Si le contexte international est clairement anxiogène, les indicateurs d’emploi et de création d’entreprises indiquent que nos économies ne cèdent pas à la panique. Expert des économies ultramarines, l’économiste Olivier Sudrié* analyse la situation des Antilles-Guyane et souligne les atouts et défis de nos entreprises. (Texte Axelle Dorville)

Après une pandémie, des restrictions sanitaires et une crise sociale, comment se portent les économies antillo-guyanaises ? 

Ce n’était pas gagné mais les économies ultramarines ont fait preuve d’une énorme résilience après le choc de la crise sanitaire. Selon les chiffres de l’INSEE, l’emploi repart ainsi à la hausse dans les trois départements, avec +4 % en Martinique1, +6 % en Guadeloupe2 et +6,9 % en Guyane3 . Et quand l’on regarde dans le détail, on se rend compte que l’emploi est majoritairement tiré par le secteur privé, ce qui traduit une forte confiance en l’avenir des entreprises sur ces territoires. Les chefs d’entreprise mouillent leur chemise et embauchent. L’encours des crédits d’investissement, qui représente la masse de crédit accordés par les banques pour financer des projets d’entreprise, progresse également, signe d’une vision positive du futur de la part du secteur bancaire. Un autre indicateur qui permet d’être optimiste est la création d’entreprise. En 2021, on a observé une croissance de +32 % d’entreprises créées en Martinique, +19 % en Guadeloupe et +50 % en Guyane, championne du bassin caribéen. C’est du jamais vu. Bien entendu, toutes ces entreprises ne survivront pas mais cela démontre que les entrepreneurs antillo-guyanais ont envie de s’en sortir. 

« Aux Antilles-Guyane, on se lance souvent dans l’entrepreneuriat sans réelle trésorerie, par volonté de s’en sortir en créant son emploi. Cela limite donc la capacité d’investissement et l’accès au crédit. »

Justement, comment expliquer la faible durée de vie des entreprises nouvellement créées ?

On en parle depuis des dizaines d’années : c’est l’absence de fonds propres qui pose le plus souvent problème. Aux Antilles-Guyane, on se lance souvent dans l’entrepreneuriat sans réelle trésorerie, par volonté de s’en sortir en créant son emploi. Cela limite donc la capacité d’investissement, l’accès au crédit et le potentiel de développement de l’entreprise. Le système d’exonération des charges sociales et fiscales en début d’activité, avec un rattrapage après la première année d’existence, explique également pourquoi il est difficile de passer le cap des 2 ans. Encore une fois, cela touche à la capacité financière de l’entreprise. Surtout, on constate que les entrepreneurs individuels ne maîtrisent pas les bases d’une bonne gestion, ils confondent ainsi souvent chiffre d’affaires et revenu, ce qui peut conduire au dépôt de bilan. Heureusement, les CCI se mobilisent fortement sur ces sujets. 

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La taille des marchés laisse également peu de place aux économies d’échelle. S’agit-il d’un obstacle indépassable ? 

En réalité, on touche ici à la problématique de la compétitivité de ces économies. L’export au niveau régional serait une solution si les coûts de production n’étaient pas si élevés, comparés à ceux des pays voisins. Le coût du transport renchérit par ailleurs le prix des produits antillais exportés vers l’Hexagone. Il est indispensable que les produits antillais soient compétitifs en Europe, sans qu’ils doivent pour cela être subventionnés. Finalement, et ce n’est pas du tout original, le levier de croissance prioritaire reste les gains de productivité; comme cela est le cas pour tous les pays développés.  

Un secteur en particulier dans lequel il est nécessaire de faire des gains de productivité et de compétitivité est celui du tourisme, en baissant les coûts salariaux par la réfection des charges sociales, et en se positionnant sur un tourisme haut de gamme avec un service optimisé. 

Quoi qu’il en soit, il n’y a aucune malédiction qui pèse sur les économies ultramarines et qui les obligerait à être des zones de chômage de masse et de pauvreté. De façon générale, seule 1 entreprise incubée sur 5 réussit, car créer une entreprise est dur, peu importe où l’on se trouve. Il y a des jeunes et il y a du dynamisme aux Antilles-Guyane, tout dépendra des politiques économiques mises en place. 

« Je crois beaucoup au développement économique par le biais de l’e-commerce et d’une ouverture de la franchise douanière, afin de créer davantage de concurrence et donc de conduire à la baisse des prix. »

Lors d’une intervention auprès du CESECE, vous citiez comme autre point négatif la faible concurrence. Cela est-il en train de changer ou les économies ultramarines demeurent-elles verrouillées ?

Je pense qu’il s’agit là du frein principal à la croissance économique outre-mer ! La concurrence est réduite du fait de la petite taille du marché, que l’on peut qualifier d’oligopolistique. La théorie économique enseigne que lorsque le nombre d’offreurs est limité, les prix sont définis non pas en fonction des coûts de production, mais par rapport à la disposition des clients à payer, ce qui renchérit les prix ; et qui, d’une part, réduit le pouvoir d’achat des potentiels clients, et qui, d’autre part, freine l’exportation du fait du manque de compétitivité. Cela va prendre des années pour casser cette dynamique, mais cela est nécessaire pour réaliser des gains de productivité et les rétrocéder aux clients sous la forme d’une baisse des prix. Je crois beaucoup au développement économique par le biais de l’e-commerce et d’une ouverture de la franchise douanière, afin de créer davantage de concurrence et donc de conduire à la baisse des prix, à l’instar de ce qui a été observé avec l’arrivée de Free aux Antilles. 

*Co-fondateur du cabinet d’études et de conseils économiques DME
¹ Entre le 4e trimestre 2020 et le 4e trimestre 2021
² Entre le 3e trimestre 2020 et le 1er trimestre 2022
³ Entre le 3e trimestre 2020 et le 2e trimestre 2022

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