Une relance inclusive et décarbonée dans l’ensemble des outre-mer

Coralie Custos Quatreville

Faire de la politique, c’est avant tout prévoir. Gérer une crise, c’est souvent accepter que la vérité d’un jour ne soit plus celle du lendemain. Retour sur le confinement vu et vécu par la Ministre des Outre-mer, Annick Girardin. 

Madame La Ministre, bonjour. Les 55 jours de confinement ont été éprouvants pour chacun d’entre nous. En tant que ministre des Outre-mer, vous avez dû assurer la coordination entre les différents territoires et suivre l’évolution de chaque département. Comment s’est organisée la gestion de crise ? 

En temps « normal » — c’est-à-dire, hors crise – en tant que ministre des Outre-mer, mon action consiste, en grande partie, à coordonner les politiques publiques selon les spécificités de chacun des territoires.

La crise sanitaire liée au Coronavirus a largement complexifié la tâche : face à un virus dont on sait encore peu de choses, face à des territoires où l’épidémie est en constante évolution, c’est évidemment un véritable défi de parvenir à répondre aux sollicitations de chacun.

Mais cette effervescence et cette nécessité de s’adapter constamment font aussi toute la saveur de mon travail. Je suis une femme de terrain ; avec le confinement, j’ai dû, comme tout le monde, m’adapter et trouver de nouvelles habitudes de travail : les visioconférences, les entretiens par téléphone, les échanges avec les différentes cellules de crises, la communication… tout cela s’est fait à distance. Avec toujours le même impératif majeur, au cœur de mon engagement depuis ma prise de fonction en 2017 : la protection des territoires d’outre-mer.

Je tiens à remercier toutes celles et ceux qui se mobilisent à mes côtés, qui ont passé outre les désagréments du télétravail. Nous continuons de mener une guerre contre ce virus.

 « L’urgence a nécessité d’être constamment au front, à toute heure du jour ou de la nuit. »

Mais la politique, c’est avant tout prévoir. Gérer une crise, où souvent la vérité d’un jour n’est plus celle du lendemain, m’a conduit à ne pas me précipiter.

« Coronavirus Covid-19 : dès demain minuit, les vols reliant l’Hexagone et les #outremer seront interdits jusqu’au 15/04 », écriviez-vous sur twitter, le 22 mars. Combien d’heures de réflexion et de consultations faut-il pour réussir à prendre une telle décision ?

En temps de crise plus encore qu’en temps normal, urgence ne doit pas rimer avec précipitation. À chacune des mesures nationales prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie, j’ai toujours associé aux réflexions, les préfets, qui associent eux-mêmes les élus d’outre-mer pour trouver la meilleure réponse possible, adaptée aux spécificités de chaque territoire, à la lumière des recommandations des autorités et des experts de santé.

Cette décision de réduire drastiquement les vols entre l’Hexagone et les Outre-mer fut difficile à prendre. Mettre les territoires sous cloche, c’est une décision lourde de sens. Mais la protection sanitaire a toujours primé dans notre réponse face à la crise.

Pour autant, il était hors de question de mettre complétement à l’arrêt les vols, ne serait-ce que pour poursuivre la livraison de matériels sanitaires, de renforts humains et d’équipements. À Mayotte, des vols affrétés par l’Etat maintiennent les liaisons au strict besoin en raison de la situation épidémique très préoccupante sur place.

La continuité territoriale reste essentielle pour le lien entre l’Hexagone et les Outre-mer.

De nombreux dispositifs inédits ont été mis en place pour répondre à l’urgence. Nous citons par exemple l’envoi du Dixmude, l’arrivée de médecins étrangers pour venir en renfort au milieu hospitalier ou encore l’immense pont aérien entre Mayotte et La Réunion. Quelle gymnastique politique et diplomatique faut-il, pour parvenir à la réussite de telles opérations ? 

Cette gymnastique, c’est ce que j’appelle le « réflexe outre-mer ». Le réflexe outre-mer, c’est mettre les territoires ultramarins au cœur de nos politiques. C’est faire en sorte qu’ils soient pris en compte dans chaque décision nationale. Et comme tout réflexe, il faut l’entretenir, c’est aussi mon rôle au sein du Gouvernement !

L’envoi des porte-hélicoptères, Dixmude aux Antilles ou Mistral dans l’Océan indien, a réclamé un travail logistique très important. C’est d’abord l’une des traductions concrètes de l’opération Résilience annoncée par le président de la République le 25 mars 2020. C’est ensuite le résultat d’un travail important mené en étroite collaboration avec le ministère des armées.

L’arrivée de médecins étrangers pour renforcer les équipes soignantes outre-mer est un combat que je portais avec les élus ultramarins bien avant la crise Covid-19. Là aussi, c’est l’affaire de négociations, d’échanges entre différentes cellules diplomatiques. Le 31 mars, le décret est publié, il permet le recrutement de spécialistes de santé pour une durée de deux mois renouvelable, quel que soit le pays d’origine.

Mon objectif, c’est d’aller chercher les compétences là où elles se trouvent en simplifiant les procédures. Mais je note que nos systèmes de santé outre-mer, avec des renforts de l’Hexagone pour certains territoires, ont pu faire face jusqu’à présent à la situation : il faut saluer le travail exceptionnel réalisé par les personnels de santé dans les territoires.

J’ai toujours cru dans la coopération régionale – j’étais autrefois Secrétaire d’État au Développement et à la Francophonie, on ne se refait pas ! Il est essentiel de poursuivre la coopération : la France continuera d’être influente si elle maintient l’aide au développement.

« J’ai la conviction que les Outre-mer sont idéalement placés dans les 3 océans pour être les têtes de pont de la coopération dans leurs bassins respectifs. Sans doute faut-il davantage axer nos politiques sur la santé et l’éducation. »

A l’aune des premiers temps du déconfinement, peut-on déjà parler d’un bon bilan ou est-ce encore trop tôt ? 

Jusqu’à présent, la propagation du virus a été contenue dans les Outre-mer, hormis à Mayotte où la crise sanitaire et l’épidémie de dengue se sont combinées aux fragilités sociales et économiques préexistantes. Je reste très vigilante sur l’évolution en Guyane également, notamment dans la région de l’Oyapock.

Si le virus est contenu et que les territoires sont entrés en phase de déconfinement, je reste néanmoins prudente. Face à une crise qui a fait plusieurs dizaines de victimes en outre-mer et alors que le virus circule, notamment à Mayotte, le temps n’est pas venu de dresser un bilan.

« Ce sont les soignants, les caissiers, les agriculteurs, les services sanitaires, les gendarmes et les policiers, les pompiers, les éboueurs qu’il faut féliciter. »

J’ai, bien entendu, une pensée pour l’ensemble des familles qui ont été touchées par l’épidémie ; je pense aussi à toutes les familles profondément affectées par les conséquences du confinement, qu’il s’agisse des violences intrafamiliales ou de la pauvreté.

Et je veux saluer aussi le civisme et le sens des responsabilités des citoyens qui ont globalement bien respecté les mesures de confinement dans des conditions parfois difficiles et qui permettent aujourd’hui le déconfinement.

Ma priorité restera toujours de protéger les territoires. C’est mon travail et le sens de mon action depuis que je suis à la tête de ce ministère.

Après notre numéro « Les territoires se mobilisent », notre rédaction entame un nouveau e-magazine intitulé « Nos sociétés s’adaptent ». Que vous évoque la notion d’adaptation ? 

S’adapter, c’est comprendre. C’est prendre tous les facteurs en compte pour prendre la bonne décision. C’est une notion indispensable pour la politique que je suis. L’adaptation, c’est par exemple, prendre en compte les spécificités des Outre-mer dans l’élaboration d’une loi.

S’adapter, c’est aussi transformer. Les sociétés doivent s’adapter au changement climatique, qui reste le défi du siècle. C’est pour cela que je parle toujours de la transformation pour les territoires d’outre-mer, qui sont les plus à même de parvenir à réussir la transition écologique, à travers la Trajectoire outre-mer 5.0.

S’adapter, c’est également innover. Je crois en l’innovation frugale, qui n’est pas du tout un concept réducteur – un reproche que j’ai souvent entendu quand j’utilise cette expression. Il s’agit de s’adapter avec une devise : comment faire mieux avec moins.

Les territoires d’outre-mer sont les plus à même de fournir des solutions qui leur conviennent, j’en ai la certitude.

Vous avez lancé la trajectoire 5.0 l’année dernière et signé la charte d’engagement en faveur des territoires pour favoriser le « zéro carbone », « zéro déchet », « zéro polluant agricole », « zéro exclusion », « zéro vulnérabilité ». Le « monde d’après » devra évidemment suivre ces objectifs mais avons-nous réellement des leviers opérationnels pour y arriver ? 

La Trajectoire outre-mer 5.0, ce n’est pas qu’un assemblage de mots à la mode. C’est ce qui guide mon action au ministère, c’est une vision concrète de l’avenir pour nos Outre-mer. Les leviers opérationnels pour y parvenir, ils existent au ministère des Outre-mer !

« Des moyens financiers en premier lieu avec le Fonds exceptionnel d’investissement, une réserve de 110 millions d’euros par an pour porter des projets du quotidien : écoles, routes, eau, assainissement, ports… Ce fonds, c’est véritablement notre outil pour améliorer le quotidien des ultramarins. » 

Je l’ai entièrement réservé à des projets qui répondent à l’un ou plusieurs objectifs de la Trajectoire outre-mer 5.0.

Ce sont aussi des moyens humains, d’ingénierie notamment, avec l’Agence Française de Développement (AFD) et la Caisse des dépôts qui proposera des formations 5.0 dans son campus dès la rentrée 2020. Fin 2019, nous avons ouvert un fond dédié 5.0 hébergé à l’AFD qui se monte à 17,5 millions d’euros dont 2,5 réservés à la recherche.

Avec la crise du Covid-19, plusieurs de mes interlocuteurs ont considéré que je mettais de côté la Trajectoire outre-mer 5.0. C’est tout le contraire : elle va nous servir pour accentuer la résilience de nos territoires face à des changements et à des menaces qui demeurent.

La reprise de la vie sociale et la relance économique passent obligatoirement par cette Trajectoire. Dans le cas contraire, nous reproduirions les erreurs du passé. Je veux une relance inclusive et décarbonée dans l’ensemble des Outre-mer.

EWAG est un média positif parce que nous choisissons de mettre l’accent sur ce qui fonctionne et celles et ceux qui avancent. Pourrions-nous finir cette interview avec 2 ou 3 exemples de réussites individuelles et collectives que vous avez observées durant cette période de confinement ?

Je ne peux que vous soutenir en tant que media positif sur les Outre-mer. Trop souvent, les Outre-mer sont associés aux problèmes, aux crises, alors que les solutions existent et elles viennent des citoyens. Votre précédent numéro sur la mobilisation des territoires était excellent.

Lors de ce confinement, j’ai encore vu des exemples de réussite venant des Outre-mer.

Je pense aux rhumiers de Martinique, Guadeloupe et de La Réunion qui ont fourni de l’alcool pour la fabrication de gel hydroalcoolique.

Je pense à la Guyane, où la collectivité territoriale, l’Etat et la chambre des métiers ont mis en place une production de dizaines de milliers de masques par semaine, faisant travailler les centres de formation professionnelle, les lycées et les détenus du centre pénitencier.

Je pense à la Martinique, où la Startup Karaib 3D a imprimé des visières en 3D pour les personnels soignants.

Je pense à toutes les innovations venues des territoires pour assurer la continuité pédagogique, notamment à Mayotte ou en Guyane avec la distribution papier des équipements pédagogiques pour atteindre les populations isolées.

Je pense à « Ansamb », une application réunionnaise de traçage numérique pour lutter contre le coronavirus mis au point par le collectif d’entrepreneurs « Mouvement Solidaire des Entrepreneurs Réunionnais ».

Je pense à la diffusion de cours sur les radios et télévisions locales en Guadeloupe avec Radio Inter S’cool et plus généralement la mobilisation des chaînes la 1ère.

« Dans le monde d’après, il faudra continuer à prendre des initiatives, à réfléchir, à imaginer des solutions hors du commun. C’est aussi cela qui marquera notre victoire face à la Covid-19 ! »


Cet article a été initialement publié dans l’e-magazine EWAG | Nos sociétés s’adaptent. Découvrez le magazine complet et son contenu interactif en cliquant ici.