Ils analysent, transforment, construisent et façonnent nos territoires. La rédaction s’est intéressée à la profession d’urbaniste pour qui l’aménagement du territoire constitue le cœur de métier. Propos recueillis par Lia Mancora

> En Guyane

Juliette Guirado : « Construire et asseoir l’attractivité interne et externe de la Guyane »

Juliette Guirado, présidente de l’agence d’urbanisme et de développement de la Guyane (AUDEG) (Photo Jody Amiet)

« Je travaille depuis 2002 à l’Agence d’urbanisme et de développement de la Guyane. J’en ai pris la direction en 2013. Les missions plurielles exercées au sein d’une Guyane riche, complexe et dynamique, m’apportent la satisfaction quotidienne de me sentir utile, urbaniste au service d’un territoire aux besoins incommensurables.

L’Agence éclaire les élus et les acteurs locaux dans la conception, la mise en œuvre et le suivi de leurs projets. Elle a donc un rôle important à jouer dans le développement des connaissances des villes et des territoires composant la Guyane. Elle doit également montrer et produire des études qui vont au-delà des certitudes communément admises. Je veille, avec mon équipe, à déployer des outils de surveillance et d’observation territoriale indispensables à la prise de décision, comme nos observatoires de l’habitat, du foncier et de l’économie. Il s’agit de développer des méthodes exploratoires et sur-mesure pour remplacer ou compléter les données nationales souvent jugées peu fiables en Outre-mer.

« Je veille, avec mon équipe, à déployer des outils de surveillance et d’observation territoriale indispensables à la prise de décision, comme nos observatoires de l’habitat, du foncier et de l’économie. »

L’autre défi que nous avons est la planification, avec un appui aux collectivités dans l’élaboration, des documents d’urbanisme. Avec quelques enjeux majeurs comme l’enclavement de certaines polarités urbaines, la rareté du foncier utile, les modes de production informels de la ville et l’inconnue démographique. Il s’agit par là de construire et d’asseoir l’attractivité interne et externe de la Guyane.

Enfin, dans un contexte de dérèglement climatique, mon travail vise aussi à accompagner les collectivités dans un territoire qui devra définir de nouveaux modèles de développement pour des villes guyanaises inclusives et résilientes. »

> En Guadeloupe

Michèle Robin-Clerc : « L’œuvre de l’urbaniste est de mettre son art au service de tous »

Michèle Robin-Clerc, architecte DPLG, Docteur en urbanisme et conseillère municipale en charge de l’aménagement et de l’urbanisme pour la Ville de Pointe-à-Pitre
Michèle Robin-Clerc, architecte DPLG, Docteur en urbanisme et conseillère municipale en charge de l’aménagement et de l’urbanisme pour la Ville de Pointe-à-Pitre (Photo Ankalab)

« La tâche de l’urbaniste n’est pas de tracer des routes et des quartiers sur une page vierge. Il part toujours de l’existant. À Pointe-à-Pitre, le programme de renouvellement urbain (2014-2030) est le moyen de rénover les barres et les tours des années 1970. Démolir est tentant mais c’est un acte lourd qui doit tenir compte du traumatisme humain. Reconstruire n’est pas forcément mieux. Ce serait dommage de générer, aujourd’hui, les problèmes sociaux de demain.

Les cités pointoises (Mortenol, George Roux, Les Lauriers…) doivent être considérées avec respect. Sortes de « lakous » modernes sur dalles, elles portent en elles la cristallisation de l’inconscient collectif du concept d’habiter la modernité. D’où l’importance d’opérations de renouvellement urbain fines et structurantes qui maintiennent les populations dans leur environnement dans un cadre de vie amélioré et sécurisé.

« L’œuvre de l’urbaniste est de mettre son art au service de tous, avec humilité et courage, dans le plus grand respect du mode d’habiter existant. »

L’œuvre de l’urbaniste est de mettre son art au service de tous, avec humilité et courage, dans le plus grand respect du mode d’habiter existant. Il doit intégrer aux Antilles, en plus des risques majeurs, la notion de développement durable pour diminuer la pollution urbaine, développer les transports écologiques et favoriser les espaces verts. La désartificialisation des sols est un moyen de lutte essentiel contre les inondations. L’urbaniste doit aussi connecter la ville et la rendre attractive via l’éclairage public, les places, les vues et veiller à ce que les alizés la traversent librement. De même pour les centres anciens, plans en damier sur lesquels s’érigent des cases montées en graine sur trois niveaux et que des aides de l’État (conventions Action cœur de ville) permettent de rénover. »

> En Martinique

Céline Paderna : « Trouver des solutions d’aménagement pour réduire notre vulnérabilité face aux risques naturels »

Céline Paderna, ingénieure urbaniste au sein de la Communauté d’agglomération du Pays Nord Martinique (Cap Nord)
Céline Paderna, ingénieure urbaniste au sein de la Communauté d’agglomération du Pays Nord Martinique (Cap Nord) (Photo Jean-Albert Coopmann)

« Après plusieurs années d’expérience dans le secteur privé en Belgique et à Paris, j’exerce, depuis 2011, chez moi, en Martinique. Cette fois, dans le public. Au sein de la collectivité territoriale (CTM) d’abord, puis, depuis janvier, pour la Communauté d’agglomération du Pays Nord Martinique (Cap Nord) je suis chef de projet « Petites villes de demain ». Un dispositif qui concerne quatre communes : la Trinité et Sainte-Marie pour la côte Atlantique et Saint-Pierre et le Carbet, côté Caraïbe.

« Pour redynamiser les centralités, trois thématiques fortes ont été retenues : l’attractivité commerciale, l’amélioration de l’habitat et la mobilité, auxquelles doivent s’intégrer la dimension culturelle et la gestion du risque. »

Son objectif ? Redynamiser les centralités (lieu qui réunit plusieurs fonctions et qui rayonne sur sa commune ou sur l’ensemble de la région) d’ici à 2026. Il nous faut décliner le projet de territoire de CAP Nord, lié à la relance et la transition écologique, à l’échelle des quatre communes. Trois thématiques fortes ont été retenues : l’attractivité commerciale, l’amélioration de l’habitat et la mobilité. À ceci doivent s’intégrer la dimension culturelle et la gestion du risque. Ce sont quatre communes qui longent le littoral, elle sont donc sujettes à deux grandes problématiques : le retrait de côte et les éboulements. Nous travaillons aussi sur l’aménagement de l’espace public des centres-bourgs avec cette ambition de rénover l’habitat existant (plutôt que de construire) pour les habitants et pour en attirer de nouveaux. Nous sommes également chargés de mettre en place une ingénierie financière afin de collecter un maximum de fonds.

À plus long terme, de grands enjeux se dessinent pour la Martinique telle que la gestion des risques naturels. Il nous faut trouver des solutions d’aménagement pour réduire notre vulnérabilité : comment aménager le bord de mer ? Faut-il déplacer les populations situées dans les zones à risque ? Autre problématique majeure : la diminution de la population. Il nous faut, ces prochaines années, recréer du dynamisme et de l’attractivité en Martinique pour inverser la tendance. »

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