Choix des matériaux, emplacement des bâtiments, usage et confort du public, des experts de la construction dressent pour nous les contours de la sobriété immobilière aux Antilles-Guyane.

Texte Sarah Balay Photo Lou Denim

Les porteurs de projet, comme les bailleurs sociaux, vont devoir davantage se tourner vers la rénovation que la construction neuve.

Romain Maire, chargé de mission pour le réseau bâtiment durable de Synergîles

La construction en Guadeloupe

En Guadeloupe, le bâtiment représente 29 % des consommations finales d’énergie, soit le 2ème poste consommateur après le transport. En Martinique, près du quart des consommations finales d’énergie est destiné au secteur du bâti résidentiel et tertiaire.

Contrairement aux idées reçues, l’empreinte carbone la plus élevée durant la vie d’un bâtiment se situe au moment de sa construction et de sa démolition et non pas durant son fonctionnement. Selon les données publiées par la SARL immobilière Les Maldyves, en Guadeloupe, « les consommations d’énergie dans le secteur des logements ont augmenté dans des proportions considérables, de l‘ordre de + 80 % sur la période 2000-2016 ».
Un constat « corrélé avec l’évolution des taux d’équipements sur les usages liés au confort : climatisation et production d’eau chaude sanitaire, qui équipent désormais environ 70 % des foyers guadeloupéens ». Sans oublier les équipements liés au froid alimentaire (réfrigérateur, congélateur) qui pèsent énormément aussi dans la balance. Une tendance également visible en Martinique mais dans une moindre mesure.

« En Guadeloupe, on voit de plus en plus de climatiseurs entrer dans les salons alors que ce n’est pas encore le cas en Martinique, confie Florence Talpe, directrice de Kebati, association pour la qualité environnementale des bâtiments en Martinique. Beaucoup d’Antillais ont également deux réfrigérateurs et deux congélateurs. Ces appareils sont généralement peu renouvelés et pas forcément dans des bonnes classes énergétiques. Sans oublier les équipements du quotidien (TV, Box) qui sont parfois démultipliés dans un même foyer. Le défaut d’entretien du bâti peut aussi générer des consommations excessives ».

En Guadeloupe, des efforts notables sont toutefois visibles depuis une dizaine d’années.
« Bon nombre de bâtiments dits “HQE” (haute qualité environnementale) sortent de terre », souligne Romain Maire, chargé de mission pour le réseau bâtiment durable de Synergîles (voir ci-dessous). « La dynamique est lancée et il faut l’encourager. Cependant, la Guadeloupe peut et doit mieux faire compte tenu de l’urgence climatique et de la vulnérabilité de nos territoires. Elle a d’ailleurs toutes les capacités pour. »

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Synergîles
Basée en Guadeloupe, elle compte parmi les structures incontournables de la transition énergétique. Conçue comme un pôle d’innovation, elle fédère depuis 15 ans l’ensemble des acteurs économiques, institutionnels et académiques, accompagne, conseille, forme, diffuse la connaissance. Le pôle compte une soixantaine d’adhérents, basés ou ayant des activités en Guadeloupe, Martinique ou Guyane.

A quoi ressemble un bâtiment durable ?

Selon le chargé de mission, un bâtiment dit durable ne se résume pas à l’application de quelques normes, l’installation de panneaux photovoltaïques, de récupérateurs d’eau de pluie ou de bornes de recharge électrique. Sa construction est pensée dans sa globalité pour avoir le moins d’impact possible sur l’environnement (au sens large) et sur la pérennité de nos ressources (énergie et matières) .
« Il faut d’abord se poser la question des besoins et miser sur l’urbanisme durable et la sobriété », poursuit Romain Maire. « Est-il nécessaire de construire ? Cela répond-il à un réel besoin ? Le bâtiment sera-t-il neuf ? Réhabilité ? Que fait-on de l’ancien ? Peut-on réutiliser les matériaux ? Un réflexe qu’il reste à acquérir aux Antilles où sont souvent construits des bâtiments neufs dans des espaces naturels et agricoles alors qu’il y a une baisse démographique et qu’une partie du patrimoine est à l’abandon. »
« La réhabilitation (énergétique ou pas seulement) est donc un vrai défi et représente de réelles opportunités », poursuit Florence Talpe.

Une construction a toujours un impact environnemental et social. Les conditions de vie au sein d’un bâtiment et son intégration dans son environnement proche font partie des paramètres indispensables (parking ombragé, vue sur la nature, etc.). Un bâtiment HQE, aussi performant soit-il, implanté au milieu de nulle part, à plus de 30 km de toutes commodités, n’a donc aucun sens.

Le développement de la filière bois aux Antilles ne peut s’envisager sans un partenariat avec la Guyane.

Joan Dessaint-Fomi, secrétaire générale du CROAG

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« Il n’est pas question de diaboliser le béton »

Dans la mesure où le BTP est le 1er producteur de déchets aux Antilles, l’importance de développer des actions de revalorisation et de réemploi (sanitaires, fenêtres…) s’impose également.
« Cette capacité à réemployer n’est encore pas un réflexe. La question va toutefois se poser de plus en plus compte tenu de la hausse des coûts et des prix des matériaux », souligne Romain Maire. « Plus globalement, les porteurs de projet, comme les bailleurs sociaux, vont devoir davantage se tourner vers la rénovation que la construction neuve. »

Autre point d’évolution majeur : les matériaux. Un bâtiment durable idéal doit utiliser peu de ressources importées et surtout sortir du « tout béton », premier producteur mondial de gaz à effet de serre. « Il n’est pas question de le diaboliser car il a des propriétés intéressantes, notamment sur les aspects sismiques. Il a sa place », rappelle Romain Maire. « Mais il faut penser aujourd’hui à développer d’autres matériaux et à réinventer la construction vernaculaire caribéenne, c’est-à-dire à redonner vie à des pratiques ancestrales. Autrefois, les gens n’avaient pas d’autres choix que d’être sobres. Ils faisaient avec les moyens du bord (maison en bois, en terre, jardin créole, etc.). » Selon Joan Dessaint-Fomi, secrétaire générale du CROAG* : « pour respecter la nature, il faut revenir à des choses simples et penser frugalité architecturale en termes de formes, matières et moyens de production ».

La période post-coloniale et l’arrivée du béton aux Antilles a été considérée comme un passage vers la modernité et a permis de reconstruire après les aléas climatiques.
« Aujourd’hui, les enjeux ne sont plus les mêmes et les territoires ultra-marins ont la capacité de répondre à ces problématiques d’habitat durable. Les Guadeloupéens sont fiers de leur histoire et de leur savoir-faire. Les entreprises locales seront, sans aucun doute, heureuses de se les réapproprier et de les diffuser. »

*CROAG : conseil de l’Ordre des architectes de la Guadeloupe

Béton bas carbone, terre crue, filière bois
Quelles alternatives « au tout béton » ?
Le conseil de l’Ordre des architectes de la Guadeloupe (CROAG) organisait, en juin, à Deshaies, un symposium caribéen et amazonien sur les matériaux durables.
Cette rencontre, inédite et internationale, a réuni des experts (acteurs techniques, scientifiques, institutionnels et financiers du secteur de la construction) venus d’Amérique latine, des Caraïbes, de l’Hexagone, des Antilles, de la Guyane et d’Afrique. Cet événement s’inscrit dans le cadre du projet « construction soutenable » visant à promouvoir des pratiques de constructions durables et économiquement soutenables dans la région caribéenne. Les études de faisabilité de plusieurs alternatives sont d’ores et déjà en cours.
En Guadeloupe, un concours de jeunes talents sera lancé fin octobre autour de dix opérations de logements innovants. « Plusieurs méthodes dites “alternatives au tout béton”, en cours d’expérimentation, ont été présentées », explique Joan Dessaint-Fomi, secrétaire générale du CROAG.
« L’université des Antilles (UA) planche, par exemple, sur le béton bas carbone, doté de fibres de coco, de banane et de bagasse. Le Bénin prône un retour à la l’usage de la terre crue. Le développement des filières bois ainsi que l’usage d’une plante invasive comme le bambou, l’usage d’une plante invasive comme le bambou, sont également à l’étude. »
D’autres matériaux, tirés du naturel et du végétal, ont été évoqués comme le bloc de chanvre et le mycélium (champignon) réputés comme très résistants ou encore, plus original, les écailles de poisson pour la construction de parois.
« Évidemment, toutes ces pratiques nécessitent des études approfondies en amont », poursuit la secrétaire générale.
« Il est impératif de miser sur une exploitation soutenable pour les territoires et qui soit non préjudiciable à la nature et à l’environnement. Les ressources devront donc être disponibles localement et les circuits courts seront privilégiés. Par exemple, le développement de la filière bois aux Antilles ne peut s’envisager sans un partenariat avec la Guyane. Agrandir les carrières pour l’usage de terre cru devra nécessiter l’implication d’un réseau d’acteurs. »

Une réglementation thermique 100 % Guadeloupe    
En 2011, la Guadeloupe, régie depuis 2009, par la RTAA DOM (réglementation thermique, acoustique et aération) spécifique aux territoires ultra-marins, choisit d’orienter sa politique énergétique sur l’axe « performancielle ». Avec la RTG (réglementation thermique pour la Guadeloupe), on passe d’une réglementation de moyen (RTAA DOM) à une réglementation de résultat. La collectivité décide également d’étendre la réglementation en vigueur aux bureaux et commerces et d’instaurer une DPEG (diagnostic de performance énergétique) lors de la construction, de la vente ou de la mise en location d’un bien immobilier.