L’offre, en matière de formation est-elle suffisante aux Antilles-Guyane ? Et si les enjeux se situaient bien au-delà de l’emploi ou de l’insertion ? Quid de la liberté de chacun de réaliser son propre projet de vie ? Jean-François Bourguignon, consultant en ingénierie de la relation emploi-formation en Guadeloupe, nous partage son constat, sa vision et ses perspectives. Rencontre.

Texte Sarah Balay – Photo Lou Denim 

Quel est l’état des lieux de la formation et des compétences aux Antilles-Guyane ?

En matière de formation, initiale, professionnelle et continue, les Antilles-Guyane sont des départements français normalement dotés : des lycées en nombre, des formations post-bac multiples et relativement variées (CAP, BTS, classes préparatoires aux grandes écoles, diplômes d’ingénieur, Masters, faculté de médecine de plein exercice…) au regard des besoins apparents et exprimés par les agents économiques et des opérateurs régionaux (AGEFMA (1) en Martinique, Takari en Guyane, membres du réseau Carif Oref, Guadeloupe Formation…) dont le rôle structurant a permis davantage de visibilité et de traçabilité donc d’évaluation. 

Les territoires sont marqués par des organismes de formation publics en nombre relativement restreint, mais avec pléthore d’opérateurs privés dont l’entrée en vigueur des normes Qualiopi risquent, sur la durée, de les faire sortir du cadre. 

Où se situe le véritable enjeu pour nos territoires ? 

Il ne concerne pas la formation des futurs cadres ! Le véritable enjeu et une des problématiques irrésolues se situent au niveau de la formation et la qualification professionnelles, de l’insertion et du chômage des jeunes. Et de plus en plus des seniors.

Notre économie est-elle en capacité de donner aux gens une chance d’être sur le marché du travail avec des compétences pertinentes ? La formation s’inscrit avant tout comme un des outils majeurs de la sécurisation professionnelle des demandeurs d’emplois et salariés. 

Toutefois, en termes de construction des parcours professionnels afin de faire face aux mutations et évolutions du marché, les Antilles-Guyane ont encore une forte marge de progression pour une offre plus qualitative et quantitative.

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Justement, que nous manque-t-il ?  

Un plan global du système éducatif reposant sur des diagnostics et des projections semble nécessaire. Les Antilles-Guyane souffrent d’un manque réel de politique et de vision à long terme dans le domaine de la formation professionnelle, qui n’est pas assez intégrée dans le schéma global du développement économique. La formation n’est pas une réponse systématique à l’emploi mais systémique. C’est un équilibre difficile à trouver pour les personnes, entre leur projet de vie, leurs désirs et motivations ponctuelles, leur capacité et volonté de les faire coïncider avec les besoins latents, existants et/ou futurs du territoire. Si la formation est de fait un élément de régulation du marché du travail, pour beaucoup de décideurs politiques, cette valeur s’est transformée : ils ont érigé la formation en régulateur du chômage. 

Est-ce utile d’étoffer localement l’offre de formation ? 

Non. Cela ne résoudra pas le problème. S’il y a augmentation, elle serait d’abord qualitative. Avoir une offre exhaustive sur place serait totalement contre-productif et financièrement intenable. Le marché de l’emploi ne suivrait pas non plus. Ce qu’il faudrait, c’est un dispositif de formation tourné vers des secteurs d’avenir et répondant aux besoins de développement des territoires. Le champ ouvert par les nécessités de transition de nos sociétés (énergétique, écologique, culturelle, sociétale), les mutations induites du travail, de l’emploi et des métiers, les métiers nouveaux notamment ceux générés par la société de l’information et les TIC(2), les profils individuels et collectifs de plus en plus diversifiés, l’obligation RSE(3), etc. conduit logiquement à penser et opérer la formation différemment, avec d’autres outils, d’autres compétences, d’autres instruments d’évaluation et de mesures de la part des pouvoirs publics.

La formation appartient au domaine de l’éducation donc à un projet de territoire. Il serait opportun de proposer des programmes mixtes et transverses sur l’acquisition de compétences spécifiques en intégrant des bénéficiaires d’autres pays de la Caraïbe et des Amériques pour les rendre plus stimulants et attractifs. 

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La mobilité est-elle toujours un impératif pour se former efficacement ? 

L’offre locale peut toujours s’étoffer et monter en gamme, le désir et/ou l’obligation de quitter le territoire pour beaucoup de jeunes sera toujours bien réel. La mobilité n’est pas un objet idéologique, mais un outil dont tout Français peut bénéficier. Le point départ de toute mobilité demeure le projet ! Et si nous voulons optimiser les coûts des formations directs et liés à la mobilité, il faut construire des parcours inclusifs, à partir d’un diagnostic-projet objectivé. Les questions que se pose notre jeunesse demeurent simples et basiques. Pourquoi se fixer sur un territoire qui n’aura rien à m’offrir après ma formation ? Bien souvent les jeunes partent faute de perspectives d’avenir, d’activités, de travail et d’emploi, sur place. Il faut reconnaître que certains secteurs se prêtent à la confrontation extérieure et au réseautage international, comme certains métiers de la culture, des arts, des finances, de la haute technologie, de la recherche…

La mobilité ne se définit donc pas comme une réponse systémique à une carence, un déficit du territoire ou une absence de vision des pouvoirs publics, elle s’inscrit en tout premier lieu, dans la gestion d’un parcours professionnel. Et au-delà d’un projet de vie.

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Grâce aux nouvelles technologies, la formation professionnelle à distance a profondément évolué. Les Antilles Guyane profitent-elles de cet essor ? 

La formation en ligne, à distance, est une belle évolution mais, au même titre que la formation continue, elle a tendance à creuser les inégalités. Souvent, seules les personnes les plus qualifiées en profitent. Plus les gens sont compétents, plus ils sont ouverts à la formation et aux formations innovantes utilisant les TIC. La formation est un produit socioculturel qui touche aussi aux dimensions psychologique et mentale des individus. Aux Antilles-Guyane, dans les entreprises privées et de moins en moins dans la fonction publique territoriale, le taux d’illettrisme est parfois surprenant. De nombreux professionnels perçoivent la formation comme un outil de sanction et/ou d’évaluation culpabilisante. Résultat : ils renoncent à évoluer et donc à acquérir les outils et compétences nécessaires à l’adaptabilité et aux nouvelles professionnalités (culture, savoirs, compétences et techniques) du monde du travail.

(1) AGEFMA : association de gestion de l’environnement de la formation en Martinique. 
(2) TIC : technologies de l’information et de la communication 
(3) RSE : responsabilité sociétale des entreprises