Texte Amandine Ascensio

En Guyane : Construire en terre locale

La carrière est installée dans l’Ouest guyanais, à Mana. C’est aussi là qu’est située l’usine qui fabrique des briques, en terre rouge, utiles pour la construction. « On vient d’être normé pour les murs porteurs », explique Stéphane Lambert, le patron de la Brique de Guyane, qui produit 300 m² de briques par jour. Le matériau revendique une bonne qualité d’isolation acoustique, « et un bon comportement thermique, en termes d’inertie », indique le chef d’entreprise qui précise : « Cela signifie que la température dans la maison n’a pas le temps d’augmenter avant qu’il ne se remette à faire frais ». Et puis ajoute-t-il, c’est un bon régulateur d’humidité. Une qualité intéressante dans nos zones tropicales où l’hygrométrie élevée fait loi. Pour la fabrication, l’objet se fabrique par compression, après mélange avec du sable et du ciment, sans cuisson. « On la trempe dans l’eau après la compression, pour l’empêcher de sécher immédiatement et cela lui donne une forte solidité qui en fait un matériau de construction local », se félicite Stéphane Lambert. La société veut développer d’autres matériaux à base de ressources locales, notamment de la fibre à combiner avec de la terre de Guyane. Une solution pour l’isolation, explique le chef d’entreprise, qui a mandaté sur ces innovations des étudiants en thèse. L’idée ? Trouver et pouvoir proposer des options de matériaux de construction compatible avec la rénovation thermique des bâtiments, un marché qui a le vent en poupe, dans le cadre de la lutte contre le dérèglement climatique.

Lire aussi | Focus écomatériaux : peut-on construire “local” aux Antilles-Guyane ?

En Guadeloupe : The Iron Man

Dans son petit atelier de Baie-Mahault, Jonathan Pépin est le seul forgeron-ferronnier d’art de Guadeloupe à exercer ce métier, qu’il pratique avec passion depuis qu’il a 13 ans. Au départ, c’était un passe-temps, un hobby de bricoleur. « J’ai ensuite passé un bac S, puis je suis retourné au CAP, au grand dam de mes profs », sourit le presque trentenaire. Il tente les Compagnons du devoir, et renonce : « Ce n’était pas mon état d’esprit ». En revenant en Guadeloupe, il s’installe à son compte. Ses forges ? C’est lui qui les a fabriquées. Ses outils ? C’est lui qui les crée. « L’intérêt », raconte-t-il, « c’est que je peux ainsi avoir ce que je veux, avec les contraintes qui me sont propres et sans m’encombrer des questions de logistique insulaire. »

Alors, il récupère des objets en acier, en fer et les transforme au gré de ses besoins. « J’ai fabriqué pas mal de pinces de forge en récupérant des amortisseurs de voitures, dont la matière est parfaite pour cet outil », explique-t-il, avant de montrer une presse faite notamment d’un vérin à béton transformé.

Grâce à ces outils, il propose à sa clientèle des couteaux, des coutelas, ou encore des outils qu’on utilisait dans le temps, perdus au rythme des changements d’époque. Il montre un couteau à couper les cabosses. « C’est très spécifique, mais on n’en trouve pas dans le commerce occidental, et ça ne se fabrique pas non plus. Or, sans ça, on abîme le cacaoyer et on compromet sa capacité à produire des fruits », rappelle-t-il. « Cela reste très utile aux producteurs de cacao. »

Parfois, Jonathan travaille des grandes lianes de fer forgé pour de la décoration de portail, ou pour orner un rond-point, comme à Capesterre-Belle-Eau, dans un futur proche. Et malgré la crise des matériaux, se fournir n’est pas (encore) un problème : « je fonctionne beaucoup à la récupération et il me semble que cela va dans le sens de ce qui nous attend : sur l’île, on va devoir apprendre à faire avec ce qu’on a ».

Jonathan Pépin, forgeron-ferronnier d’art de Guadeloupe
Jonathan Pépin

En Guadeloupe : Tout un fromage

Le projet a démarré il y a environ deux ans, quand Sylvio Courtois est revenu au pays, après ses études dans l’agroalimentaire. « Durant mon BTS, j’ai appris à travailler le lait et je me suis dit que cela manquait », explique le jeune homme qui confesse être également amateur de fromage. De retour sur l’île, il entame un processus de fabrication en autodidacte. « J’ai fait des tests, certains étaient concluants, d’autres moins. Je me suis rendu compte qu’on a un panel de saveurs à tester avec toutes les épices dont on dispose ici. » Sylvio ne produit, pour l’instant, que du fromage frais. C’est le plus simple à réaliser, celui qui comporte le moins de risques. Car, des fromages plus affinés demandent non seulement plus de technicité mais surtout la reproduction de conditions d’affinages moins faciles à atteindre sous notre climat tropical.

« Je pense qu’on peut tout faire ici, mais il faut juste le penser différemment », raconte le jeune fromager qui espère se développer pour exporter ses productions dans la Caraïbe ou « dans le monde, pourquoi pas ». La difficulté ? Trouver un local, avoir des machines perfectionnées capables de résister à l’environnement local. Mais aussi et surtout trouver du lait de vaches/cabris guadeloupéens, dont la filière a périclité il y a déjà quelques années. « Je produis mes fromages avec du lait que j’achète à des grossistes, je préfèrerais qu’une coopérative locale se mette en place, avec des prix justes pour les producteurs », explique-t-il. Et en attendant, il continue de tester des saveurs de fromages épicés qui ont déjà trouvé une place parmi les grands : « le chef Jimmy Bibrac les met régulièrement à l’honneur dans son restaurant », précise modestement Sylvio Courtois.

Sylvio Courtois, fromager guadeloupéen
Sylvio Courtois

En Martinique : Ils ont eu la fibre pour la banane

Valoriser le bananier pour en faire un objet d’art, c’est l’ambition de l’entreprise Fib and Co qui produisait, jusqu’à récemment, des lames décoratives en fibre de bananier. « Un produit qui, à son lancement, a remporté la médaille d’or au Salon Batimat (Salon pour les professionnels du bâtiment, NDLR) », raconte Ludovic Rolland, directeur de l’entreprise. « Au départ, c’était la propriété esthétique du produit qui a séduit les fondateurs de l’entreprise. La feuille issue du pressage du cœur du bananier donnait une lame de papier fine, transparente, originale, notamment pour les luminaires ou du papier peint, vendu dans le monde. » Mais, conçu jusqu’alors en Martinique, les coûts de production et d’acheminement des éléments pour fabriquer la feuille ont fini par coûter trop cher. L’unité de production a ainsi été fermée en juillet pour être délocalisée, sous d’autres latitudes. « En Inde et à Madère où l’on produit également des bananes et où des franchisés produiront, pour Fib and Co, qui conserve tout de même son siège social en Martinique. On garde aussi, ici, la recherche et le développement », explique Ludovic Rolland qui envisage des pistes de développement pour la société. « Nous aimerions commercialiser des produits avec des caractéristiques mécaniques, pourquoi pas du bioplastique. » Et grâce aux aides financières de la CTM et des partenaires à l’Université des Antilles, la recherche a déjà démarré. « On veut rester sur la banane », souligne Ludovic Rolland. « C’est une ressource mondiale ».

Lire aussi | À la découverte des nouvelles bières locales aux Antilles-Guyane