Dans le rapport des métiers les plus convoités établi par Linkedin, les professions du digital sont les plus recherchées en 2020 et la tendance se confirme pour 2021.

Si les formations dans ce domaine fourmillent aux Antilles-Guyane :

  • Quid des débouchés réels ?
  • Quelle est la maturité du marché professionnel dans ce secteur ?
  • Nos entreprises manquent-elles de vision sur ces questions ?

Pour Jordan Succar, entrepreneur dans la tech et cofondateur de Debouya Formation, le problème est plus vaste. La « tech » ne doit pas être pensée comme une énième entrée sur un marché économique en pleine explosion, mais bien comme un secteur stratégique directement connecté aux enjeux de développement durable des territoires. 

Quel regard portez-vous sur le monde de la formation continue aux Antilles ? 

Jordan Succar : Je pense que malheureusement, dans beaucoup de cas, elle est restée bloquée 10-15 ans en arrière.

« Il me semble que trop souvent, on forme pour “former”, sans véritable retour du marché du travail et même considération des “élèves”. »

Ce rapport “infantilisant”, conscient ou non, n’est pas sain. L’ensemble de l’écosystème, mais surtout le marché du travail aurait énormément à gagner à considérer les “formés” comme les principaux clients et non pas uniquement les organismes/partenaires sociaux.

Je reste néanmoins extrêmement enthousiaste, surtout quand je découvre à quel point certains élèves prennent leur destin en main et enrichissent leurs apprentissages de façon autonome.

Pensez-vous que nous soyons réellement préparés aux enjeux du monde d’aujourd’hui ? Quelles spécificités aux Antilles ? 

Non. Nous formons avec nombrilisme dans un contexte refermé sur lui-même, pauvre en termes de diversité d’opportunités d’emplois. Or, a échelle internationale, il y a pourtant un appel d’air majeur autour de sujets clefs comme :

  • le digital
  • l’économie circulaire
  • le développement durable
  • la résilience territoriale

Force est de constater que ces formations sont généralement des formations “pins”, sur la forme et non le fond, sans connexion au tissu économique en question.

« C’est pourtant là, le véritable potentiel de nos territoires insulaires : embrasser nos propres challenges comme laboratoire pour le monde. »

La majorité des formations est assurée par des acteurs de la formation classique n’ayant aucune légitimité dans le secteur et sans connexion à l’écosystème digital.

En découlent des formations en réalité parallèles pour lesquelles aucun recruteur digne de ce nom ne voudra recruter (choix des techno enseignées, manque crucial de connexion à l’écosystème, système infantilisant…). 

Peu de débouchés. Vraiment ? 

Je prends pour exemple beaucoup de formations développeurs proposées localement. Énormément d’effets d’annonces et surtout de budget. Combien des formés sont aujourd’hui véritablement développeur Web ? Et surtout combien sont payés à la hauteur des standards nationaux (je ne parle même pas des standards internationaux). Soyons sérieux !

Pour proposer des débouchés, il faut se connecter à l’écosystème qui recrute pour le meilleur, celui qui recherche les talents et est prêt à y mettre le prix.

« Aujourd’hui, on forme plus qu’il ne faut pour un marché qui n’est pas prêt à valoriser ces profils. »

Or, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique portent un terreau de “debouya”. Focaliser uniquement sur les développeurs, c’est tenter de prendre le train que l’on a raté il y a dix ans.

Depuis, des tonnes de nouveaux métiers ont émergé, avec des cursus beaucoup plus courts et avec beaucoup plus de débouchés à court terme.

Développer la communauté tech. Oui, mais pour quoi faire ? 

En vrai, le terme « Tech » n’a pas vraiment d’importance. C’est un moyen. Ce qui compte c’est ce qu’on en fait, l’enjeu au service duquel on met la tech.

Une chose reste néanmoins sûre : la tech est probablement le secteur qui produit actuellement le plus de richesse “accessible” à tous. Et c’est justement là l’imposture de beaucoup de formations.

« Forme-t-on pour alimenter des entreprises à la recherche de main-d’œuvre ou proposons-nous de véritables opportunités locales, mais surtout internationales pour les formés ? »

Selon vous, que signifie aujourd’hui l’expression « être qualifié » ?

Cela veut dire avoir de “l’intelligence” dans le sujet en question : savoir connecter ses savoirs et compétences à d’autres informations, souvent nouvelles, pour en tirer des actions concrètes. C’est contextualiser son savoir pour prendre des décisions.

Ce n’est très certainement pas avoir un “diplôme” uniquement ni avoir “appris sa leçon”.

« Notre problématique réside aujourd’hui dans le fait que les recruteurs ne valorisent pas les talents, principalement parce que leurs clients eux-mêmes ne valorisent pas le sujet “digital”. »

C’est un cercle vicieux qui nous amène à des aberrations qui se répercutent jusqu’aux types de formations. On crée des formations précarisantes dans un secteur où il n’y a jamais eu autant d’argent. 

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