Expatriation. Si la grande majorité de nos jeunes pépites rejoignent le vieux continent, l’athlète guadeloupéenne Yanis David et le nageur guyanais Steven Aimable ont préféré plonger dans l’inconnu et découvrir le prestigieux système universitaire “made in “US”. A la conquête de l’Amérique, où le sport est roi. – Texte Thibaut Desmarest

Yanis Esmeralda David, son conte de fée

Comme son idole Carl Lewis, Yanis David a fait le grand saut. Et cinq ans seulement après s’être exilée en Floride, la championne peut s’enorgueillir aujourd’hui d’avoir son rond de serviette à la table de l’oncle Sam.

Sacrée au triple saut et à la longueur il y a deux ans, la “Frenchie” a marqué l’histoire de l’illustre championnat universitaire NCAA, sous les couleurs des Gators (alligators) de Gainesville.

« En m’entraînant au quotidien avec des athlètes de niveau international comme Grant Holloway ou Marquis Dendy, je savais que si j’arrivais à me faire une place parmi eux, je réussirais au plus haut niveau », se remémore la Lamentinoise, arrivée en 2016, à 19 ans, pour réaliser son rêve américain.

Yanis David professionnelle
Depuis 2019, Yanis David est une athlète professionnelle. (Photo : D.R.)

« Après le Bac, je voulais juste continuer l’athlé et mes études de médecine, mais je ne savais pas où. En Guadeloupe, en France… Puis j’ai appris qu’un coach US s’intéressait à moi, qu’il était même venu me voir aux Carifta Games, aux Bermudes. »

« Aucun athlète de chez nous n’avait encore vraiment réussi aux Etats-Unis, mais avec ma mère et mon coach, on s’est dit que c’était une belle opportunité. » 

Une nouvelle page s’écrit donc pour Yanis David, loin de l’Hexagone et sous la houlette du célèbre technicien Nic Petersen. Bénéficiaire d’une bourse complète, la championne du monde junior cette année-là, pose alors ses valises sur le campus dans les meilleures conditions.

« Je n’ai rien eu à financer. Aux Etats-Unis, tout est fait pour que les athlètes réussissent. C’est une autre culture. Même mes frais médicaux étaient pris en charge », se réjouit l’athlète, qui a terminé son cursus scolaire en 2019, un bachelor dans le domaine de la santé en poche.

Si la Guadeloupéenne a quitté les bancs de l’école et son logement au sein de l’université, elle a toutefois conservé les clés du stade et poursuit ses séances d’entraînement sur la piste de Gainesville, toujours avec son coach, définitivement adoptée par son clan.

Yanis David, Gators
Jusqu’en 2019, la sauteuse Yanis David portait les couleurs de son université, les Gators de Gainesville, en Floride.

Professionnelle depuis deux ans, celle qui s’apprête à vivre ses premiers J.O. est aujourd’hui autonome financièrement. « Je dois maintenant payer mon logement, mon ostéopathe, mon acupuncteur, mes allers-retours pour venir aux stages avec l’équipe de France », précise-t-elle, tout de même aidée par la Fédération française, avec qui elle n’a d’ailleurs jamais coupé les ponts.

Epanouie et preuve vivante d’une intégration réussie, la jeune femme de 23 ans semble partie pour rester et envisage même, après sa carrière, de trouver un emploi sous la bannière étoilée. «J’ai vécu plus de temps ici qu’en France, je m’y sens bien, j’ai trouvé mon équilibre », se réjouit Yanis David, même si l’éloignement peut parfois lui peser.

« J’ai l’impression qu’on m’a oubliée en Guadeloupe, qu’on ne parle plus que de Wilhem (Belocian) », confie la championne, émue. « Ça me met un peu mal à l’aise vu tout ce que j’ai accompli ». Le revers de la médaille pour une expatriée, sans doute.

En un clin d’oeil : Yanis Esmeralda David
• Née le 12 décembre 1997, aux Abymes (23 ans)
• 1,69 m, 62 kg
• Spécialités : longueur (JO Tokyo), triple saut
• Club : Monster (Les Abymes)
• Professionnelle depuis 2019
• Palmarès : championne de France (longueur, en 2021), 1re des Jeux Méditerranées (triple saut, 2018), championne d’Europe espoirs (longueur, 2017), championne du monde juniors (longueur, 2016), 1re JO de la Jeunesse (triple saut, 2014).

Steven Aimable, sous les couleurs du Sénégal

Steven Aimable, avec les couleurs du Sénégal
Détenteur de la double nationalité, le Guyanais Steven Aimable se présentera sous les couleurs du Sénégal aux Jeux Olympiques de Tokyo. (Photo : D.R.)

Des étoiles plein les yeux, autant que sur la bannière qui l’a accueilli. Quand Steven Aimable débarque au cœur des gratte-ciel de Miami, son bac scientifique en poche, le changement de vie s’annonce radical pour le jeune Guyanais de 18 ans.

On est au début de l’année 2017, mais il n’a pas le luxe de pouvoir intégrer directement une université. Logé à Fort Lauderdale « dans une famille d’accueil d’origine vénézuélienne, avec trois autres nageurs, un Nicaraguayen, un Mexicain et un Brésilien », le spécialiste du 100 m papillon prend six mois pour apprendre l’anglais, avant de rejoindre le Junior College Broward et y étudier la finance.

« Puis, en 2020, j’ai pris une année sabbatique afin de me préparer pour les Jeux, mais ils ont été reportés. Le Covid a tout gâché », peste Steven, qui enchaîne les longueurs au club Azura, dans la ville toute proche de Davie.

« Je ne savais pas trop vers quoi m’orienter. J’avais débuté une année de médecine en Guyane avant de tout plaquer. Ici, je voulais surtout conjuguer études et natation. »

« Aujourd’hui, j’ai trouvé mon rythme, cette expérience me fait grandir, mûrir, j’apprécie même les cours maintenant (rires). Tout est bien organisé, avec de belles infrastructures. Les athlètes sont reconnus et respectés, on progresse beaucoup plus vite ».

Steven Aimable sur les plages de Floride
Steven Aimable prend aussi du temps libre pour profiter des plages de Floride. (Photo : D.R.)

Après des débuts balbutiants, Steven Aimable nage depuis un an sous l’étendard de l’université Nova, comme un poisson dans l’eau. Une réelle fierté pour le gamin de Matoury, heureux bénéficiaire d’une bourse. « Sinon, c’est 47 000 dollars l’année. »

L’ex-protégé des cousins Mandé, au club Mequaquarius de Cayenne, aborde donc les J.O. l’esprit léger, mais avec le poids de toute une nation, celle de sa maman : le Sénégal, où vivent encore ses tantes.

Car s’il n’affiche pas les minimas requis sur les tablettes tricolores (record à 54”09), le papillonneur jouit de la double nationalité et pourra arborer les couleurs africaines dans les bassins de Tokyo, comme il le fait depuis deux ans.

« Mon grand-père m’a toujours dit de redonner à l’Afrique ce qui lui appartient. C’est une vraie fierté pour moi de représenter mes origines. »

En attendant de gratter encore quelques dixièmes de secondes pour nager aux Jeux de 2024, à Paris, sous le blason bleu, blanc, rouge, Steven Aimable poursuit son bonhomme de chemin sur les traces de son aîné guyanais Mehdy Metella, lui aussi adepte du papillon et qualifié pour le Japon avec le clan français.

« Quand j’avais 10 ans, c’était mon modèle, il était le plus fort, le plus grand… J’espère un jour pouvoir nager face à lui. »

Un rêve de plus à réaliser pour celui qui aimerait surtout, dans un avenir proche, qu’on lui passe la mythique bague au doigt, symbole de sacre national dans le championnat universitaire américain. La reconnaissance ultime au pays où décidément rien n’est impossible.

En un clin d’oeil : Steven Aimable
• Né le 7 Février 1999 à Cayenne (22 ans)
• 1m78, 72 kg, 
• Spécialités : 100 m papillon (JO Tokyo), 50 et 100 m dos.
• Clubs : Azura, Mequaquarius (Cayenne)
• Palmarès : champion d’Afrique zone 2 en 2020 (100m NL, 50 et 100 m dos), 7e des Jeux africains en 2019 (100 m papillon), 46e et 47e aux Mondiaux 2019 (50 m dos, 100 m pap.)

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