Philosophe et réparateur de moto, what else ?

Dans son essai, Éloge du carburateur, paru il y a 15 ans déjà, Matthew B. Crawford s’attache à mettre en valeur toute la richesse cognitive du travail manuel et le réhabiliter en tant qu’option professionnelle parfaitement légitime.

Matthew B. Crawford © Robert Adamo
Matthew B. Crawford se tient debout appuyer contre une moto, une clé à molette dans la main Matthew B. Crawford © Robert Adamo

Philosophe et réparateur de moto, what else ?

Dans son essai, Éloge du carburateur, paru il y a 15 ans déjà, Matthew B. Crawford s’attache à mettre en valeur toute la richesse cognitive du travail manuel et le réhabiliter en tant qu’option professionnelle parfaitement légitime.

Un ouvrage qui trouve aussi un écho avec Ce que sait la main de Richard Sennett, paru deux ans auparavant, qui réhabilite l’artisan comme un concepteur et pas uniquement un exécutant. Si des frontières entre la tête et la main ont été érigées au XXe siècle où un grand nombre de métiers ont vu leurs tâches s’atomiser, Matthew B. Crawford estime que « les cols blancs sont eux aussi victimes de la routinisation et de la dégradation du contenu de leurs tâches, et ce en fonction d’une logique similaire à celle qui a commencé à affecter le travail manuel il y a un siècle ».

Faire, c’est penser

Une démonstration à partir de sa propre expérience de reconversion, celle d’un brillant universitaire qui quitte au bout de quelques mois son emploi bien rémunéré dans un think tank à Washington pour devenir mécanicien moto : « je ne voyais pas très bien pourquoi j’étais payé : quels biens tangibles, quels services utiles mon travail fournissait-il à qui que ce soit ? Ce sentiment d’inutilité était passablement déprimant ». De son expérience de mécanicien moto, il tire au contraire une satisfaction intellectuelle bien supérieure, une humilité créatrice et stimulante tant face à la résistance des matériaux que par la connexion au corps, source fondamentale de limite. À cela s’ajoutent la communauté d’usagers, les clients, les pairs, une autonomie.

Voir la valeur de ses actes

Des métiers spécialisés comme les électriciens, plombiers, mécaniciens ne sont pas menacés par la technologie. Ils résistent à la délocalisation, à la sous-traitance : on ne peut pas réparer des toilettes qui fuient sur internet, et on ne peut pas le faire en Inde ou en Chine. Soit. Au-delà de l’argument implacable, Matthew B. Crawford défend la liberté qu’offre le fait de posséder un métier où l’estime de soi est corrélée à la certitude d’un accomplissement concret : « il lui suffit en effet de montrer la réalité du doigt : le bâtiment tient debout, le moteur fonctionne, l’ampoule illumine la pièce ».

Construire son indépendance

Son raisonnement concerne aussi l’importance de développer une connaissance pratique des objets matériels qui nous entourent, un esprit de résistance pour comprendre les entrailles des machines en réponse à l’hyperconsommation et au tout jetable. Une écologie de l’attention qu’il développera dans ses ouvrages suivants où les vertus du temps long de l’apprentissage s’opposent à l’ère de la distraction permanente. Relire Éloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur du travail aujourd’hui permet de regarder sous un jour nouveau les nouvelles frontières récemment apparues, celles des métiers dits utiles pendant le covid ou celles que trace aujourd’hui l’intelligence artificielle. Une porte d’entrée éclairante et originale sur la place et le sens des métiers de la main et de l’humain.

« Tout se passe comme si, dans l’iconographie de notre culture, ce qui prévalait était l’image du bras musclé et des manches retroussées sur des biceps généreux, mais jamais celle de la lueur d’intelligence qui brille dans un regard, jamais celle du lien entre la main et le cerveau. »

Construire son indépendance

Son raisonnement concerne aussi l’importance de développer une connaissance pratique des objets matériels qui nous entourent, un esprit de résistance pour comprendre les entrailles des machines en réponse à l’hyperconsommation et au tout jetable. Une écologie de l’attention qu’il développera dans ses ouvrages suivants où les vertus du temps long de l’apprentissage s’opposent à l’ère de la distraction permanente. Relire Éloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur du travail aujourd’hui permet de regarder sous un jour nouveau les nouvelles frontières récemment apparues, celles des métiers dits utiles pendant le covid ou celles que trace aujourd’hui l’intelligence artificielle. Une porte d’entrée éclairante et originale sur la place et le sens des métiers de la main et de l’humain.

« Tout se passe comme si, dans l’iconographie de notre culture, ce qui prévalait était l’image du bras musclé et des manches retroussées sur des biceps généreux, mais jamais celle de la lueur d’intelligence qui brille dans un regard, jamais celle du lien entre la main et le cerveau. »

Matthew B.Crawford
Éloge du carburateur
Essai sur le sens et la valeur du travail
Éditions la Découverte, 2010
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Saint-Upéry