Biomasse, éolien, photovoltaïque, hydraulique, thermique, géothermique, au fioul, aux granulés de bois ou au combustible solide de récupération… Nos territoires doivent rivaliser d’ingéniosité pour verdir leur production électrique. Un vrai défi pour être à la fois écolo et autonome, tout en assurant la demande toujours croissante en électricité, qu’il faudra apprendre à moduler. – Texte Amandine Ascensio

S’éclairer, se rafraîchir, utiliser son téléphone, son ordinateur, sa voiture… En zone non interconnectée (ZNI), autrement dit des territoires isolés, c’est un vrai défi. En effet, en France continentale, la consommation électrique est alimentée par les centrales nucléaires ou thermiques. Mais dans les ZNI, telle la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane – qui fait figure d’exception puisqu’elle n’est pas une île mais est non connectée aux réseaux de ses voisins sud-américains –, le fonctionnement est tout autre.

Si le principe reste le même, chaque territoire fonctionne avec un mix énergétique qui lui est propre. À titre d’exemple, quand la Guyane fonctionne à 60 % avec de l’énergie hydraulique, la Guadeloupe est majoritairement alimentée par une centrale thermique au fioul, donc une énergie fossile et fortement carbonée.

« La loi de transition énergétique a fixé l’objectif à atteindre : les ZNI devront être autonomes d’ici à 2030, et d’ici 2023, elles devront atteindre au moins 50 % de cette autonomie dans leur mix énergétique. »

Souvent, et depuis la prise de conscience des problématiques climatiques, les gouvernements successifs ont qualifié les ZNI de « laboratoire de la transition énergétique ». En effet, nos territoires cumulent l’avantage d’être très exposés aux vents et au soleil, soit deux énergies renouvelables. Pourtant, force est de constater que, encore en 2022, notre transition énergétique est bien loin d’être aboutie. Cependant, depuis 2015, la loi de transition énergétique a fixé l’objectif à atteindre : les ZNI devront être autonomes d’ici à 2030, c’est-à-dire s’approvisionner en énergie avec leurs propres ressources, locales. Et d’ici 2023, elles devront atteindre au moins 50 % de cette autonomie dans leur mix énergétique.

Parc éolien Martinique
Le parc éolien de Martinique

Des territoires aux modèles différents, l’exemple de la Martinique

Chaque territoire ne fait pas face au même défi, ni au même niveau d’avancement. Bien que soumis aux mêmes contraintes du fait de l’insularité, le mix énergétique de Guadeloupe et de Martinique sont bien différents. Sur l’île aux fleurs, « le mix énergétique était de 25 % d’énergie renouvelable fin 2021, dont 15 % portés par la centrale bagasse-biomasse d’Albioma », (centrale du Galion, NDLR), indique Olivier Flambard, directeur régional d’EDF Martinique. Le reste se partage entre l’éolien, qui représente environ 4 % du mix local, et aussi le solaire.

« Le choix d’installer des panneaux photovoltaïques sur les toits résulte d’une volonté politique qui veut préserver le foncier, notamment agricole, sur l’île de la Martinique. »

Le choix d’installer des panneaux photovoltaïques sur les toits résulte d’une volonté politique qui veut préserver le foncier, notamment agricole, sur l’île de la Martinique. La puissance installée en photovoltaïque est moins importante qu’en cas d’installation d’une centrale mais reste tout de même une portion à prendre en compte dans le mix énergétique. « Nous avons plus de 700 projets qui ont demandé leur raccordement », indique Olivier Flambard. 

En revanche, l’éolien devrait voir sa part augmenter significativement : un nouveau parc dans la zone du Macouba doit voir le jour d’ici août et apportera 24 Mégawatt (MW) supplémentaires en Martinique. « Cela représente environ 70 000 tonnes de fioul en moins, soit 6 à 7 pétroliers par an en moins », souligne-t-il.

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Énergie intermittente contre énergie de base en Guadeloupe

Le seul inconvénient de ces énergies solaire et/ou éolienne, c’est leur intermittence. Quelques jours de grisaille et la production photovoltaïque est moins intense ; si les alizés se calment, la production électrique due au vent aussi. En général, l’emplacement géographique des centrales est judicieusement choisi. Pour autant, la présence d’une énergie dite « de base », (qui n’est pas intermittente), comme la géothermie ou l’hydraulique, reste attractive.

« Une seule centrale géothermique tirée d’une activité volcanique existe en France : elle se trouve à Bouillante et représente environ 6 % de la production énergétique locale. »

En Guadeloupe, où le solaire et l’éolien représentent environ 10 % du mix énergétique, dominé par la production thermique au fioul (55 %), la géothermie pourrait connaître un nouveau souffle. Pour l’heure, une seule centrale géothermique tirée d’une activité volcanique existe en France : elle se trouve à Bouillante, petite commune de la Côte Sous-le-Vent. Si elle représente environ 6 % de la production énergétique locale, elle devrait aussi voir sa part augmenter dans les années à venir.

Grâce à des forages pour aller puiser l’eau chaude – dont la vapeur fait tourner des turbines pour produire de l’électricité –, elle est considérée comme une énergie propre. Une aubaine pour l’exploitant de la centrale Ormat, qui développe ses installations. Si la première usine date de la fin des années 1970, la nouvelle prévue pour 2024 devrait être plus moderne et apporter 10 MW supplémentaires, moyennant 50 millions d’euros d’investissement. D’autres permis de recherche d’un gisement pourraient être accordés à d’autres sociétés intéressées par le potentiel du massif de la Soufrière. « En géothermie, il est impossible de caractériser précisément la ressource avant d’avoir fait un forage », note Caroline Milliotte, spécialiste de la géothermie à l’Ademe Guadeloupe.

« Selon l’Ademe de Guyane, dans un rapport daté de 2020, le mix énergétique « 100 % EnR est possible en Guyane, tout en satisfaisant l’ensemble de la demande électrique à tout instant ». »

Innover en terrain déjà artificialisé en Guyane

Enfin, en Guyane, 60 % du mix énergétique est couvert par l’énergie hydraulique. C’est le barrage de Petit-Saut qui alimente une large partie de la Guyane, via la retenue d’eau. Mais ici, en Guyane, comme ailleurs, les besoins en énergie devraient augmenter. En septembre 2021, le ministre de l’Outre-mer, Sébastien Lecornu s’était rendu sur place pour « saluer les innovations portées par le territoire ». Notamment un projet de « solaire flottant », qui permettrait d’installer des panneaux solaires sur une zone d’ores et déjà artificialisée, sans empiéter sur du foncier terrestre.

Sur la même zone de Sinnamary, une centrale biomasse doit aussi voir le jour. Il s’agit de récupérer le bois immergé dans la retenue d’eau et de le rendre exploitable pour être brûlé et produire de l’énergie. Selon l’Ademe de Guyane, dans un rapport daté de 2020, le mix énergétique « 100 % EnR est possible en Guyane, tout en satisfaisant l’ensemble de la demande électrique à tout instant ».

Ajuster le réseau électrique en temps réel : le travail d’EDF

Il est là tout l’enjeu : pouvoir maintenir le niveau de production pour assurer la réponse à la demande d’électricité. Et c’est le travail d’EDF, le gestionnaire du réseau. « Avec une énergie thermique, comme les turbines à combustion qui tournent en Guadeloupe, c’est un peu comme l’accélérateur de votre voiture », sourit Frédéric Placide, adjoint du service système électrique chez EDF Guadeloupe. « Vous avez besoin de plus d’électricité ? Vous appuyez sur l’accélérateur. Vous avez besoin de moins, vous ralentissez. On peut moduler en fonction de la demande. »

Avec l’intermittence des énergies renouvelables et aussi le fait que la technologie ne permet pas encore de stocker efficacement l’électricité, « passer en 100 % EnR, signifierait trouver une énergie renouvelable qui puisse être pilotée et modulée au besoin, comme le thermique », explique-t-il. En l’état actuel des choses, ce n’est encore pas le cas sur nos territoires, qui regardent pourtant ce qu’il se passe sur l’île de La Réunion, cette dernière convertit sa centrale thermique au fioul en centrale thermique à biomasse liquide. Une option qui pourrait intéresser les Antilles-Guyane qui doivent réviser sous peu leur programmation pluriannuelle de l’énergie.

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Territoires autonomes ou décarbonés ?

Ce PPE, qui n’est autre qu’un document de planification, élaboré avec l’ensemble des acteurs locaux, doit conduire la politique territoriale de l’énergie. Et c’est là que devra être décidée la physionomie du futur mix énergétique. Car, à moins d’une énergie de base, comme la géothermie à grande échelle, les ressources locales ne suffiront pas à assurer l’autosuffisance énergétique.

Par exemple, si le projet d’interconnexion géothermique entre la Martinique et la Dominique se réalise un jour, la Martinique aura de l’électricité plus verte, mais dépendra de la production dominiquaise. D’un autre côté, importer ces énergies renouvelables, géothermique ou biomasse avec les granulés bois de chez Albioma, contribuerait à défossiliser notre production d’électricité. Mais, malheureusement, ce n’est toujours pas de l’autonomie.

« La transition ne se fera pas sans adapter nos comportements, sans limiter nos consommations, sans sobriété individuelle et collective. »

Et puis, l’autonomie énergétique dont il est question intègre, dans ses calculs, le transport. C’est même l’un des plus gros postes de consommation d’énergie fossile : le carburant de nos voitures. Si tout le monde passait en même temps au véhicule électrique, la demande serait trop importante pour que le réseau électrique tienne, en l’état actuel des choses. C’est un point majeur que martèle la totalité des acteurs du secteur de l’énergie. La transition ne se fera pas sans adapter nos comportements, sans limiter nos consommations, sans sobriété individuelle et collective.

En attendant, nos territoires doivent redoubler de solutions. En Guadeloupe, c’est vers les déchets, notamment plastiques, qu’on se tourne, pour en faire une ressource énergétique de base. Sur l’île, où l’on enfouit à La Gabarre une large majorité des déchets que l’on produit, on compte désormais les transformer en combustible, qui, en brûlant dans le four de la centrale thermique d’Albioma, produira de l’électricité. Deux usines seront mises en service en 2024. Et si la tendance appelle à baisser la production de déchets, personne n’est inquiet au vu des projections : une usine a une durée de vie de 20 ans et on ne sera pas encore sorti du plastique dans 20 ans…

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Point sémantique

Les ZNI, les zones non interconnectées, sont les territoires français non reliés au réseau électrique métropolitain continental. Il s’agit des territoires insulaires que sont la Corse ainsi que les départements et collectivités d’Outre-mer.

On qualifie de mix énergétique la répartition des énergies productrice d’électricité.

La  programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est un document stratégique de pilotage de la transition énergétique en France. Instituée par l’article 176 de la loi de transition énergétique (TECV), elle fixe une trajectoire pour le mix énergétique.