Le Président du Conseil régional, Serge Letchimy, nous a reçu dans son bureau de l’Hôtel de Région. Au programme de cet entretien : de l’économie, du développement, de la coopération… et un peu de politique. Extraits choisis.

 

Dans un contexte international très difficile, l’année 2012 devrait être assez morose pour l’économie martiniquaise. Quel regard portez-vous sur la situation générale de notre économie ?

Il faut s’attendre à une raréfaction de la finance publique. Je crois aussi que le plan de rigueur impose une contrainte qui touche avant tout les petites gens, les populations les plus démunies. L’économie martiniquaise continue de souffrir du difficile accès au crédit bancaire, l’immobilier est en difficulté même si les différents plans de relance ont permis de maintenir un certain équilibre.

 

Que manque-t-il pour que notre économie décolle réellement ?

La Martinique ne peut pas vivre sur des importations massives et une consommation stricte. Elle doit amplifier ses capacités de production, développer l’import/transformation et les industries agroalimentaires. Il y aussi à faire pour structurer les filières, notamment la filière agricole. Par exemple, nous avons récemment signé une convention avec les différents opérateurs, centre commerciaux, établissements scolaires, hôtels, etc. pour qu’ils achètent des produits de l’agriculture martiniquaise. Je crois qu’il est possible d’instaurer une relation gagnant-gagnant. Et qu’importe si le prix du produit “pays” reste plus élevé que celui de l’importation. Il s’agit d’une fausse excuse dans la mesure où le produit “pays” génère de l’emploi, de la richesse en Martinique.

 

Que faut-il faire pour stimuler la création d’entreprises ?

Je crois qu’il faut avant tout une vraie politique immobilière d’entreprise, il faut multiplier les start-up et continuer l’implantation de zones franches. Au niveau de nos installations portuaires, il faut créer un hub de conteneurs qui ne soit pas lié uniquement à des activités de transbordement. Il faut aussi tisser des liens plus efficaces avec les autres pays.

 

Depuis quelques années, l’idée que le développement économique de la Martinique passe par une ouverture sur son environnement géographique a fait son chemin. Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour s’y intéresser ? Pourquoi maintenant ?

Parce ce que je suis là ! (rires) Plus sérieusement, la coopération régionale ne se fait pas en un jour, c’est le résultat d’un long travail mené par les anciens présidents de Région. Je pense aussi à Clovis Beauregard ou encore Camille Darsière qui ont été à l’origine des premières initiatives en matière de coopération caribéenne. Il est vrai aussi que pendant très longtemps, la France a traîné les pieds. Or il doit s’agir d’une détermination qui s’opère dans les deux sens. La Martinique doit pouvoir développer des échanges avec ses voisins pour la production de matériaux ou d’énergie par exemple, comme en témoigne le projet de centrale géothermique en Dominique. Nous devons aussi construire des relations commerciales avec le Brésil, un pays en plein développement. On peut très bien imaginer importer du bois brésilien pour le transformer en Martinique grâce à notre savoir-faire en ébénisterie avant de le vendre à l’étranger. Idem pour les pierres précieuses qui pourraient être importée, taillées en Martinique, “à la créole”, puis revendues au Brésil ou dans les autres pays de la Caraïbe.

 

Justement, vous étiez présent fin janvier dans l’Etat du Para au Brésil pour une visite officielle de quatre jours. Quels pourraient être les domaines de rapprochement entre la Martinique et cette région particulièrement pauvre du Brésil ?

La coopération entre la Région Martinique et l’Etat du Para pourrait s’articuler autour d’échanges entre les Universités Fédérales du Para et de l’Etat du Para (UEPA), l’Université Antilles-Guyane (UAG), le Pôle Agroalimentaire Régional Martinique (PARM) et les différents centres de recherche en termes d’ingénierie, de développement des projets de recherche, etc. D’autres pistes sont à l’étude notamment en matière de recherche pharmaceutique, de pharmacopée, de développement de l’énergie renouvelable, de biodiversité, etc.

 

Politiquement aussi, les choses sont en train de bouger puisque la Martinique a déposé une demande d’adhésion à l’OECO (Organisation des Etats de la Caraïbe Orientale)…

Pour la première fois en effet, la Martinique va pouvoir intégrer formellement une instance régionale, afin de renforcer ses liens avec les pays et territoires voisins et de participer aux stratégies de développement et de coopération dans notre environnement géographique dans divers domaines : développement économique, culture, énergie renouvelable, santé, formation, insertion des jeunes… L’objectif étant clairement de mieux s’insérer dans notre bassin caribéen. Cette première adhésion en qualité de membre associé devrait ouvrir la voie à d’autres démarches similaires auprès de l’Association des États de la Caraïbe (AEC) et de la Communauté des Caraïbes (CARICOM).

 

Le 22 avril, les Français vont élire un nouveau président. Quelle doit être la place de l’Outre-mer et de la Martinique dans cette campagne ?

Comme je l’ai dit dans mon discours lors de la visite de François Hollande (le 15 janvier dernier, ndlr) : Nous ne sommes demandeurs de rien !
Nous ne sommes ni dans la demande et encore moins dans la quémande. Nous voulons assurer notre propre mutation économique, proposer d’abord à nous même, à la France et au monde, une alternative nouvelle : l’espace d’une humanité moderne, d’innovation, de culture et d’ambition.

 

Vous avez évoqué le contexte difficile dans lequel se trouve le monde aujourd’hui. Quel peut-être le motif d’espoir ?

Pour moi, cette crise est le signe de la fin d’un cycle économique basé sur l’ultra-financiarisation des économies ; de la même manière qu’il y a eu la fin du communisme. Inéluctablement, il s’agit de la fin de quelque chose. D’où la pertinence d’imaginer un modèle nouveau, une pensée économique et sociale qui ne livre pas le destin des hommes à la finance. Cette situation doit créer un élan, une renaissance. Nous devons laisser une chance à une nouvelle façon de concevoir notre développement qu’il faut désormais baser sur la richesse écologique, les services écologiques, le développement durable, etc. Il faudra aussi se montrer moins dépendants des produits fossiles et financiers.

 

Propos recueillis par Mathieu Carbasse