En Guyane, où l’éloignement géographique de nombreuses communes pose un problème d’accès aux soins, le développement de technologies de réalité assistée permet au SAMU de piloter à distance des interventions médicales, d’ajuster des diagnostics et de renseigner des situations. Nous vous présentons les lunettes connectées.

Texte Adeline Louault

Le contexte guyanais

Le SAMU de Guyane est confronté quotidiennement à des situations difficiles : les zones d’intervention sont vastes et nécessitent des déplacements importants. En temps normal, les communes isolées n’ont que la pirogue ou l’avion comme moyens de transport. En cas d’urgence médicale, il faut compter 2 h en moyenne pour une évacuation sanitaire en hélicoptère, avec un seul appareil à disposition qui, en outre, ne peut pas voler de nuit. Par ailleurs, les difficultés de communication (plus de 11 langues sont recensées) peuvent gêner certains diagnostics. Dans ce contexte, le développement de la télémédecine d’urgence constitue un enjeu majeur. L’utilisation de technologies de réalité assistée facilite un accès instantané aux soins. « Si ces outils se sont aujourd’hui largement démocratisés dans de nombreux services médicaux en France, la Guyane a été, en 2021, l’un des premiers territoires à les expérimenter », explique Jean-Marc Pujo, chef des urgences-SAMU à l’hôpital de Cayenne. Nommé XpertEye, le dispositif utilisé par le SAMU 973 est une suite logicielle qui propose diverses fonctionnalités de communication vidéo. Peuvent s’y connecter des smartphones, des lunettes équipées d’une caméra mais aussi des appareils médicaux comme un stéthoscope, un dermatoscope, un échographe, etc. Transmises de manière strictement sécurisée, les données de santé ne sont pas conservées afin de respecter la législation.

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Les lunettes connectées : une solution bas débit

Le SAMU et les 18 Centres délocalisés de prévention et de soins de Guyane (CDPS) ont accès à ce logiciel d’assistance vidéo et sont équipés de lunettes connectées. Doté d’une caméra et relié à un smartphone dédié, cet outil innovant a plusieurs usages : la téléexpertise, lorsque le praticien a besoin de l’avis d’un confrère par exemple lors d’accouchements prématurés ; la téléassistance lors d’interventions délicates (suture, intubation, etc.). Les lunettes permettent au médecin régulateur, basé à Cayenne, de visualiser une intervention à distance et de guider pas à pas l’opérateur, généralement un infirmier en pratiques avancées ou un correspondant SAMU. Bien qu’inégale en Guyane, la couverture réseau ne pose pas de réel problème.
« La particularité de cette solution est qu’elle utilise du bas débit pour fonctionner. Nos équipes peuvent  même nous transmettre des vidéos depuis un avion de ligne, lors des évacuations sanitaires long courrier », précise Jean-Marc Pujo.

Des lunettes connectées pour documenter la situation

Les lunettes sont également utilisées par les équipes du SAMU lorsqu’elles arrivent sur les lieux d’une catastrophe.
« On voit la scène en temps réel ce qui nous permet d’évaluer la gravité de la situation et de proposer la solution la plus adaptée et la plus rapide, d’autant que notre système est connecté avec l’état-major international, la préfecture et l’ARS. »

La solution de vidéo assistance propose également une autre fonctionnalité appelée télérégulation. Comme il est souvent difficile d’évaluer précisément ce qui se passe en interrogeant simplement la personne qui appelle le 15, encore plus quand elle ne parle pas la même langue, le médecin régulateur des urgences peut envoyer un lien sécurisé par SMS ou par e-mail au patient. D’un simple clic, l’appelant accepte l’invitation et le dispatcheur peut apprécier la situation grâce à la caméra du smartphone. « De même, si vous êtes témoin d’un accident et que vous n’arrivez pas bien à décrire les choses, le SAMU vous envoie ce lien et peut directement avoir accès à la scène. »

Grâce à ce système encore en phase d’évaluation, le SAMU Guyane espère bientôt pouvoir réduire de 15 à 20 % le nombre de transports sanitaires entre les CDPS et l’hôpital. « L’efficience n’est pas encore là car jusqu’à présent nous manquions de personnes formées et de moyens de diagnostic (échographe et radio) sur site. Mais nous sommes en train d’y remédier. »

lunettes connectées
Réunion de médecins basés à l’hôpital de Cayenne pour le suivi à distance d’une opération endoscopique.

Métier “les correspondants SAMU”
Face au contexte géographique particulier de la Guyane et au manque de moyens humains, le service des urgences a vu la nécessité de former des « correspondants SAMU », capables d’intervenir seuls dans des zones reculées. Créée il y a deux ans et dispensée à l’Université de Guyane par des urgentistes, la formation au DU Initiation à la médecine d’urgence s’adresse aux médecins toutes spécialités sauf urgentistes et réanimateurs et aux infirmiers diplômés d’État. Elle permet d’acquérir les bases nécessaires à la prise en charge seul ou en équipe et par délégation de compétences, des urgences vitales et fonctionnelles, en l’absence d’environnement hospitalier adéquat et dans l’attente de l’arrivée en renfort d’équipes spécialisées. « La majorité de nos étudiants travaillent dans les CDPS et ne peuvent pas se rendre régulièrement à Cayenne pour suivre les cours. La formation est donc souvent assurée en e.learning grâce aux lunettes connectées et aux autres fonctionnalités de notre dispositif d’assistance vidéo », précise Jean-Marc Pujo.

18 centres de soins
Un dispositif sanitaire spécifique à la Guyane a été mis en place pour les populations isolées de l’intérieur du territoire. Le maillage sanitaire est représenté par les 18 centres délocalisés de prévention et de soins (CDPS), animés par une cellule de coordination constituant un des pôles de l’hôpital de Cayenne. Leur rôle est majeur dans la gestion de l’offre de soins, qui y sont gratuits, car il s’agit parfois du seul acteur permanent sur le terrain. Des médecins généralistes, infirmiers et sages-femmes y officient. Des médecins spécialistes (gynécologues, infectiologues…) viennent également du littoral pour des permanences plusieurs fois par mois.

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