Les Antilles-Guyane ont toujours entretenu des relations commerciales privilégiées avec l’Hexagone, au détriment de leur environnement régional. C’est un peu moins vrai aujourd’hui. Le développement à l’international, principale source de croissance pour les entreprises, séduit de plus en plus et bien au-delà de la Caraïbe. Décryptage avec Johann Remaud, directeur du réseau Outre-mer chez Business France.

Texte Sarah Balay – Photo Karollyne Videira Hubert

Quelle est actuellement l’implantation internationale des entreprises antillo-guyanaises ?

Joann Remaud : A ce jour, très peu d’entreprises antillo-guyanaises franchissent le pas de l’exportation. Autour de 5 %, pas plus. Les nouvelles qui se lancent sont majoritairement des petites structures de 1 à 10 salariés qui n’ont pas forcément d’assise solide. D’où l’importance de l’accompagnement. L’export c’est minimum trois ans avant d’avoir des résultats. C’est un processus très long.

« Autour de 5 % des entreprises antillo-guyanaises franchissent le pas de l’exportation »

Quels sont les freins persistants ? 

Exporter des produits depuis les Antilles-Guyane, c’est compliqué. La faute au manque de lignes maritimes, à l’enfermement et aux problématiques logistiques, fiscales et réglementaires. Actuellement, les produits qui sortent vont principalement vers l’Europe et l’Hexagone. L’activité majoritaire repose sur les exportations traditionnelles : banane, sucre et rhum. Le rhum tire son épingle du jeu en s’exportant aussi en Asie et aux Etats-Unis. Aujourd’hui, c’est quasiment impossible d’exporter des petites quantités. Les exemples ne sont malheureusement pas rares, d’entreprises ayant tenté l’export vers Sainte Lucie ou d’autres marchés de l’OECS (organisation des Etats de la Caraïbe orientale), pourtant très proches, ayant dû y renoncer en raison de contraintes logistiques trop élevées.

52% des entreprises accompagnées ont une personne dédiée à l’export (chiffres 2020/2022)

Quels sont donc les secteurs les plus disposés à l’export ?

L’export est plus accessible avec des produits de niche très différenciants à très forte valeur ajoutée comme le chocolat d’exception, la vanille, le curcuma, qui peuvent se vendre très cher et intéresser notamment les restaurateurs. En Guyane et en Martinique surtout, les cosmétiques naturels ou produits « phyto-santé » issus de la pharmacopée locale tirent leur épingle du jeu. Mais à ce jour, les entreprises antillo-guyanaises qui se démarquent à l’international, hors Europe, sont des sociétés de services, dont l’offre est forcément plus simple à exporter. Ces chefs d’entreprise « nouvelle génération », plutôt jeunes, ont fait leurs études à travers le monde et réfléchissent, dès leur lancement, à l’échelle globale. Ils sont souvent dans le secteur de la tech, de l’innovation, voire du conseil et très demandeurs d’accompagnement. Le bâti tropical (expertise et matériaux) est aussi un domaine qui s’exporte bien depuis les Antilles-Guyane.

“Les Africains semblent avoir tendance à vouloir commercer plus facilement avec une entreprise française dont le patron est Antillais”

Quelles sont les régions privilégiées ?

Les entreprises ont d’abord le réflexe Caraïbe. C’est à côté, proche culturellement (alors que pas forcément). Mais certaines font marche arrière car les freins sont importants : trop grande diversité de marchés, normes et règles différentes, barrière de la langue etc. D’autres régions sont ainsi privilégiées comme le Canada, marché lié aux Antilles-Guyane, très ouvert à l’univers de la tech, des innovations et de l’agro-alimentaire. Un marché à travailler dans les prochaines années, peut-être également sur le volet cosmétique. L’Amérique du Sud est très peu visée, mis à part le Brésil et le duo Surinam-Guyana depuis la Guyane. Depuis peu, une orientation importante se dessine vers l’Afrique (de l’ouest et centrale). La proximité culturelle, que l’on ne soupçonnait pas forcément, crée des facilités administratives et juridiques. Les Africains semblent avoir tendance à vouloir commercer plus facilement avec une entreprise française dont le patron est Antillais qu’avec une entreprise basée dans l’Hexagone.

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Les perspectives semblent toutefois encourageantes au vu des résultats de la dernière étude d’impact réalisée par Team France Export (TFE) ?

Pour cette étude, nous avons interrogé, en 2023, 77 chefs d’entreprises antillo-guyanaises accompagnées par la Team France Export (alliance regroupant Business France, les CCI et Bpifrance sous le pilotage des collectivités et de l’Etat). Les résultats sont effectivement encourageants si on les compare à ceux de 2021. Les entreprises sont nombreuses (45 %) à avoir concrétisé leur projet d’export à l’international à l’issue de l’accompagnement. C’est 15 % de plus. Nous constatons aussi un maintien des entreprises qui se sont lancées et une meilleure répartition par zone. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises locales ont fait le tour de l’ensemble des marchés français de la zone et veulent prendre des marchés ailleurs. Elles ont toutefois davantage besoin d’accompagnement que celles de l’Hexagone. Nous leur conseillons, entre autres, de recruter du personnel dédié, d’éviter d’aborder trop de marchés en même temps et de soigner leur stratégie de communication (présence sur les réseaux sociaux, plaquette, site internet). 

Afin de booster les synergies et l’exportation collaborative (achats groupés), TFE organise aussi des événements : en septembre, huit acheteurs Américains et Nord-Américains du secteur de l’agro-alimentaire ont rencontré une trentaine de professionnels en Martinique, puis en Guadeloupe. En octobre, un bootcamp digital a rassemblé des pointures de la Tech antillaise au Canada.

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Export Un nouvel outil dès 2024 

Olivier Becht, ministre délégué au commerce extérieur, a annoncé, fin août, un plan de 125 millions d’euros sur la période 2023-2026. Parmi les mesures, une aide à l’embauche dénommée « volontariat territorial export (VTE) ». Il s’agira de soutenir le recrutement d’étudiants ou de jeunes diplômés pour des missions dédiées à l’export. Dès 2024, le chef d’entreprise pourra percevoir une subvention de travail pouvant atteindre les 12 000 euros plafonnés à 50 % des dépenses liées à la mission pour un contrat de travail de deux ans maximum. Business France sera l’opérateur public de ce programme.

« L’internationalisation des Outre-mer est un sujet qui intéresse aujourd’hui les pouvoirs publics nationaux, bien au-delà du ministère des Outre-mer qui soutient déjà depuis
15 ans les entreprises et territoires dans cette démarche,
poursuit Johann Remaud. Exporter contribue à renforcer l’économie locale en termes d’emploi et de richesse tout en renforçant la présence française dans le monde. Il faut donc continuer à soutenir, tous ensemble, (Etat, collectivités, acteurs locaux) la création de valeur ajoutée locale. »

Caricom L’adhésion de la Martinique peut-elle changer la donne ? 

Depuis août, la Martinique est officiellement membre associé de la Caricom. Elle devient la première région française à rejoindre cette communauté des Caraïbes créée en 1973 comptant 20 membres et un marché de 18 millions de personnes. La Guadeloupe, qui a fait, comme la Martinique, acte de candidature depuis 2012, n’a, pour le moment, pas été retenue.

A ce jour, l’organisation a créé des institutions régionales mobilisées sur différents secteurs comme l’éducation, la santé, l’agriculture, la culture, la gestion des catastrophes naturelles, le changement climatique et la sécurité. Son ambition de construire un espace de libre échange autour d’un marché unique tarde toutefois à se concrétiser. En effet, l’absence d’un transport régional fiable, aérien et maritime, empêche, pour l’instant, le développement du commerce régional et le déplacement des populations.

Selon Joann Remaud, « être associé à la Caricom est une très bonne chose, mais cela restera forcément limité du fait de l’ancrage des Antilles à l’union européenne. C’est difficile d’appartenir pleinement aux deux. Toutefois à défaut de pouvoir profiter pleinement d’une zone de libre-échange, l’adhésion à la CARICOM accélèrera la connaissance mutuelle et pourrait amener à l’émergence d’accords bilatéraux ». A noter que les Antilles sont déjà membres de l’AEC, association des États de la Caraïbe depuis 2014 et de l’OECO, l’organisation des États de la Caraïbe orientale, depuis 2019.

Top 6 des pays visés
( étude d’impact 2023 Antilles-Guyane )

les Etats-Unis
la Dominique
Sainte-Lucie
le Canada
le Royaume-Uni
la Côte d’Ivoire