Produire autrement, consommer mieux : au cœur d’un marché engagé
À Ducos, un nouveau marché émerge. Ici, agriculture responsable, cosmétiques naturels et créations artisanales dessinent une autre manière de vivre et de consommer. Plongée dans un écosystème où chaque stand raconte un engagement.
Produire autrement, consommer mieux : au cœur d’un marché engagé
À Ducos, un nouveau marché émerge. Ici, agriculture responsable, cosmétiques naturels et créations artisanales dessinent une autre manière de vivre et de consommer. Plongée dans un écosystème où chaque stand raconte un engagement.
6h50.
10 minutes avant l’ouverture officielle du marché, les clients (surtout des clientes) sont déjà là, munis de leur caddie de courses et de leurs cabas. Les premiers visiteurs ne viennent pas flâner, ils viennent acheter. Les étals ne sont pas encore totalement achalandés mais déjà on regarde la marchandise. Les fruits et légumes se vendent rapidement le matin, et beaucoup ont leurs habitudes.
J’interpelle une cliente qui a complété son panier déjà bien garni d’abricots péyi, elle remercie chaleureusement la commerçante, Delphine, en l’appelant par son prénom : « Je viens sur le stand du Potager des mornes depuis la ferme Perrine, on sait ce qu’on mange, on sait d’où ça vient. Je prends tous mes fruits ici car j’en consomme tous les jours et j’irai acheter mon chou là-bas », m’indique-t-elle du doigt.
Du coup, je profite d’un bref moment de calme sur le stand pour discuter avec Delphine Seguy qui m’explique qu’à cette heure beaucoup de clients sont des habitués : « Connaître ses clients, les conseiller et avoir leurs retours, c’est précieux ». Delphine est membre du collectif Re-Bèl Bio, groupement d’agriculteurs certifiés bio de la Martinique, et à mon arrivée sur le marché ce matin-là, c’est Lady Ramy Allèbe, présidente du collectif, qui m’a accueillie et présentée « les rebelles », comme elle les appelle affectueusement.
« L’association avec Manrina sur ce marché est formidable. Nous avons la même exigence de qualité et les mêmes valeurs fondées sur la bienveillance. Au-delà de vendre, c’est une nouvelle manière de vivre qu’on insuffle ici et les gens cherchent ça ! Mannyè mangé, sé mannyè viv. Beaucoup de clients nous ont suivi quand on a quitté la ferme Perrine, ils ont conservé leurs habitudes et veulent savoir où est le bio et où sont les rebelles, c’est pour ça que nous sommes tous au même endroit, dans l’allée centrale du marché. Et nous avons réussi à attirer une clientèle différente en déménageant le marché, beaucoup plus dynamique. Le travail de communication de l’équipe Manrina a été formidable.
« Mannyè mangé, sé mannyè viv. »
8h30.
Charles Désirliste, surnommé Charlot, le doyen des Rebelles (depuis 2014 !), confirme ; d’ailleurs il est très satisfait du changement de lieu, plus accessible selon lui. Je découvre sur son stand des fruits que je n’avais jamais vus : massissi et autres mangots sabot (ou mangots canard), que je lui montre tandis qu’il coupe des cocos avec une dextérité déconcertante. Et ce ne sont pas les seules découvertes de la journée…
Sur le stand de Flanm Caribbean, Muriel Sipran me présente ses bougies comestibles fabriquées à Saint-Joseph. La mèche allumée fait fondre la préparation qui devient une sauce prête à consommer : cacao-extrait de café, curcuma-gingembre-bois d’Inde, piment fort-quatre épices.
Plus loin, l’atelier La Feuille Bleue, Ghislaine G. expose ses créations : des foulards, paréos et petits hauts uniques. Ghislaine utilise l’exposition solaire pour imprimer des plantes (feuilles de raisinier, de cocotier, de fruit-à-pain et fougère) sur le tissu. Elle utilise également des pigments naturels issus du mahogany, du curcuma, du raisin bord de mer ou du roucou. Pour les bretelles de ses tops, Ghislaine tisse les fibres de la plante appelée communément langue de belle-mère. La souplesse et la douceur de la matière sont surprenantes.
Je m’arrête un instant sur le stand de la pétillante Lawrane John Chelza, créatrice de produits cosmétiques naturels H2 l’O. Elle est intarissable quand elle présente ses produits et prodigue astuces et conseils avec passion. Lawrane parle énergies et vibrations : « Si vous êtes sur la terre martiniquaise, peu importe la couleur de votre peau, vous vibrez avec le sol martiniquais. » Et ses mots résonnent parfaitement avec l’atmosphère chaleureuse du marché !
Sur le stand d’en face s’exposent des boucles d’oreilles en écailles de poisson ! Dehors, je m’arrête pour discuter avec Jean-Jacques, du Domaine des 3 Rés, qui me présente l’ensemble des produits de sa ferme, dont une boisson énergisante à base de chaya, une feuille ultra-protéinée originaire du Mexique. Jean-Jacques m’explique que 3 feuilles de chaya valent, en protéines, l’équivalent d’un steak de 70 grammes ! La boisson est rafraîchissante et subtilement acidulée.
9h27.
Je fais une halte sur le stand (bientôt vide) de Romain, Les jardins de Kali’na. Il m’explique qu’il a à cœur de proposer des légumes que l’on a peu coutume de consommer ici comme les blettes, le fenouil, le radis noir ou le panais, « je les initie à consommer autre chose ».
Au même moment, une cliente nous interrompt, elle venait pour les blettes… trop tard ! Balance, calculatrice, caisse, la monnaie s’échange, chez Jean-Michel de Bio Plans les clients se suivent, alors qu’il n’a pas encore déchargé toutes les marchandises du camion. « On a commencé en février, par les plans puis nous avons élargi en proposant les fruits et légumes que nous cultivons sur notre exploitation, au François. » Mais où sont les plans ? Jean-Michel fait une pause pour les sortir du camion, une cliente nous observe et reconnaît chaque feuille qui dépasse des petits godets : aneth, basilic poivré, basilic pourpre, basilic petites feuilles, mélisse, aneth, fraises ! oui des fraises ! Deuxième cagette : batavia, feuille de chêne, laitue beurre, chou kale, chou pommé, tomates. Sur l’année, Jean-Michel propose une trentaine de variétés de plans. Monique et Josèphe, mère et fille, font une halte sur le stand pour y acheter courgettes et christophines : « C’est le 2e samedi qu’on vient. La diversité nous plaît. Plus de produits locaux : c’est ce dont nous avons besoin. Il faut continuer », une autre cliente renchérit « surtou pou yo, lé moun nou an », en désignant l’agriculteur.
10h45.
En quittant le stand de Jean-Michel, je croise Alain (le père), de l’équipe Manrina, souriant et chaleureux : « On pense développer ! Il y a beaucoup plus de familles qui viennent ici, beaucoup de touristes aussi, ce qui nous a surpris. Les réseaux sociaux fonctionnent bien. Nous voulons montrer aux gens ce que nous faisons, et de manière saine. Mais c’est Enzo, qui est à l’initiative de ce projet qui en parlera mieux que moi ».
Annonce au micro, Enzo (le fils) arrive le pas pressé, il poursuit : « Au départ, Manrina est une plateforme numérique qui rapproche producteurs et consommateurs. C’était un beau projet, et plusieurs membres de ma famille ont adhéré aux valeurs qu’il défendait. Je suis rentré en Martinique en 2018 et les choses se sont mises en place. De la plateforme numérique au marché, il n’y a eu qu’un pas, car le marché veut faciliter l’accès à la production locale, c’est une expérience physique, tout en ambiance. On avait testé un petit marché près de l’église de Bellevue, le dimanche. Les gens venaient. L’association Re-Bèl Bio et Manrina était naturelle, on partage les mêmes valeurs, on est en symbiose ». C’est là que réside le lyannaj dont Lady Ramy Allèbe me parlait plus tôt.
Il est bientôt 11h et je m’arrête un instant à côté du stand de Malike Malsa. Le rendez-vous du samedi, c’est ici ! Les familles commencent à affluer. L’observer préparer et garnir ses kassav est captivant, bien sûr je me laisse tenter par une kassav « tt dwèt » à la morue. Après le rush de l’heure du déjeuner, je discute un instant avec le chef. « Les gens apprécient les produits de notre ferme. Notre projet tournait autour du jardin, il y a un lien fortement culturel avec le jardin traditionnel. C’est cet attachement que l’on a décliné avec la production de produits transformés dans un premier temps puis avec la restauration. L’idée étant de toucher tout le monde, on propose une formule semi-gastronomique à la ferme et un concept de restauration rapide, mais toujours dans une démarche saine et locale. C’est le concept de lokal bio food. Et tout a un sens dans ce qu’on fait ! On cherche à réduire notre impact carbone donc puisqu’on est basé a Sainte-Anne, on s’approvisionne alentours en viande et en poisson. On a abandonné les contenants en plastique pour pratiquer la consigne de verre depuis près de 10 ans, et les gens emboitent le pas. Ce qu’on fait leur parle. C’est notre façon de consommer qui va changer les choses et, nous, artisans, avons le devoir de proposer une alternative. C’est un engagement, une façon de vivre ! Il faut déconstruire pour reconstruire, c’est un travail de génération en génération. Assez de paroles, place aux actes ! »
12h39.
Les dernières ventes de la journée, mais déjà beaucoup d’exposants remballent. Ici, les derniers conseils pour une soupe onctueuse s’échangent ; là, les vertus du clitoria font l’unanimité : en graine, en fleurs, en sirop ou en mélange pour tisane.
Je passe par le stand de Lady Ramy Allèbe, qui me concocte une préparation « bèl po » à base d’huile de jojoba et d’huiles essentielles. À côté de moi, on discute beurre de cacao et hydrolat de cannelle.
13h03.
Dernier détour par le stand de Malike qui m’offre une petite galette de manioc fourrée à la confiture d’abricot péyi…
13h03 et 2 secondes. …
et tout est là : consommer local, c’est surtout un art de vivre !