Entre février et mars 2022, le prix du carburant augmentait de 0,09 € en Martinique, pour atteindre 1,87 € le litre de sans plomb. En France hexagonale, ce tarif avait même dépassé la barre des 2 € à la mi-mars. Comment dès lors concevoir les trajets domicile-travail ? Réponses d’Alexis Durand Jeanson, consultant en innovation territoriale et ouverte, partenaire de Kaléidoscope, incubateur d’entreprises à impact. – Texte Axelle Dorville

À court terme, la mobilité à repenser 

La mise en place généralisée du télétravail lors des confinements nous a démontré qu’il était possible de travailler sans avoir à se déplacer. Plus précisément, ce sont 30 % des travailleurs qui pourraient partiellement ou totalement exercer en télétravail. Quand cela est possible, le télétravail est donc une solution pour limiter ses déplacements. Quand les déplacements sont nécessaires voire indispensables, la mutualisation du transport peut être envisagée, par le covoiturage entre collègues ou de travailleurs de la même zone d’activité, par exemple. 

Cependant, au-delà de cette logique d’organisation individuelle, sur un territoire où il faut parfois compter une heure de trajet entre son domicile et son lieu de travail, du fait de la distance et des ralentissements, les collectivités ont indéniablement un rôle à jouer à moyen et long terme. En termes d’ingénierie des flux d’une part, par la création ou la réhabilitation sans doute, d’un tissu viaire plus dense, composé de davantage d’axes secondaires afin de désencombrer les grands axes routiers tout en maillant le territoire. En termes d’organisation de la mobilité partagée d’autre part, avec la mise en place d’un système public de covoiturage par exemple. Il s’agit finalement de mettre en place les principes de la “ville oasis”, où tout ce qui est important, essentiel à la vie sur place se trouve à proximité.

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Le rôle des employeurs 

Les employeurs peuvent principalement s’investir dans la rationalisation des déplacements de leurs équipes en engageant une réflexion autour de leurs besoins. Cela peut passer par la mise en place de plans de déplacements inter-entreprises, la création de restaurants d’entreprise propres à une entité ou inter-entreprises d’une même zone d’activité, la création également de micro-crèches, de garderies ou d’autres services pour la qualité de vie, mutualisés au sein de ces mêmes zones. En résumé, il s’agit de la mise à disposition de services essentiels à proximité des entreprises, sans nécessité d’utiliser son véhicule.

Cette mission de planification sera d’autant plus performante si elle est pensée dans une logique de partenariat privé-public-populations, afin de faciliter l’élaboration de solutions répondant précisément aux attentes des usagers des bassins d’entreprises, selon leurs logiques de déplacement Domicile-Travail. Cependant, seules les entreprises de plus grande taille ou les plus structurées peuvent engager plus ou moins efficacement ce type de démarches.

« C’est une nouvelle forme de centralité qui pourrait émerger, avec de nouveaux centres d’activités davantage intégrés aux lieux de vie, à une échelle hyper locale. »

Nouvelle organisation du travail  

À long terme, l’évolution de la mobilité ou la difficulté à se déplacer pose en effet la question de la décentralisation de l’activité économique. En termes d’implantation, il y a longtemps eu une logique de concentration des entreprises sur des espaces restreints sans nécessairement anticiper les flux d’usagers, eux aussi concentrés sur certaines tranches horaires et donc source d’asphyxie de la circulation.

Il apparaît cependant évident qu’il va coûter de plus en plus cher de se déplacer, comme l’a analysé l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, spécialiste du climat et de l’énergie. Dans cette optique, limiter ses déplacements sera une préoccupation majeure. Cela pourrait sans doute se manifester par une répartition beaucoup plus éclatée de l’activité économique, par la mise en place de micro-agences, de micro-implantations à l’échelle de bassins de chalandise et de bassins de vie plus faibles ; accompagnée en pratique par la création de plateformes dématérialisées permettant la mise en réseau de ces petites entités, mutualisant et automatisant d’un point de vue digital les fonctions support. C’est d’ailleurs ce qui est fait avec les drives des supermarchés : l’activité est éclatée pour se rapprocher des zones de vie, tout en évitant l’implantation de nouveaux supermarchés.

En somme, c’est une nouvelle forme de centralité qui pourrait émerger, avec de nouveaux centres d’activités davantage intégrés aux lieux de vie, à une échelle hyper locale. Le coworking rural pour les travailleurs, les campus délocalisés pour les étudiants pourraient permettre de mettre en relation l’offre et la demande locales et ainsi re-questionner la nécessité de la mobilité. Dans la continuité de l’idée de “ville du quart d’heure” en fait, dans laquelle tous les services essentiels sont accessibles à 15 minutes de trajet et où il serait finalement possible de tout faire autour de son lieu de travail, qui serait demain de nouveau la maison ?  

« Si cela coûte de plus en plus cher d’aller travailler pour obtenir une rémunération, la mobilité sera davantage choisie ou devra nécessairement être repensée et organisée. »

Derrière la question de la mobilité se cache une organisation économique, de société, de territoire. Si cela coûte de plus en plus cher d’aller travailler pour obtenir une rémunération, la mobilité sera davantage choisie ou devra nécessairement être repensée et organisée. 2 € le litre de carburant, c’est le début de nouvelles mobilités, et dans le même temps, d’une nouvelle organisation du travail. Voire peut-être demain, une certaine mobilité qui pourra être réalisée dans le métavers, et donc tout une organisation de société à repenser. 

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