Ils ne sont pas “la maison”, ils ne sont pas le lieu d’activité professionnelle ou de loisirs. Ils sont un peu tout à la fois. Les tiers-lieux sont surtout des lieux d’émergence pour l’innovation, des lieux créateurs de solutions, de lien social : on y bidouille, on y jardine, on y réfléchit, on y échange, et, petit à petit, on y crée le monde de demain. Texte Amandine Ascensio

Voilà une dizaine d’années, en France, le mot tiers-lieux n’évoquait chez les décideurs qu’un petit sourire entendu : personne ne comprenait bien de quoi il s’agissait et voyait les aficionados de ces espaces où l’on travaille, échange, socialise et crée comme des joyeux hippies manquant de réalisme. Pourtant, un peu partout dans le monde, les tiers-lieux étaient déjà là. Des espaces de coworking où les indépendants et les salariés venaient travailler une ou deux heures par-ci par-là. Des Fab-Labs (pour fabrication laboratory) où les industriels venaient tester leur R&D. Des makerspaces où l’on vient fabriquer toute sorte de choses.

Désormais, plus personne ne doute du bien-fondé de ces espaces hybrides que sont des espaces de travail partagé, des lieux où la créativité naît de la collaboration entre divers acteurs.

Même dans nos territoires de nombreux adeptes s’y manifestent. En Guadeloupe, le premier d’entre eux était le Fab-Lab de Jarry, en 2015, toujours en activité. Depuis, des dizaines de Fab-Labs ont émergé dans les lycées. Ont suivi deux espaces de coworking, le Spot à Jarry et le Fort Coworking, tous deux récemment fermés, vaincus par la crise covid. Car si les tiers-lieux sont en croissance, le modèle économique reste encore balbutiant. « Nous fonctionnons sur nos adhésions. Nous proposons des ateliers et nos utilisateurs peuvent également louer une machine à coudre pour une heure, deux heures ou une journée », explique Béatrice Souillet, fondatrice du tiers-lieu “Creative-Space” L’Admerane, à Capesterre-Belle-Eau, en Guadeloupe, spécialisé dans la création de mode et l’éco-design.

« L’idée, c’est aussi d’apprendre à vivre ensemble dans un open-space, ça n’est pas toujours très répandu par ici »

Des tiers-lieux pour les usages numériques

Dans son local, elle veut démocratiser la mode responsable, aider les créateurs de modes à se développer et faire changer les façons de consommer. Elle accueille des chantiers d’insertion, des créateurs de vêtements voire des étudiants en couture. « L’idée, c’est aussi d’apprendre à vivre ensemble dans un open-space, ça n’est pas toujours très répandu par ici », sourit-elle. « Nous avons même une brodeuse numérique. »

Dans les tiers-lieux, on parle souvent de numérique et de machines à commandes numériques. À Saint-Laurent-du-Maroni, la KazLab accueille des imprimantes 3D, des découpeuses lasers et autres machines numériques. « Nous sommes un Fab-Lab équipé, nous dispensons des formations mais nous avons aussi beaucoup de commandes », explique Thierry, un des membres du tiers-lieu. Dernièrement, le Fab-Lab a imprimé en 3D des phallus à la demande d’établissements scolaires pour faire de la prévention en matière de sexualité. Et les tiers-lieux aiment collaborer ensemble, élaborer des projets communs, etc… « On travaille avec Station K, le FabLab qui est à Kourou, au centre spatial », se réjouit Thierry.

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Lieux d’innovation

Maillage du territoire, projets collaboratifs, innovations, les tiers-lieux sont aussi des nouvelles façons de considérer l’économie, la formation ou encore le lien social. Dans l’Hexagone, nombreuses sont les entreprises qui, au début du mouvement, envoyaient leurs salariés passer quelques heures par semaine dans un tiers-lieux pour les laisser réfléchir à des solutions innovantes à leur branche d’activité. Et dans les plus grosses sociétés, nombreuses sont désormais celles qui ont un tiers-lieu à domicile dédié à leur secteur. Même les pouvoirs publics sont de la partie : les appels à projets se multiplient pour favoriser l’émergence de tels espaces et leur rapprochement avec le monde économique ou académique.

En 2023, plusieurs nouveaux espaces devraient ouvrir leurs portes : rien qu’en Guadeloupe, un espace de coworking, le Hit (association GuadeloupeTech) et un makerspace (association Smart-Island) devraient entrer en vitesse de croisière. Et à Marie-Galante, un tiers-lieu agricole est en projet pour mutualiser des outils d’agro-transformation, afin de diversifier les activités des agriculteurs de la Grande Galette.

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