Chaque année, Octobre rose libère la parole autour du cancer du sein. Les autorités locales misent sur la prévention, notamment des femmes les plus exposées. Rencontre avec Guy-Albert Rufin-Duhamel, directeur de la plateforme régionale d’oncologie de Martinique. Texte Lia Mancora – Photo Jean-Albert Coopmann

Le cancer du sein est la première cause de mortalité par cancer chez les femmes. Quelle est la prévalence en Martinique ? 

L’incidence de la maladie est moindre dans les Antilles françaises que dans l’Hexagone, cependant, dans notre territoire, nous déplorons 205 nouveaux cas par an et une cinquantaine de décès. C’est une maladie bien connue, la première localisation cancéreuse chez la femme (33 % des cancers féminins), et grâce aux immenses progrès scientifiques et technologiques, c’est aussi un cancer qui peut être évité et guéri, à condition d’être pris en charge rapidement. Enfin, on l’oublie souvent, mais il existe aussi une faible proportion d’hommes qui sont concernés par un cancer du sein (1% de cancers masculins).

« Nous devons être davantage aux côtés des femmes. Être solidaires et porter des réponses pour rompre l’isolement et la rupture chez les femmes exposées. »

Quels sont les enjeux de santé publique liés au cancer du sein ? Qu’a-t-on fait, politiquement, pour améliorer la situation ? 

Les enjeux sont prioritaires en matière de prévention, dépistage, diagnostic précoce, accès aux innovations thérapeutiques ou encore accompagnement pendant et après la maladie. Il nous faut occuper le terrain, agir auprès des personnes les plus vulnérables, éloignées du système de santé. Être solidaires et porter des réponses pour rompre l’isolement et la rupture chez les femmes exposées.  

Je suis conscient de toutes les difficultés rencontrées par les Martiniquaises. Je ne suis pas non plus sourd aux besoins qui nous sont exprimés, aux attentes de chacune d’elles, mais je vois aussi l’espoir et les belles choses que nous pourrons faire, construire avec elles, pour réduire l’incidence de cette maladie et limiter les séquelles. 

Car la maladie n’est pas qu’un enjeu médical, elle a de nombreuses répercussions pour chaque femme diagnostiquée… 

Nous ne sommes jamais loin d’une catastrophe sociale, économique, familiale et professionnelle. La plateforme de cancérologie doit être au rendez-vous de ces différentes étapes de la vie. Accompagner, ce n’est pas seulement prescrire des médicaments, c’est aussi marcher et cheminer avec le patient.

Je porte un nouvel humanisme solidaire contre ce cancer en Martinique. Il est temps de repenser la lutte en misant sur le processus « d’empowerment »* et en soutenant activement l’émancipation féminine. Je remercie d’ailleurs les associations originales comme Amazones, Ma tété, Seingulière ; le combat nécessite ces innovations sociologiques dans l’engagement. J’y vois de l’avenir, un nouveau faisceau de progrès pour les femmes et avec les femmes.

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La crise sanitaire a-t-elle eu un impact significatif sur le cancer du sein en matière de prévention, dépistage, traitement et mortalité ? Des mesures spécifiques ont-elles été prises pendant et après la crise ? 

La Covid a vraiment bousculé notre pays. Cette flambée de cas, toutes ces admissions en réanimation, ces décès par grappes. Nous avons touché le fond de l’horreur. J’ose croire que nous en tirerons les leçons car cela peut se reproduire. Nous révisons nos procédures et nous envisageons un plan blanc cancer et la création d’une réunion de concertation pluridisciplinaire de crise. J’ai été très mal à l’aise face à tous ces patients mis dans l’avion faute de place pour les soigner sur place.

Je les ai personnellement rencontrés et j’ai reçu des témoignages très acides, touchants et profondément douloureux. On est loin d’imaginer l’effet de cette épidémie sur le système de santé. J’ai rencontré des médecins désemparés face à des femmes souffrant de cancers très évolués avec parfois des tumeurs énormes. Cela ne se voyait plus depuis 15 ou 20 ans. 

« La diminution du nombre de dépistages, les diagnostics tardifs, le renoncement aux soins, les bouleversements sociaux et sociétaux, l’état psychologique du pays, ont eu des effets néfastes sur la lutte contre les cancers. »

Beaucoup de femmes en ont fait les frais ? 

La diminution du nombre de dépistages, les diagnostics tardifs, le renoncement aux soins, les bouleversements sociaux et sociétaux, l’état psychologique du pays, ont eu des effets néfastes sur la lutte contre les cancers. Et ce n’est pas terminé. J’ai demandé à ce que les services de la plateforme déploient un plan de repérage de ces personnes afin de les repositionner dans le circuit. Hélas, il est souvent trop tard. Mais je reste confiant et crois en la force de résilience de ce peuple. Nous relancerons et améliorerons ensemble le taux de participation aux dépistages et mettrons tous les moyens pour prévenir, traiter et accompagner. Plus les choses paraissent sombres, plus elles ont de chance de s’illuminer. Cette lumière, c’est nous, notre engagement et nos espoirs, en nous-mêmes et pour nous-mêmes.

« 40 % des cancers peuvent être évités. Il faut donc rendre accessible les mesures de prévention et combattre les inégalités d’accès. »

Quels sont les principaux axes d’amélioration ?

La feuille de route régionale de lutte contre les cancers est très ambitieuse. La plateforme régionale d’oncologie de Martinique, opérateur de l’ARS (agence régionale de santé) en cancérologie, accompagnera toutes les mesures décidées en concertation avec les acteurs, les associations, les élus et la société civile. La prévention sera le fer de lance de notre action. 

40 % des cancers peuvent être évités. Il faut donc rendre accessible les mesures de prévention et combattre les inégalités d’accès. Les femmes doivent pouvoir bénéficier de programmes d’activité physique, de sport, d’ateliers de vie en prévention du cancer du sein. Il faudra consolider les filières d’accès à la prévention avec les associations et les municipalités. 

Le dépistage sera repensé de manière à être plus dynamique et accessible. Octobre Rose 2022 est l’occasion d’ancrer ce nouveau regard dans la pratique. Il y a aura des actions un peu partout, une présence renforcée auprès du public. Je ferai également plusieurs annonces et invitations à travailler en collaboration rapprochée. Je suis ingénieur social de formation, je n’imagine pas une société bienfaitrice sans solidarité et proximité. Il faudra mouiller la chemise, retrousser ses manches et être dans la réalité, la vie de la population, les lieux d’expression des femmes.

Peut-on dire actuellement que le cancer du sein soit un « cancer évitable » ? 

Si on ne peut pas éviter 100 % des cancers du sein, on peut réduire le nombre de cas en adoptant des modes de vie sains et pas toujours difficiles à appliquer. Mais il faut de l’accompagnement.

*Prise en charge de l’individu par lui-même.  
GIP PROM : Groupement d’intérêt Public – Plateforme régionale d’oncologie de Martinique
CRCDC Martinique : Centre régional de coordination des dépistages des cancers de Martinique

L’efficacité du dépistage précoce 

Le cancer du sein est, dans la plupart des cas, une maladie curable. Dans 9 cas sur 10 on peut en guérir d’où l’importance du dépistage. C’est entre 50 et 74 ans que les femmes sont les plus exposées. Grâce au dépistage il est possible de diminuer le nombre de décès. En Martinique, beaucoup de ces cancers sont malheureusement dépistés trop tard.
Le dépistage organisé concerne toutes les femmes entre 50 et 74 ans, sans symptôme, et n’ayant pas de facteurs de risques particuliers, autre que leur âge.
Les femmes ayant un risque élevé ou très élevé** peuvent bénéficier d’un suivi spécifique adapté pris en charge à 100 %. Le dépistage est simple : une mammographie tous les deux ans !  
**Antécédents familiaux de cancers (sein, ovaire…), prédispositions génétiques. 

40 % des cancers « évitables »  

Quatre cancers sur dix résultent de l’exposition à des facteurs de risque liés à nos modes de vie et comportements. Cela représente plus de 640 cancers évitables en Martinique. La plateforme recommande de ne pas fumer, de modérer sa consommation d’alcool, d’avoir une alimentation diversifiée et équilibrée, d’éviter les viandes rouges et les produits transformés, de surveiller son poids, de pratiquer une activité physique régulière et d’éviter l’exposition aux rayonnements solaires. 
Le GIP PROM et ses partenaires mettent en place des mesures de prévention collective sur l’exposition à d’autres facteurs environnementaux.

Le boulot aussi, ça compte !  

Le GIP PROM est à l’origine d’un projet innovant : la création d’un guichet unique cancer emploi situé à Redoute. Son but ? Accompagner les employeurs, malades, proches et autres de manière à favoriser le maintien et/ou l’accès à l’emploi pendant et après la maladie. 
L’idée est d’offrir un parcours encadré avec les différents partenaires : médecine du travail, Pôle emploi, instances consulaires, établissements de santé, associations et administrations. Ce réseau entre dans le cadre du projet de recherche action « oncologie sociale ou encore socio-oncologie » conduit par le GIP PROM.

Des traitements qui évoluent   

L’amélioration des connaissances scientifiques et l’innovation thérapeutique ont permis, ces dix dernières années, l’adoption de nouvelles approches dans les prises en charge. La filière est très bien structurée en Martinique. 
Une amélioration significative des diagnostics et le recours à de nouveaux traitements permettent de gagner un temps précieux pour les patientes. Elles bénéficient de soins oncologiques de support, à savoir, un accompagnement, pendant et après les traitements, afin de limiter les effets secondaires, complications et séquelles. Le soutien est aussi social et psychologique. Le GIP PROM impulse l’intervention des associations qui œuvrent aux côtés des patients et coordonne la stratégie solidaire. 

GIP PROM Martinique
127, route de Redoute, résidence les Jardins de la Mouina
Fort-de-France 
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