Développement. L’interprofession guadeloupéenne de la viande et de l’élevage s’attelle avec détermination à la relance de la troisième filière du territoire : la production bovine. Éclairages de Firmin Lodin, président de la SICA Cap Viande, sur les objectifs et les stratégies du groupement. – Texte Audrey Juge

« Il y a une vraie nécessité de relever le défi de la relance de la production bovine guadeloupéenne », déclare Firmin Lodin. Président de la SICA Cap Viande, affiliée à l’Iguavie, exploitant agricole et ancien président de cette dernière, Firmin Lodin maîtrise le sujet viande. Il fait acte d’un constat effarant : « Nous avons perdu, en dix ans, 50 % de la production bovine. »

Des 82 000 bovins et 14 000 détenteurs sur le territoire en 2012, il ne reste plus que 41 000 bêtes aujourd’hui, pour seulement 6 500 détenteurs. Pourtant, la demande est là. « Les besoins estimés sont de près de 5 000 tonnes de viande bovine par an. Nous n’en produisons que 1 400, et importons près de 3 500 tonnes. Il y a donc largement de quoi augmenter notre taux de couverture en visant au moins les 50 % de production locale. »

« Les besoins estimés sont de près de 5 000 tonnes de viande bovine par an. Nous n’en produisons que 1 400, et importons près de 3 500 tonnes. »

Des entraves à surmonter

Pour Firmin Lodin, plusieurs freins ont contribué au découragement général des acteurs de la filière. « Tout d’abord, dans les années 2000, la mise aux normes de la production par le biais de l’identification des bovins a été difficilement gérable pour les producteurs les plus âgés préférant abandonner. La pression foncière, avec une diminution systématique des surfaces réservées aux bovins, empêche l’installation de jeunes producteurs. Nous subissons de surcroît une forte pression parasitaire de la tique sénégalaise pour laquelle l’absence de produits sanitaires efficaces entraîne des pertes considérables dans les troupeaux », se désole l’exploitant.

« Enfin, les vols de bétail et les attaques régulières de chiens en divagation découragent les éleveurs. Toutes ces entraves ont poussé les éleveurs à se tourner vers les productions végétales à cycle court et à plus forte valeur ajoutée. » Le bœuf est donc revenu à son rôle « tirelire », c’est-à-dire une production non professionnalisée de complément.

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Firmin Lodin, président de la SICA Cap Viande - Guadeloupe

Professionnaliser la production de viande bovine

Aujourd’hui, l’engouement pour la viande bovine locale est réel. « Les Guadeloupéens ont besoin d’avoir confiance en ce qu’ils mangent et privilégient la proximité, parce qu’ils connaissent leur territoire, les éleveurs et les méthodes de production. À nous de leur fournir en quantité un bœuf local de qualité. »

Alors, comment produire les 2 400 tonnes de viande bovine attendues en Guadeloupe ? Relancer la filière permettrait de nourrir localement la population et de s’affranchir un peu plus de l’import, à l’heure d’une situation mondiale faisant grimper les prix des produits exogènes à l’archipel. 

« « Il faut que les SICA soient suffisamment solides financièrement pour avoir la capacité de valoriser la viande des éleveurs au meilleur prix et de les payer le plus rapidement possible. »

Pour Firmin Lodin, l’équation doit avant tout garantir des revenus convenables aux éleveurs. « Il faut que les SICA soient suffisamment solides financièrement pour avoir la capacité de valoriser la viande des éleveurs au meilleur prix, de les payer le plus rapidement possible et que les éleveurs bénéficient du suivi et du cadre nécessaires pour produire une viande de qualité. Il faut aussi trouver des éleveurs volontaires, capables de relever le défi de la relance de la filière pour s’engager dans le processus de production. Assurer dans leurs cheptels des vaches reproductrices pour faire naître un veau par vache et par an ; en complément, la création d’ateliers d’engraissement d’animaux augmenterait le nombre de bovins disponibles sur le territoire. Enfin, avec l’appui de la recherche, améliorer la qualité et la résistance des fourrages mais aussi valoriser l’utilisation de la biomasse locale. En somme, la relance de la filière bovine passera par l’émergence d’une vraie volonté des éleveurs et de nos politiques de relever le défi de la production locale avec les moyens qui l’accompagnent. »

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Audry Colmar, président de la COOPEMAG (coopérative agricole des éleveurs de Marie-Galante) : « La production bovine à Marie-Galante constitue souvent une activité complémentaire à d’autres activités agricoles comme la culture de la canne. Nous avons besoin de professionnaliser la filière afin de regrouper les producteurs, les encadrer, leur faire bénéficier du poids de la coopérative pour obtenir de meilleurs prix pour l’alimentation animale et être en mesure de produire assez pour fournir les bouchers. Il faut relancer la filière car la race Kreyol, endémique de la Guadeloupe, donne une viande savoureuse, de grande qualité, produite avec peu d’antibiotiques et en quasi-liberté sur des terres non-chlordéconées. »