Comment et dans quel contexte les entreprises locales et les laboratoires travaillent-ils ensemble ? Nous sommes allés visiter le laboratoire des matériaux et molécules en milieu agressif (L3MA), seul laboratoire français travaillant sur les inhibiteurs de corrosion naturels issus de la biodiversité tropicale. Découvrez la recherche appliquée dans les Antilles-Guyane.

Texte Alix Delmas – Photo Jean-Albert Coopmann

Nous travaillons pour la Martinique et pour la Caraïbe, c’est notre leitmotiv. Nous travaillons avec notre écosystème.

Christophe Roos, directeur adjoint du laboratoire des matériaux et molécules en milieu agressif (L3MA) et doyen de la faculté de sciences

Laboratoire de recherche

Créé en 2007 en Guyane, d’abord rattaché à une UMR (Unité Mixte de Recherche), le L3MA est désormais basé en Martinique et affilié à l’Université des Antilles depuis 2015. Ce laboratoire qu’on appelle par son acronyme, le L3MA, s’attèle à trouver des solutions à de nombreux phénomènes physico-chimiques en lien avec : la corrosion, l’énergie, la valorisation des déchets, la modélisation pour les prévisions des dynamiques des biomasses. Ce laboratoire de recherche appliquée entretient de facto des collaborations régulières et suivies avec des entreprises et partenaires industriels. « C’est un travail dans les deux sens » nous explique son directeur, Florent Robert. « Soit un industriel nous sollicite pour travailler avec lui (ce que nous faisons si la demande nous paraît scientifiquement pertinente et dans nos domaines de compétences), soit nous avons des idées où nous percevons potentiellement des débouchés et recherchons des entreprises pour les développer ». Il cite à cet égard la DRARI (Direction Régionale Académique à la Recherche et à l’innovation) qui intervient pour orienter les entreprises qui ensuite les sollicitent. 

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Une collaboration de la première heure pour la recherche appliquée

La première collaboration avec un partenaire industriel est antérieure à la création du L3MA puisqu’elle débute au milieu des années 90 entre son prédécesseur, le LMME (Laboratoire Mécanique, Matériaux, Environnement) et la Sollac (Société Lorraine de Laminage Continu), devenue Arcelor Mittal, puis aujourd’hui Mittal. L’objectif pour le fabricant de tôles, à l’époque, est de proposer des revêtements résistants au climat tropical. Avec la mise en place de terrains d’exposition des échantillons en Guyane, des relevés de station quotidiens pendant dix ans, le laboratoire réussira à mettre au point un système d’évaluation de la résistance des matériaux basé sur les ultrasons qui ne dure que quelques minutes. Pari relevé. 

Plus récemment, le L3MA a participé à un travail d’ampleur piloté par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) regroupant neuf partenaires dont l’Institut de la Corrosion de Brest (qui regroupe de nombreux fabricants de peintures) sur la présence de nouveaux polluants, et notamment la façon dont les sargasses impactent leurs systèmes de protection des revêtements. L’objectif, là aussi, prévoir à quelle vitesse se dégradent les matériaux, notamment avec le concours de sociétés qui développent des capteurs électroniques : « la corrosion est liée à des réactions d’oxydo-réductions, en mesurant le courant des transferts d’électrons, les capteurs vont en fonction de la densité du courant permettent de comprendre à quelle vitesse les matériaux se dégradent » nous explique Christophe Roos, directeur adjoint et doyen de la faculté des sciences.

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Enjeux mondiaux et partenariats locaux

Actuellement le laboratoire supervise deux thèses CIFRE (Conventions Industrielles de Formation par la Recherche) en collaboration avec l’entreprise SARA (Société Anonyme de la Raffinerie des Antilles) sur la production d’hydrogène. Leurs travaux portent notamment sur des procédés d’électrolyse par bioélectrochimie. Un sujet de recherche qui occupe le devant de la scène mondiale, puisque sa production, aujourd’hui très énergivore, revêt des enjeux cruciaux en termes d’autonomie énergétique et d’intérêt géostratégique pour nos territoires. Un nouveau partenariat est également en train de voir le jour avec Caraib-Moter sur des solutions locales d’ingénierie d’enrobés pour l’élaboration de nouveaux matériaux…

Nouvelle source d’énergie pour la recherche appliquée

Aux collaborations industrielles s’ajoutent les collaborations académiques. Le L3MA travaille depuis de nombreuses années sur les piles microbiennes (bio-piles) :
« certains micro-organismes ont des métabolismes particuliers dits électroactif, certaines bactéries ont la propriété de dégrader des déchets organiques et de transférer des électrons sur un support conducteur que nous captons pour créer de l’énergie » nous explique Florent Robert. Partenaire d’un projet porté par le LGC (Laboratoire de Génie Chimique) et le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique), le L3MA a encadré une première thèse soutenue en 2011 à ce sujet. Ces recherches correspondent, pour l’instant, à des niches d’application et se heurtent encore à des verrous technologiques que le L3MA tente de lever. L’équipe du laboratoire poursuit ses recherches en collaboration étroite avec l’École Centrale de Lyon sur des pistes d’amélioration du rendement d’un point de vue électronique. 

Le L3MA travaille actuellement sur des projets liés à la production de biométhane. Il poursuit également ses recherches sur des consortia issus des mangroves locales. Il développe aujourd’hui des recherches sur les biomatériaux (bagasse, sargasses, etc) et ses différents types d’application qui donneront prochainement lieu à de nouvelles collaborations avec le monde économique. Peu médiatique et très rarement mise en avant, la recherche scientifique déployée localement permet à la fois d’enrichir la recherche fondamentale et de mettre à jour des applications concrètes et conformes à nos écosystèmes biologique, climatique, géologique…

Trois équipes de recherche 
Ralentir la corrosion des métaux
équipe IMMI (Interactions Matériaux et Molécules d’Intérêt)
Cette première équipe travaille sur les agressions chimiques. « Il suffit de regarder le toit d’une maison ou la carrosserie d’une voiture pour comprendre » sourit Christophe Roos. L’équipe s’attache à trouver des molécules d’intérêt pour stopper ou ralentir la corrosion des métaux. Elle le fait avec une philosophie verte, c’est-à-dire que l’extraction de ces molécules doit être faite de façon respectueuse de l’environnement et ces molécules doivent être naturelles ou éco-compatibles et ne doivent pas polluer une fois qu’elles se dégradent.

Se protéger des bactéries
équipe IMMO (Interactions Matériaux et Micro-organismes)
La seconde équipe travaille sur les agressions liées à la présence de bactéries, champignons etc. Un exemple parlant est le pont du Larivot en Guyane qui s’est affaissé en 2009 due à une corrosion liée à la présence de micro-organismes. « Présentes principalement dans des milieux aqueux, certaines bactéries ont des métabolismes qui conduisent à la production d’acide qui attaque les métaux de structure, les ponts, les conduites, les coques et moteurs de bateaux » poursuit Christophe Roos. Ainsi l’équipe IMMO cherche des solutions naturelles pour élaborer des revêtements sur des surfaces immergées pour éviter que les bactéries y adhèrent.

Modéliser la nature 
équipe IBIP (Interactions en dynamiques des Biomasses et des Populations)
Enfin l’équipe IBIP s’attache à la modélisation de phénomènes biologiques. Depuis peu, elle investit ses compétences pour obtenir des prévisions fines des échouements de sargasses et trouver des pistes de valorisation. Pour cela, il est impératif de définir précisément les trajectoires et les quantités de biomasse venant s’échouer à l’échelle de la Martinique.