Pascal Saffache, géographe-aménageur, professeur à l’Université des Antilles et directeur du master « Aménagement durable des espaces insulaires » a répondu à trois questions sur la gestion du changement climatique aux Antilles. – Propos recueillis par Axelle Dorville

Quel est l’impact du changement climatique aux Antilles ? 

Premièrement, la montée des eaux due au réchauffement climatique devrait faire disparaître une bonne partie de nos littoraux. Les dernières simulations effectuées estiment, par exemple, que la Martinique perdra environ 5 % de sa superficie d’ici 2090. Avec près de 80 000 personnes vivant en zone côtière, on estime que 15 000 personnes devront être déplacées dans les 35 prochaines années.

D’ici 40 ans, la Caraïbe pourrait ainsi devenir une grande zone de migration. Sur des territoires entourés d’eau tels que les nôtres, la montée du niveau de la mer poussera des populations à quitter leur île pour des territoires plus sûrs.

« Avec près de 80 000 personnes vivant en zone côtière, on estime que 15 000 personnes devront être déplacées dans les 35 prochaines années. »

Il faut également s’attendre à des périodes de sécheresse marquées et beaucoup plus longues, avec des pénuries d’eau à prévoir. Pendant les 6 autres mois de l’année, nous aurons une période pluvieuse beaucoup plus intense qu’actuellement, avec des ouragans, pas forcément plus nombreux, mais plus puissants. Il faut noter qu’en raison  d’une modification progressive de la trajectoire des phénomènes cycloniques, la Guadeloupe et les îles du Nord devraient être un peu plus affectées par ces phénomènes qu’elles ne le sont aujourd’hui. 

À lire également | Les territoires insulaires face au changement climatique : l’alerte du GIEC

Quelles sont les mesures de protection à entreprendre ?

Cette période s’annonce très brutale car nous ne sommes pas prêts. L’élément le plus important, et à la fois le plus difficile à mettre en œuvre, est d’avoir une véritable vision pour l’aménagement du territoire, concrétisée par la mutualisation des moyens des communes et des intercommunalités.

Il est par ailleurs indispensable d’informer et d’impliquer davantage les populations, comme de les former aux gestes de premiers secours et aux bonnes postures à adopter en cas de risques naturels majeurs. En ce sens, nous sommes de plus en plus nombreux à penser qu’il serait judicieux de modifier la loi afin de déléguer la compétence risques majeurs aux EPCI.

Ensuite, face à l’élévation du niveau de la mer, les populations du littoral doivent se préparer à être relogées vers l’intérieur des terres. Le Prêcheur, en Martinique, a déjà initié cette politique de « décasement » avec une dizaine de familles ; en Guadeloupe, Petit-Bourg a relogé une douzaine de familles. C’est une politique qu’il faudra poursuivre.

À lire également | L’accession sociale à la propriété pour la mise en sécurité des populations

Comment pouvons-nous réduire nos émissions ?

Afin de limiter l’augmentation des températures, nous devons aller à la source et réduire nos émissions carbonées par des solutions très pragmatiques basées sur les énergies renouvelables : couvrir de panneaux solaires toutes les toitures des bâtiments publics ; démocratiser l’installation d’éoliennes particulières dans les jardins, afin de tirer parti de l’énergie des alizés ; miser sur l’énergie thermique des mers ; implanter des hydroliennes dans les canaux de La Dominique et de Sainte-Lucie, qui sont des dispositifs immergés utilisant les courants marins pour faire tourner des pales sous-marines et ainsi créer de l’électricité. Nous devons également nous engager dans une démarche de reboisement dans des zones dédiées, afin de fixer le carbone qui sera tout de même rejeté. 

« Il faut être conscient que ces phénomènes vont survenir dans les 40-50 années à venir. C’est maintenant qu’il convient donc de se préparer. »

La vraie question reste de savoir si nous voulons réellement nous inscrire dans une logique de développement durable, de transition écologique et de protection du territoire vis-à-vis du changement climatique. Il faut être conscient que ces phénomènes vont survenir dans les 40-50 années à venir. C’est maintenant qu’il convient donc de se préparer, si l’on veut disposer de solutions fiables d’ici 40 ans. 

À lire également | Le mix énergétique aux Antilles-Guyane : une question d’équilibre

Jusqu’à 70cm d’élévation du niveau de la mer en 2050

Le niveau de la mer s’élève aujourd’hui en moyenne de 3 à 3.5 mm par an. Nous savons que ce phénomène va s’accentuer dans les années à venir, avec une période charnière entre 2040 et 2050, où il va y avoir un basculement et une accélération avec 4 à 5 mm d’élévation annuelle, soit de +38 cm à +51 cm d’élévation du niveau de la mer d’ici 2070-80, selon les simulations optimistes réalisées par Yoann Pélis et Pascal Saffache. En revanche, celles de l’université de Princeton, basées sur des scénarios plus pessimistes, font état d’une augmentation de 71cm du niveau de la mer en 2060 avec au moins 8 % de perte de superficie pour la Martinique.