Dans le cadre du programme OMBREE* (programme inter Outre-Mer pour des bâtiments résilients et économes en énergie), l’AQC (Agence qualité construction) a lancé le 28 juin dernier les Assises de la construction durable en Outre-mer dans le but de proposer des processus de production de référentiels adaptés aux spécificités des territoires. La Guyane est-elle une bonne élève en matière de construction durable ? Le point avec Laurent Claudot, président d’AQUAA (Actions pour une qualité urbaine et architecturale amazonienne).

Texte Sandrine Chopot – Photo Jody Amiet

Dans le domaine de la construction tertiaire public, les maîtres d’ouvrage sont en demande de la mise en œuvre de référentiels Qualité environnementale amazonienne (QEAuve).

Laurent Claudot, président d’AQUAA

Quel état des lieux pouvons-nous dresser en matière de construction durable en Guyane ?

Laurent Claudot, président d’AQUAA : Nous sommes à la croisée des chemins. Dans le domaine de la construction tertiaire public, les maîtres d’ouvrage sont en demande de la mise en œuvre de référentiels Qualité environnementale amazonienne (QEA), une adaptation de la démarche HQE® (Haute qualité environnementale) au contexte guyanais, avec notamment des progrès sur les cibles confort et flux. Faute d’objectifs politiques définis, il y a peu ou pas de progrès significatifs sur la cible écoconstruction, matériaux et produits locaux ni d’incitations fortes pour développer l’offre locale, même si l’on note quelques belles réalisations en bois du fait d’architectes militants.

Dans le domaine de la construction tertiaire privé, il y a encore beaucoup de travail. Il y a encore  beaucoup de projets énergivores à tous les points de vue. En public comme en privé, la Guyane ne dispose pas de service de management de l’énergie qui permettrait une optimisation continue en exploitation, hormis l’Université de Guyane qui initie une démarche avec un poste dédié. Enfin, en logement social comme privé, on souligne des progrès sensibles avec une meilleure application de la Réglementation thermique acoustique et aération (RTAA DOM). Des efforts sont également réalisés sur le volet paysager pour améliorer le confort des habitants mais les implantations restent trop souvent incompatibles avec une conception bioclimatique : densité, vis-à-vis, chambres au ras des trottoirs ou de la route….

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Quelles sont les nouvelles normes applicables ?

Il n’y a pas à ce jour de réglementation dans le tertiaire. À terme, l’État devrait avancer sur le décret tertiaire en fixant des seuils de consommation au m2 par secteur. De son côté la RTAA DOM (Réglementation thermique, acoustique et aération) révisée en 2016 reste proche de sa version de 2010. Elle vise à réduire les consommations énergétiques des bâtiments neufs à usage d’habitation afin de maintenir le confort de l’occupant. Pour le logement collectif et individuel groupé, le label NF Habitat de CERQUAL Qualitel Certification est désormais disponible en Guyane. Il offre une voie de progrès dans sa version NF HQE en adaptant les référentiels aux contraintes, techniques, économiques, climatiques du territoire.

Justement, quelles sont les spécificités de la Guyane en matière d’habitat ?

La Guyane est un département couvert à plus de 90 % par de la forêt primaire. Le territoire possède peu d’infrastructures et connaît une forte croissance démographique et par conséquent des besoins en logement importants. Il faut arriver à loger le maximum de personnes tout en conservant un niveau de qualité et de performance, pour répondre aux enjeux actuels et futurs, aux contraintes locales, tout en évitant la fracture sociale. Aujourd’hui, la Guyane doit faire face à un énorme enjeu de résorption de l’habitat insalubre du fait de la croissance démographique et de l’immigration.

Contrairement à la Métropole, le modèle de la “bouteille thermos” ne marche pas. Les conséquences du climat équatorial sont à prendre en compte. Il faut favoriser les protections solaires (écran plutôt qu’isolation), la ventilation traversante. Il est important d’avoir une réflexion globale sur la conception de l’enveloppe et de l’orientation des logements, de prendre en compte l’intimité, l’acoustique, les extérieurs. Idéalement concevoir des logements à faible inertie thermique, qui ne retiennent pas la chaleur pour le confort nocturne et favoriser la végétalisation pour lutter contre la minéralisation en ville, les îlots de chaleur.

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Quelles perspectives pour la Guyane en matière de construction durable ?

Il y a plusieurs trajectoires possibles surtout que la Guyane est plurielle sur le plan géographique comme culturel. La question est de savoir si l’on va enfin opter pour un mode de vie frugal et désirable ou promouvoir et faire croire à une société basée sur une consommation effrénée, modèle qui reste irréaliste pour beaucoup de personnes et donc une source de frustration et de violences.

Une possibilité serait d’aller vers des écosystèmes de ville amazonienne fortement végétalisés incluant non seulement de l’habitat individuel et des petits collectifs bien pensés mais aussi des services, des secteurs utiles, notamment agricoles, permettant une certaine autonomie, tout en évitant l’isolationnisme. Favoriser également les modes doux, augmenter la résilience… Nous ne serons que 500 000 habitants à terme… le meilleur est possible !

En matière de logement, contrairement à la métropole, le modèle de la “bouteille thermos” ne marche pas.

Éco-quartier Georges Othily
La réalisation de l’éco-quartier Georges Othily à Remire-Montjoly pensé par le cabinet Amarante Architecture est un exemple de construction durable. Abritant 1 500 logements dont 60 % en locatif social, deux groupes scolaires, des équipements et infrastructures publics, des commerces, Othily intègre les caractéristiques du développement durable : respect des paysages et des éléments naturels, optimisation des ressources du site pour l’aménagement des réseaux, constructions durables (utilisation de matériaux durables locaux, architecture bioclimatique performance énergétique, gestion de l’eau, modes doux…), mixité sociale et générationnelle.

Un symposium sur les matériaux durables !
Du 26 juin au 30 juin 2023, un symposium caribéen et amazonien sur les matériaux durables était organisé en Guadeloupe à l’initiative du Conseil régional de l’Ordre des architectes de Guadeloupe (CROAG) en partenariat avec Action Logement. Des experts d’Amérique latine, des Caraïbes, de France, de Martinique, de Guyane, de Guadeloupe, d’Afrique étaient réunis pour échanger et partager leurs expertises sur les dernières avancées en matière de matériaux durables dans le secteur de la construction. Plusieurs thématiques ont été abordées : la question des normes, des réglementations, la construction de villes résilientes face aux risques naturels majeurs, le développement de filières de matériaux durables tels que la terre crue, le bois, le bambou… et même les écailles de poissons !

La fin du béton est-elle proche ?     
En Guyane, le béton reste un matériau difficilement contournable en fondation voire en structure. Cependant l’emploi massif de ce matériau à forte inertie thermique, concourt notamment à l’inconfort thermique de début de nuit dans l’habitat… Des alternatives existent sur le territoire pour diversifier les matériaux et modes de construction.
« Concernant la BTCS (brique de terre compressée stabilisée), elle ne permet pas de faire un bâtiment complet mais elle peut s’inclure dans une mixité bois/brique, béton/brique. L’intérêt de la BTCS c’est sa masse. Elle offre une isolation phonique et permet de réguler en partie l’humidité dans les pièces d’un logement. Autre avantage, elle est produite localement avec une faible énergie grise », commente le président de l’association AQUAA (Actions pour une qualité urbaine et architecturale amazonienne), Laurent Claudot.
Par ailleurs, la validation de sa demande d’Appréciation technique d’expérimentation (ATEx) délivrée par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) permet la construction de murs porteurs en toute sécurité.
Quant au bois, il représente une valeur sûre du fait de sa faible inertie thermique et de son bilan carbone négatif (car il stocke du carbone). En Guyane, le bois de classe 3 et 4 est issu d’une forêt gérée durablement. Il peut être utilisé pour faire des charpentes, des structures, des bardages… Aujourd’hui, il n’est souvent employé que pour son côté esthétique et le cachet qu’il apporte aux constructions alors que c’est le matériau biosourcé idéal.
« En matière de construction, le poids de l’habitude est encore très présent sur le territoire, contrairement aux États-Unis, au Brésil, où l’on trouve beaucoup de maisons en brique ou en bois », estime Laurent Claudot. « En Guyane, on reste sur un modèle de construction d’Europe du Nord du fait des référentiels techniques utilisés, de l’influence culturelle européenne via les médias, du travail complexe de transcription de l’architecture vernaculaire selon les contraintes actuelles. »