place du marché semble soudainement déserte, comme si tout ce qui venait de s’y passer n’avait jamais existé.

La seule trace de son passage ? Les peaux de ramboutans qui jonchent le sol, par centaines. Dans quelques minutes, les agents d’entretien débarqueront, balayant tout sur leur passage avec un jet d’eau à la forte odeur de javel.

Mais ce n’est que partie remise : le même spectacle recommencera, inévitablement, le mercredi suivant, puis le vendredi qui suit, et encore le samedi d’après.