La Guyane est le territoire ultramarin le moins dépendant des énergies fossiles grâce à un important potentiel naturel d’énergies renouvelables. Malgré des contraintes, elle est en bonne voie pour relever le défi d’un mix 100 % renouvelables à l’horizon 2030.  Point avec des acteurs de l’ADEME Guyane.

Texte Adeline Louault – Photo Jody Amiet

Le système énergétique guyanais répond à des caractéristiques territoriales uniques. Alors que la population est majoritairement concentrée sur le littoral, l’intérieur est recouvert à 95 % par la forêt et le climat y est équatorial. Tirant parti de ses spécificités, la Guyane est aujourd’hui la seule Zone non interconnectée (ZNI) au réseau métropolitain continental où la part des énergies renouvelables (EnR) dépasse 50 % dans le mix électrique. Et cette proportion ne fait qu’augmenter. Le point sur la situation avec Ingrid Hermiteau, directrice de l’ADEME Guyane, et Paul Guillou, ingénieur énergies renouvelables à l’ADEME Guyane. 

Quel est le rôle de l’ADEME dans le processus de transition énergétique ? 

Ingrid Hermiteau, directrice : L’ADEME a trois grandes missions. Une mission d’expertise qui consiste à étudier comment on organise la transition énergétique sur le territoire. Pour cela, elle porte des études prospectives pour analyser comment atteindre l’autonomie énergétique dans les Outre-Mer à moyen terme. Par ailleurs, l’ADEME participe à la gouvernance de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), co-pilotée par la CTG et l’État. Nous menons aussi différentes études pour apporter des éclairages sur l’impact de la transition énergétique en termes d’emplois, de déchets, sur le potentiel de certaines filières, etc.

Nous avons ensuite une mission d’animation dont l’objectif est d’accompagner les acteurs et les filières de la transition énergétique. Enfin, nous proposons un accompagnement technique et financier sur certaines catégories de projets. En Guyane, notre premier champ d’action est l’accompagnement de la filière d’approvisionnement pour la biomasse énergie. 

Quelle est la part des EnR dans le mix électrique guyanais ? 

Paul Guillou, ingénieur énergies renouvelables : Sur le littoral, le taux de production d’énergies renouvelables varie de 50 à 70 %. Cela fluctue en fonction de l’activité du barrage hydroélectrique de Petit-Saut qui, à lui seul, peut produire jusqu’à 60 % de notre électricité. Ensuite, viennent le photovoltaïque qui représente 6 % de la production, puis la biomasse avec 4 %. Le reste, soit environ 30 %, provient des énergies fossiles (diesel et turbines à combustion).

Comment sont alimentées les communes de l’intérieur qui, du fait de leur éloignement, ne sont pas raccordées au réseau ?

P.G. : Elles doivent acheminer par voie aérienne ou fluviale les carburants permettant de produire leur électricité. Si la plupart fonctionnent au 100 % thermique ou avec un mix fossile/photovoltaïque, Saint-Georges est aujourd’hui la première commune de France dont 100 % de l’électricité est produite à partir d’énergies renouvelables, grâce à une centrale biomasse et à une centrale hydroélectrique au fil de l’eau.

I.H. : La PPE a la volonté d’augmenter la part des EnR dans les communes de l’intérieur. Fin 2022, des ateliers ont eu lieu à l’ouest et à l’est pour apprécier les spécificités de chaque territoire et voir comment mettre en place de futurs projets. 

Quelles sont les perspectives de développement des EnR en Guyane ?

P.G. : L’objectif d’un mix 100 % électrique nécessitera le développement de l’ensemble des filières présentes sur le territoire. Concernant la biomasse, la PPE a fixé un objectif de 40 MW de puissance installée. Parmi les principaux projets à venir, on peut citer la centrale biomasse à Montsinéry, portée par Idex, qui devrait entrer en fonctionnement prochainement avec une puissance de 6 MW, et celle de Petit-Saut, portée par Voltalia, qui aura une puissance installée de 10,6 MW. Cette dernière valorisera le bois ennoyé présent dans la retenue d’eau du barrage. 

I.H. : Nous avons aussi des projets de centrales hydroélectriques au fil de l’eau, à Maripasoula et Grand-Santi. À la différence des grands barrages, ces équipements utilisent le débit naturel de l’eau pour produire l’électricité. Comme il n’y a pas de stockage (on ne noie pas de grandes surfaces), l’impact sur l’environnement est moindre. Il faut aussi noter que la filière photovoltaïque est très dynamique sur le territoire avec des centrales avec et sans stockage de l’électricité qui ont permis d’atteindre les objectifs fixés par la PPE.

On entend parler du potentiel de l’éolien en Guyane, celui-ci est-il réel selon l’ADEME ?

P.G. : Le Schéma d’aménagement régional de 2012 a évalué 200 km2 comme potentiellement favorables à une exploitation de l’énergie éolienne sur le littoral. Ce gisement reste à consolider. L’éolien offshore se développe en métropole et son déploiement en Guyane pourrait être une possibilité à plus long terme.

I.H. : Nous sommes enclins à la poursuite des expérimentations car c’est une énergie complémentaire au photovoltaïque (production hors période d’ensoleillement) qui permettrait de limiter les besoins de stockage du réseau électrique et donc les coûts. Il faudra bien sûr prendre en compte les contraintes techniques, d’ancrage, d’intégration au réseau électrique mais aussi les contraintes réglementaires dans le respect de la loi littoral, des zones naturelles et des usages liés au nautisme et à la présence du Centre spatial guyanais dont les exigences sécuritaires sont fortes. 

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Quels sont finalement les principaux freins au déploiement des EnR ?

P.G. : Les projets demandent des temps de développement importants. Il faut consolider les potentiels sur certains gisements EnR comme l’eau ou le vent. Il s’agit de connaître le volume, la portance, la puissance de l’énergie disponible, etc. Parmi les autres freins, il y a la question de l’optimisation du foncier. Il faut de la place pour installer ces EnR et les concilier avec d’autres usages. Une étude est en cours pour identifier les zones déjà dégradées qui pourraient accueillir des champs photovoltaïques. Enfin, nous avons un réseau électrique particulier. L’intégration de nouveaux projets nécessite donc une expertise d‘EDF, le gestionnaire du réseau. 

I.H. : Par ailleurs, la Guyane possède une biodiversité exceptionnelle. Le défi consiste à harmoniser le développement des EnR avec la préservation de cette richesse écologique.  

À quoi va servir la loi d’accélération de la production d’EnR, votée en mars par l’Assemblée nationale ?

P.G. : L’objectif de cette loi est de faciliter la mise en œuvre des projets sur le territoire grâce à une concertation étroite entre les services de l’État et les collectivités. Pour le moment, nous n’avons pas encore eu d’échanges en local sur la manière dont elle va s’appliquer.  

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Comment voyez-vous l’horizon 2030 ?

I.H. : Nous aurons certainement atteint l’objectif de 100 % d’énergies renouvelables sur le réseau électrique. Nous aurons un mix électrique où Petit-Saut apportera toujours la majorité de l’énergie, complétée par davantage de photovoltaïque, davantage de biomasse solide, sans oublier les centrales au fil de l’eau. En revanche, ce mix électrique ne sera pas 100 % local puisque les centrales thermiques vont être remplacées par des centrales à biomasse liquide (un biocarburant importé). N’oublions pas non plus que 60 % de la consommation d’énergie en Guyane provient de la mobilité. En 2030, les moyens de transport ne seront pas tous passés à l’électrique. C’est pour cela qu’il faut distinguer production électrique et consommation énergétique. Après l’objectif 100 % EnR de 2030, il reste deux autres caps à fixer : l’autonomie énergétique du territoire et l’intégration de la mobilité dans cette autonomie énergétique. 

La Guyane pourrait-elle être le territoire de tous les possibles en matière de transition écologique ? 

I.H. : (sourire) Plus avancée que les autres sur ces questions d’énergies renouvelables, la Guyane a de vraies opportunités. Les EnR représentent un intérêt en termes de créations d’emplois, de réduction des coûts de l’énergie, d’autonomie et de résilience. Alors que sur d’autres territoires, on doit faire avec l’existant, en Guyane, le territoire est en construction. On peut créer les villes et quartiers de demain en édifiant des bâtiments moins énergivores, en étudiant l’aération des logements, la mobilité des habitants, pour faire en sorte que la consommation d’énergie soit la plus réduite possible. Nous avons la chance de pouvoir encore faire ces choix-là. C’est une chance et en même temps un défi car, la population augmentant chaque année de plus de 2 %, on doit tout faire en même temps. 

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700 emplois
Une étude de l’ADEME, basée sur la période 2018-2028, estime que 700 emplois pourraient être créés grâce aux EnR, localement et dans la durée. Cela comprend les parties production, mobilité, maîtrise de l’énergie et concerne tous les niveaux de qualification. L’ADEME travaille avec de nombreux acteurs sur les besoins et l’adaptation de l’offre de formation de manière à favoriser les embauches locales. La biomasse est la plus pourvoyeuse d’emplois entre les forestiers, les bûcherons, les conducteurs d’engins, les chauffeurs routiers. C’est en effet la seule énergie renouvelable qui nécessite un approvisionnement que la Guyane peut produire localement. Concernant les retombées socio-économiques, une étude a été réalisée sur l’Autonomie énergétique et démontre que globalement les EnR permettent une diminution des coûts de production car il n’y a pas d’importation de l’énergie.

MIEUX CONSOMMER 
Au-delà du type de la production et de l’origine de l’énergie, l’enjeu de la consommation est tout aussi crucial pour réussir la transition énergétique sur le territoire.
Une consommation stable 
Selon l’ADEME Guyane, deux indicateurs montrent que les comportements en matière de consommation évoluent vers davantage de modération. Depuis 10 ans, la consommation d’électricité reste stable alors que la population augmente de plus de 2 % par an. Par ailleurs les dispositifs d’aide aux actions de maîtrise de l’énergie (type isolation des toitures, chauffe-eau solaires, climatisation performante, etc.) fonctionnent bien sur le territoire puisque, chaque année, les objectifs fixés sont dépassés et permettent de réaliser des économies d’énergie comptant pour plusieurs pour cent de la consommation totale. 
Des modes de transport à adapter 
En Guyane, le plus gros poste de consommation d’énergie est le transport (50 à 60 %). Tous les véhicules (voiture, avion et pirogue pour les communes isolées) utilisent de l’énergie fossile. L’ADEME Guyane travaille sur la transition énergétique dans la mobilité à travers deux axes :
> Étudier une sortie du modèle tout voiture en allant vers plus de transport en commun, plus de vélo (avec davantage de pistes cyclables et des conditions de sécurité correctes), plus de covoiturage. 
> Accompagner le changement progressif de motorisation des véhicules. Le modèle qui s’impose économiquement et techniquement est la voiture électrique. Mais pour fonctionner, il faut que ce nouveau type de mobilité dispose, sur place, de moyens et d’outils au niveau de la maintenance, des bornes, du recyclage des pièces. « Il y a aussi tout un champ de questions sur les poids lourds, les pirogues. Nous menons des réflexions sur l’expérimentation d’un fonctionnement à l’hydrogène, au biogaz car la question se posera prochainement », souligne Ingrid Hermiteau.