Le soleil est encore bien haut quand Maré Le Masle entame son installation sur le marché nocturne du Gosier. Créatrice de bijoux faits main, elle consacre plus de deux heures à mettre en valeur ses créations uniques, réalisées à partir de résine, de coquillages et de graines récoltés en Guadeloupe. « Heureusement, je vais bien plus vite à tout remballer ! (rires) ».

Fidèle à son poste depuis 2012, Mare confie vendre davantage lors de la haute saison touristique, de novembre à avril. « Lors des périodes de grande affluence, je peux rester jusqu’à 23 heures ! », sourit-elle. « J’ai remarqué que l’artisanat attire un peu moins les locaux qui viennent surtout sur le marché pour acheter des fruits, des légumes et des plats à emporter ».

Et dans ce domaine, l’offre ne manque pas.  À quelques pas de là, les effluves d’épices et de plats mijotés attirent curieux et connaisseurs : acras et pâtés fourrés à la morue, boudins, cassaves, gratins, bokits, tourments d’amour, popotes de fruit à pain, gâteaux, sirops, punchs, glaces artisanales, etc. Les stands regorgent de spécialités locales, sucrées ou salées, à l’envi.

Arnaud Edom, responsable du marché depuis six ans, le confirme. « Depuis quelques années, les stands évoluent », explique-t-il. « Nous constatons une baisse du nombre de maraîchers, particulièrement en ce moment en raison d’une diminution globale de la production. À la place, nous comptons davantage d’agro-transformateurs qui proposent surtout des plats à emporter et des douceurs traditionnelles ».

Situé en plein centre-bourg et surplombant la mer, le marché du Gosier s’étend sur deux parkings en forme de L et peut accueillir jusqu’à 90 exposants. L’affluence atteint des sommets en haute saison touristique et lors des animations organisées par la mairie.

« Occasionnellement, nous proposons des ateliers découverte, des démonstrations culinaires, notamment pendant les périodes festives comme Pâques ou la fête des mères », poursuit Arnaud Edom. « C’est l’occasion de valoriser les produits du terroir dans une ambiance conviviale et de faire venir du monde sur l’ensemble des stands ».

Malgré le manque de places de stationnement et sa petite taille, le succès de ce marché nocturne ne faiblit pas depuis plus de vingt-cinq ans déjà. Une longévité qu’il doit à son emplacement stratégique, au carrefour d’une commune dynamique, balnéaire et festive. Le marché s’intègre naturellement dans le parcours des sorties du vendredi soir. Il attire ainsi une clientèle variée-famille, groupe d’amis, touristes de passage venus autant pour l’ambiance que pour la découverte de saveurs locales ou l’achat de produits artisanaux.

Alain Népaul et sa belle-sœur Lydie Soubdhan, agriculteurs à Saint-François, font partie des exposants de la première heure. Ils sont présents sur ce marché depuis ses débuts, entre 2002 et 2003, à l’époque où « il était moins grand et installé plus haut, près de la Poste », se souvient Alain, nostalgique.

Derrière leur stand de salades vertes et de tomates-cerises juteuses, Alain et Lydie, confient leur regret de voir baisser la clientèle au fil des ans. « Je ne pense pas que les gens achètent moins de fruits et légumes », explique-t-il. « Ce changement s’explique surtout par la multiplication des primeurs dans les communes. Ce qui n’est pas, en soi, une mauvaise chose ».

Malgré tout, ces producteurs aguerris restent fidèles au modèle du « marché local ». Chaque semaine, ils vendent leurs productions « récoltées le jour même » sur les marchés du Gosier, du Moule et de Saint-Anne. « Nous aimons le contact direct avec la clientèle », reconnaît Alain. « C’est parfois très drôle et très touchant de voir les visiteurs nous poser des questions, nous demander des conseils ou nous faire des petites confidences (rires). Les touristes achètent également de plus en plus de produits du terroir. Fini le temps où ils restaient enfermés dans leur hôtel pour manger des steak-frites. Aujourd’hui, ils logent chez l’habitant, dans des bungalows et s’intéressent à la gastronomie locale. Ils viennent, par exemple, souvent nous acheter des racines… Encore impensable il y a quelques années ! ».

Ce goût pour l’authenticité ne s’arrête évidemment pas à l’assiette. En plus de l’artisanat d’art (bijoux, chapeaux en feuille de cocotier, tableaux de sable, suspensions, vêtements, tissus madras, pièces uniques, sculptures en métal, etc.), les visiteurs découvrent aussi des savons, des huiles, des baumes, fabriqués localement, souvent selon des recettes traditionnelles.

Coco, roucou, gingembre, chanvre, citronnelle… sont travaillés avec soin pour proposer des produits aux bienfaits réels et surtout naturels, enracinés dans le savoir-faire guadeloupéen pour certains, totalement novateurs pour d’autres.

C’est le cas, par exemple, de la marque Fekbetara, fondée en 2024, et nouvelle recrue sur le marché du Gosier. Ses deux ambassadrices, Auriana Joseph-Parfaite et Mélissa Kalb, peaufinent leur stand tout en répondant aux interrogations des curieux. « La fondatrice est une ancienne esthéticienne qui a choisi de lancer une marque de cosmétiques locale et responsable, sans parfum, sans conservateur et sans perturbateur endocrinien, explique Mélissa. Les ventes se font en ligne et sur les marchés, par souci de proximité. C’est important de pouvoir répondre aux questions et parler des bienfaits de nos produits en fonction des demandes et des besoins des gens ».

Fekbetara propose des huiles naturelles pour les cheveux, le corps et la peau ainsi que des bougies artisanales, formulées à partir d’ingrédients bruts et locaux : bois d’inde contre les pellicules, neem contre le psoriasis ou l’acné, cannelle pour les jambes lourdes, camphre pour soulager les douleurs articulaires, etc.

Au fil des stands, des parfums et des voix, c’est finalement un portrait d’une Guadeloupe créative, ancrée et tournée vers l’avenir qui se dessine. Un marché comme lieu de vie, pluriel et inspirant.