Christophe Laurent, directeur régional de la Banque des Territoires Caisse des dépôts, rappelle que c’est aux élus de s’interroger et de définir leurs priorités en matière d’aménagement du territoire. Aux Antilles-Guyane, il manque souvent une vision d’ensemble de ces différents schémas de développement. (Propos recueillis par Claire Jacques, Photo Lou Denim)

« Il suffit de voir les encombrements qu’on a et ces mouvements pendulaires en termes de circulation pour s’apercevoir qu’il manque une vision à l’échelle du territoire. »

Estimez-vous, aujourd’hui, que nos territoires soient bien aménagés ?

Très honnêtement, je ne le pense pas. Il suffit de voir les encombrements qu’on a et ces mouvements pendulaires en termes de circulation pour s’apercevoir qu’il manque une vision à l’échelle du territoire. Ce sont les fameux SAR (Schémas d’aménagements régionaux) qui pensent ce développement au niveau des collectivités uniques (Région Guadeloupe et Collectivités territoriales de Guyane et Martinique). C’est aux politiques de s’interroger sur les priorités qu’ils ont pour leurs territoires, sur les aménagements que cela va générer derrière. Dans l’idéal, il faut ensuite essaimer sur les EPCI (1) qui ont également une compétence de développement économique et de mise en œuvre. Or, dans les faits, cela ne se passe pas vraiment comme cela. Des projets ou schémas sont pensés à l’échelle des structures intercommunales, souvent sans lien entre eux. Il manque une vision d’ensemble, une volonté politique. Il faut, à un moment donné, que quelqu’un s’empare de ce sujet et le porte en leader.

« Il est urgent de réfléchir à rééquilibrer les bassins de vie et de développement économique et à tout ce que cela génère en termes de mobilité. »

Qu’est-ce qui pourrait faire que cette vision d’ensemble existe ou que ces liens se nouent ? 

Et bien justement, les élus en charge de ces politiques. Pour ne prendre que l’exemple de l’habitat. En Guadeloupe, il n’y a que Cap Excellence qui a un plan local de l’habitat (PLH). Normalement, chaque EPCI devrait en avoir un, même s’il est compliqué à mettre en œuvre. Avant de mettre en place un PLH, vous avez un Schéma de cohérence territoriale (SCoT), et avant lui, un Schéma d’aménagement régional (SAR). Sur nos territoires, on voit bien que tous ces dispositifs de développement ne sont pas encore finalisés.

Ce n’est pas quelque chose qui est propre à nos régions. C’est également compliqué en Métropole. Mais, à un moment donné, il manque une vision, un portage pour que tous les sujets inhérents à l’aménagement du territoire soient traités dans leur globalité et qu’on arrive à des résultats. 

On ne va pas inverser les situations que l’on connaît aujourd’hui. Mais la priorité est de faire un état des lieux avant de prendre les bonnes décisions. Continuer à développer de plus en plus la région pointoise en Guadeloupe ne ferait qu’enkyster encore plus le centre de l’île. Il est urgent, au contraire, de réfléchir à rééquilibrer les bassins de vie et de développement économique entre la Grande-Terre et la Basse-Terre. Si telle est l’ambition politique, il faudra réfléchir à tout ce que cela génère en termes de mobilité. 

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Ne faudrait-il pas des locomotives ? 

Pour moi, ce sont la Région Guadeloupe et les Collectivités territoriales de Martinique et Guyane qui doivent porter cette vision. Ce sont des acteurs qui ont cette légitimité à l’échelle de l’ensemble des territoires. 

D’après vous, construit-on trop ou pas assez aux Antilles-Guyane ?

Les questions sont plutôt : « Où construit-on ? » et « Qu’est-ce qu’on construit ? ». En tant que Banque des Territoires, ce qu’on va pousser et accompagner en priorité, ce sont des projets qui vont dans le sens de la sobriété foncière. J’entends par là : réversibilité des bâtiments – du tertiaire qui devient du logement et vice et versa –, réutilisation des dents creuses, objectif ZAN (zéro artificialisation nette). Nos enjeux, c’est d’accompagner les territoires dans cette optique-là. 

Cela fait le lien avec des dispositifs comme « Action cœur de ville » notamment et avec « Petites villes de demain » pour lesquels nous accompagnons des territoires en ingénierie, puis en financements. 

Je suis très fier qu’on ait fait de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, la première foncière de redynamisation d’Outre-mer. Aujourd’hui, on a vu qu’un cœur de ville ne vit pas qu’avec des commerces, mais avec des logements, un écosystème de services, de parcs, etc. Pour développer ce projet, la Ville de Saint-Laurent-du-Maroni va apporter du foncier (résidus, dents creuses, etc.) que nous allons compléter avec des achats de terrains. L’idée est d’abord de réhabiliter et d’installer du logement et des commerces avec des loyers abordables, permettant ainsi la mixité sociale et intergénérationnelle, pour faire un cœur de ville qui vit. 

« La sobriété foncière passe par le fait de se réapproprier du foncier. On a de l’espace à réutiliser avant d’envisager de nouvelles zones et de nouvelles constructions. »

La sobriété foncière ne passe pas uniquement par le fait de ne plus construire dans les champs de canne, mais par le fait de se réapproprier du foncier. La loi Letchimy sur l’indivision nous aide. On a de l’espace à réutiliser avant d’envisager de nouvelles zones et de nouvelles constructions.

Nous avons également un autre sujet à prendre en compte sur nos territoires, celui du recul du trait de côte et comment on repense ces villes littorales. En Guadeloupe, nous avons accompagné les bailleurs sociaux sur de la régularisation foncière à Petit-Bourg, des occupants sans titre qui ont construit en bord de mer, il y a des décennies, sur un foncier qui ne leur appartenait pas et dont la maison est aujourd’hui au bord de la falaise et qu’il va falloir reloger. Humainement parlant, c’est terrible. Mais c’est aussi une opportunité à saisir pour repenser la ville autrement, ex nihilo, en essayant de ne pas commettre les mêmes erreurs.

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Comment peut-on trouver l’équilibre entre les zones de travail, les commerces, l’habitat. Comment redessiner une ville cohérente ? 

En travaillant avec des ingénieurs, des urbanistes, etc. Quand on part de quelque chose de déjà existant, il y a du boulot. La manière de penser les zones est hyper importante si on veut que ceux qui y vivent se les approprient et y viennent de bon cœur.

« Nous savons que 80 % de la population antillo-guyanaise est éligible à un logement social, même si beaucoup aspirent à autre chose, visent l’accession à la propriété. »

Sommes-nous dotés de suffisamment de logements ?

La question n’est pas uniquement de savoir si nous avons suffisamment de logements mais également s’ils sont adaptés à notre population. Par exemple, y a-t-il suffisamment de logements adaptés au vieillissement de la population, notamment aux Antilles ? Entre l’Ehpad et la résidence seniors services, il y a des modèles alternatifs, dont notamment celui du maintien à domicile qui nécessite cette adaptation du parc. Si nous avons des données très complètes sur l’habitat social, nous en avons très peu sur l’habitat privé : ce n’est donc pas évident de répondre. 

Nous savons que 80 % de la population antillo-guyanaise est éligible à un logement social, même si beaucoup aspirent à autre chose, visent l’accession à la propriété. Nous devons les accompagner dans cette ambition, notamment via l’accession sociale à la propriété. En Guyane, nous accompagnons majoritairement la construction de logements, tandis qu’aux Antilles l’essentiel de nos financements est pour la réhabilitation d’un parc social immobilier très vieillissant. 

Quelle infrastructure nous manque-t-il pour un aménagement harmonieux de nos territoires ?

Si je devais ne retenir qu’une problématique, ce serait le chantier de la mobilité. La Guadeloupe va finalement être le seul territoire à ne pas avoir de transports en commun du type TCSP, contrairement à la Martinique et à la Guyane. On ne peut pas vouloir une liaison rapide entre Basse-Terre, Jarry et Saint-François, par exemple, mais qui s’arrêterait dans chaque ville, voire à chaque carrefour. Il faudrait au moins penser une épine dorsale qui permette ensuite d’irriguer les communes. Les infrastructures de mobilités (transports en commun, mobilité douce, etc.) sont des sujets structurants dans l’aménagement du territoire et la Banque des Territoires a la capacité et la volonté d’en accompagner les acteurs, par de l’ingénierie et des prêts de long terme, voire de très long terme.

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Êtes-vous tout de même optimiste pour l’avenir de nos territoires ?

Oui, je le suis. Il est important que l’ensemble des acteurs pensent « territoire ». Nous sommes prêts à les accompagner, mais notre rôle n’est pas de faire à leur place. En revanche, nous pouvons les aider à structurer leurs projets et travailler ensemble pour que les idées émergent. Nous pouvons également les aider à prioriser. On ne peut pas tout faire sur la durée d’un mandat. Il faut choisir les dossiers sur lesquels on va avancer ensemble.

(1) Établissements publics de coopération intercommunale

À savoir

La Banque des territoires, direction de la Caisse des dépôts et consignations créée en mai 2018, mobilise 20 milliards d’euros par an pour financer les projets des collectivités et des acteurs du logement social.

La démarche ZAN (pour zéro artificialisation nette) consiste à réduire au maximum l’extension des villes en limitant les constructions sur des espaces naturels ou agricoles et en compensant l’urbanisation par une plus grande place accordée à la nature dans la ville.