Création de nouvelles filières agricoles, mise en place de circuits courts, agro-transformation innovante : l’autonomie alimentaire est en passe de devenir une réalité sur nos territoires. Mais pour ce qui est de la construction, pourra-t-on un jour “habiter local” ? En Martinique, en Guadeloupe et en Guyane, la question est plus que jamais d’actualité.  

Afin de réduire les importations et leur coût environnemental, ainsi que de valoriser les matières premières locales, en partie issues des gisements de “déchets”, de plus en plus d’acteurs travaillent sur les écomatériaux aux Antilles-Guyane, ces matériaux dits biosourcés car issus des ressources naturelles.

Cap sur le bambou en Martinique 

Où en est la production d’écomatériaux en Martinique ? Depuis plus de trois siècles, la poterie des Trois-Ilets fabrique des briques à fort pouvoir d’isolation thermique, à base d’argile en partie extraite des sols de la commune.

En matière de sylviculture, une petite production de bois issus des mahoganys a été mise en place sur l’île par l’Office National des Forêts, à raison de 1200 ha de forêt utilisée pour un rendement d’environ 5.500 m3 de bois par an.

Toutefois, malgré les atouts indéniables de ce bois pour l’ébénisterie ou la charpente, les débouchés locaux demeurent limités du fait de la concurrence des bois d’importation.

construction en bambou
Photo set.sj via Unsplash

Aujourd’hui, c’est le bambou qui se révèle porteur de nombreuses promesses pour la construction locale.

Martine Léoture, architecte urbaniste et un des porteurs de projet de la filière bambou martiniquaise au sein de l’association Kebati, explique que plus solide que l’acier, cette plante, envahissante faut-il le rappeler, est un génie de la nature permettant dans plusieurs régions du monde d’élaborer des constructions modernes, mais surtout parasismiques et anticycloniques.

Terrasse en bambou
Photo set.sj via Unsplash

Incorporé dans un torchis de terre crue et de paille, le bambou permettrait ainsi de créer des parois aussi solides que du béton armé. Mais pour que ce projet d’éco-construction à base de bambou devienne réalité, encore faut-il s’engager dans un long travail de création de filière qui nécessite à la fois :

  • De la R&D pour mettre en place des procédés de traitement et de transformation du matériau ainsi qu’assurer la stabilité d’approvisionnement
  • Un travail réglementaire pour élaborer des normes permettant de garantir la fiabilité et la qualité des constructions, mais aussi protéger la production locale face aux importations à bas coût
  • Une démarche de certification
  • Sans compter la formation, dans ce secteur qui s’annonce d’ores et déjà porteur de création d’emploi

« La dimension architecturale est essentielle pour les constructions à base d’écomatériaux, afin de donner envie aux Antillais de choisir ces constructions. »

Martine Léoture, architecte urbaniste

Isolants biosourcés, briques de terre, bois et matériaux biocomposite en Guyane

Si la construction locale n’en est qu’à ses débuts en Martinique, celle-ci est déjà bien installée en Guyane avec une filière bois à fort potentiel, troisième filière économique du territoire. Plus de 19 essences aux textures et couleurs variées permettent ainsi de répondre aux besoins de charpente, menuiserie et couverture.

Depuis 2015, l’entreprise La Brique de Guyane fournit par ailleurs les chantiers de construction du territoire en briques en terre crue saine et résistante.

brique de terre
Photo Washington Oliveira 🇧🇷 via Unsplash

En 2019, dans son étude “Les écomatériaux et les filières de l’écoconstruction en Guyane”, le Parc naturel régional de la Guyane identifiait et analysait près de 30 matières géosourcées et biosourcées du territoire utilisables dans la construction, à la fois issues de la filière bois, de l’agriculture, des écosystèmes naturels, de la géologie et du recyclage.

Six potentiels écomatériaux à faible impact environnemental ont alors été identifiés, à savoir :

  • Les isolants biosourcés à base de fibres de bois local ou en ouate de cellulose comme alternative à la laine de verre ou de roche
  • Les biocomposites à base de fibre de bois ou de fibre d’ananas
  • Le Bois Massif Abouté et le Bois Massif Reconstitué
  • Des briques de terre crue ou béton de terre stabilisé avec des fibres végétales

Rédactrice de cette étude du PNRG, l’association Aquaa qui travaille à la montée en compétences des filières du territoire, et la sensibilisation des particuliers, les professionnels, les bailleurs et les institutions locales aux atouts de nos écomatériaux (isolation thermique, réduction de la consommation énergétique) pour la construction, insiste sur la nécessité de développer significativement l’agriculture et d’élaborer des accords de coopération inter DOM afin de mutualiser les gisements, de répartir les installations sur les territoires, tout en limitant l’impact carbone du transport. 

En Guadeloupe, la recherche avance 

En lien avec les réglementations thermiques et acoustiques de 2012, préconisant l’utilisation de 50% d’énergie renouvelable dans le mix énergétique des bâtiments d’ici à 2020, le laboratoire COVACHIM-M2E (Connaissance et valorisation – Chimie des Matériaux, Environnement, Energie) de l’Université des Antilles s’est lancé dans l’étude du ciment fibro-renforcé, permettant, par l’incorporation de fibres végétales dans le ciment, d’améliorer le pouvoir d’isolation thermique de ce matériau de construction.

Et ainsi remplacer les fibres synthétiques, de verre et d’amiante importées et utilisées comme isolants dans le BTP. Et en bout de course, réduire l’utilisation de la climatisation, coûteuse pour le porte-monnaie comme pour l’environnement, dans les nouvelles constructions de nos territoires.

Fibre de coco
Photo Sri Lanka via Unsplash

Avec pour cœur d’activité la caractérisation et la valorisation de la ressource végétale tropicale disponible en Guadeloupe, l’équipe de recherche COVACHIM-M2E dirigée par Marie-Ange Arsene, Ketty Bilba, Cristel Onesippe Potiron, travaille ainsi sur l’utilisation de différentes fibres végétales locales comme renfort des matériaux composites :

  • Les fibres de bagasse de canne à sucre
  • Les fibres de fique (type de cactus)
  • Les fibres de coco (la gaine foliaire et le coir, sa partie filandreuse)
  • Les fibres de dictame
  • Les fibres de bambou
  • Les fibres de bananier
  • Les fibres d’agaves; en fonction de leur résistance mécanique, structure, dimensions et variabilité entre autres.  

La résistance mécanique, la structure, les dimensions et la variabilité entre autres de ces fibres sont alors étudiées afin de déterminer si elles pourraient être utilisées en construction.

« Afin de réduire la consommation d’électricité dans les maisons, les matériaux composites ciment/fibres végétales (ou fibro-renforcés) connaissent un intérêt croissant au cours des dernières décennies. »

Laboratoire COVACHIM-M2E, Université des Antilles

Ou comment nos ressources végétales locales pourront nous aider à construire plus localement : à base de matières biosourcées issues de nos territoires et de façon adaptée à nos spécificités. 

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