À l’heure où notre système de santé connaît une crise sans précédent, l’occasion nous est donnée de le réinventer.  

Notre expert : Pr. Corinne Grenier, co-rédactrice du rapport 

Pr. Corinne Grenier, co-rédactrice du rapport 

« Prospective des métiers de la santé à l’horizon 2040 » pour l’OPCO Santé 

L’une des cinq thématiques structurantes du rapport est intitulée « Organisation et régulation du système de santé », diriez-vous que l’insularité des Antilles est un facteur qui décuple le phénomène de métropolisation ?

Pr Corinne Grenier : La métropolisation désigne la concentration des établissements de santé en certains lieux du territoire. Son corollaire, ce sont les déserts médicaux, en médecine générale ou en spécialité, y compris dans certains quartiers de grandes villes, comme Marseille. Les Antilles n’échappent pas à ce constat qui découle de l’orientation générale du système de santé français. Il est indispensable de lutter contre cette hyper concentration, par la télémédecine ou par le « hors les murs », en déployant des équipes mobiles ou la fonction ressources des établissements médicaux sociaux, ou encore des dispositifs de coordination tels que le DAC, dispositif d’appui à la coordination (équipe qui organise les parcours de santé). Il s’agit de mettre à disposition les expertises, dans une approche d’« aller vers » pour faciliter l’accès aux soins de tous.

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La télémédecine est-elle une solution santé d’avenir pour nos territoires ?

Elle permet, en effet, de réduire les inégalités sociales en matière de santé, même si rien ne saurait remplacer le contact physique. On distingue deux types de télémédecine : celle où le praticien peut se connecter à d’autres experts, dans le monde entier, par exemple quand un chirurgien est téléguidé à distance au cours d’une opération ; et celle qui met en lien le médecin et le patient. Toutefois, l’illectronisme, c’est-à-dire le manque de savoir face aux outils numériques, limite aujourd’hui bon nombre de personnes. Dans ce cas, investir sur du coaching et de l’accompagnement a du sens, le « care manager » serait là pour faciliter la communication auprès des personnes moins à l’aise avec ces outils. On peut très bien également imaginer des lieux de connexion, au sein des maisons de santé, en présence d’une infirmière ou une aide sociale qui expliquerait le diagnostic, ou la prescription. La télémédecine peut se faire depuis ces lieux. Au-delà de la télémédecine, les professionnels de santé, comme les pharmaciens, peuvent endosser un nouveau rôle. Ce sont des partenaires de proximité qui connaissent les patients, leur famille et leurs habitudes en termes d’observance ou d’adhérence à leur traitement. L’URPS* Pharmaciens PACA expérimente actuellement, par exemple, la nouvelle fonction de e-pharmaciens-correspondants, qui, dès lors que le patient les autorise, sont en mesure de dresser un bilan de médication ou de renouveler les ordonnances.

Face au vieillissement de la population, qui est déjà palpable aux Antilles, vous émettez l’hypothèse d’une évolution du parcours de soins qui conduirait à une prise en charge plus globale du patient, alliant médical et social. Expliquez-nous.

Nous devons envisager des lieux plus accessibles qu’un hôpital. Tout pousse vers une transformation du cabinet médical en maison de santé pluridisciplinaire, idéale pour les personnes âgées, avec kiné, infirmière, orthophoniste, médecines générale et spécialisée. Il y a 20 ans, on parlait de parcours de soin, puis de parcours de santé, aujourd’hui on parle de parcours de vie, avec des coachs et des éducateurs, qui travaillent beaucoup autour des activités physiques. En région PACA, une structure spécialisée dans l’innovation en santé (CIUS Santé) a été mandatée par une maison de santé pour concevoir l’intérieur du bâti et l’aménagement de son jardin, en concertation avec ses patients, pour qu’elle soit accueillante et qu’elle devienne un lieu où on a plaisir à venir. Cette réflexion collective fait donc aussi des maisons de santé des lieux de sociabilité.

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Vous envisagez même l’émergence de nouveaux lieux pour vieillir, voire la prise en charge et le maintien à domicile des patients, quels nouveaux métiers ou nouvelles compétences cela suppose-t-il ?

Aujourd’hui, l’alternative au domicile, quand on peut avoir accès à des services et des soins infirmiers, est l’EHPAD, qui est une structure de plus en plus « sanitarisée ». On y entre aussi de plus en plus tard pour un an, en moyenne. Entre les deux se développe tout un ensemble de vocabulaire : « habitat intergénérationnel », « habitat inclusif », « habitat regroupé » ou
« maisons autonomes ». Tous désignent de petits immeubles ou plusieurs maisons, dans un même périmètre, où chacun y vit dans son propre logement, avec un accès facilité à des services à domicile et des lieux de vie communs pour les repas ou le divertissement. Un professionnel, animateur de la vie sociale ou concierge, facilite la vie dans ce lieu en apportant son aide dans la vie quotidienne. Ce sont des choses intéressantes.

L’intergénérationnel permet de mixer les anciens et les jeunes, avec cette idée de transmission culturelle en plus. Cela se développe beaucoup par des fondations et des mutuelles. L’habitat inclusif, lui, est plutôt destiné aux personnes en situation de handicap. Dans cet habitat, en plus, le soutien à la vie communautaire est un ingrédient essentiel pour développer l’entraide, ces personnes se soutenant mutuellement pour développer leur « autodétermination » (empowerment). 

Qu’est-ce que la gérontechnologie ?

Il s’agit de la technologie pour les personnes âgées, qui peut d’ailleurs être adaptée aux personnes handicapées. C’est très vaste : il peut s’agir d’aides techniques pour la prise de médicaments avec les piluliers électroniques qui vont sonner à l’heure de la prise du traitement ; d’outils palliant le problème de désorientation comme la canne ou la montre connectées qui vont sonner si on se trompe de chemin et qui intègrent un système de géolocalisation. Mais la gérontechnologie concerne aussi la domotique : commande à distance pour la climatisation ou système de caméra dans les chambres pour voir si une personne est tombée. Ce sont des progrès mais cela doit venir en complément de métiers qui permettent, par exemple, de faire un audit de son logement (hauteur des meubles ou des marches, présence de tapis, etc.) et de proposer des solutions de réaménagement.

* Union des professionnels de santé.

Zoom :
Place à l’empowerment du patient !
L’empowerment désigne le pouvoir d’agir d’un individu, c’est particulièrement vrai pour les personnes en situation de handicap. Il s’agit de mettre la personne en situation de faire par elle-même, par la mise en place d’outils mais aussi d’accompagnateurs sociaux. L’empowerment est intimement lié aux savoirs de l’expérience, le médecin (ou autre professionnel) ne sait pas tout. Le patient, lui, vit au quotidien avec sa maladie ou son handicap, il a donc aussi des choses à dire, son expérience compte et à une vraie valeur qu’il faut mettre à disposition. Dans le cadre des universités de patients, ce sont les patients qui forment les futurs professionnels…. Ce modèle patient-partenaire est au cœur de plusieurs travaux et réflexions, au sein du Centre d’innovation du partenariat avec les patients et le public (CI3P) ou encore de la Croix-Rouge française.