Quitter son île et sa famille à l’adolescence marque à jamais les premiers pas de nos jeunes pépites, dans leur cheminement vers le haut niveau. Coup d’œil dans le rétro avec Mélanie Dos Santos, Daryl Bultor et Leïla Heurtault, qualifiés pour les Jeux, qui n’ont jamais baissé la tête malgré les doutes et la solitude des débuts. – Texte Thibaut Desmarest

Le volleyeur Daryl Bultor a suivi son étoile pour atteindre les sommets. (photo : FIVB)

Un dernier regard à travers le hublot pour un aller simple vers l’inconnu. Mélanie, Daryl, Leïla étaient encore de jeunes ados quand ils ont traversé l’océan et laissé leurs amis, leur famille et leur chambre d’enfant à 8 000 km d’eux.

Et si la pièce ne retombe pas toujours du bon côté pour les athlètes de nos territoires, ces trois-là ont gagné leur pari et s’apprêtent à défiler pour la première fois sous la bannière olympique.
Le rêve d’une vie, mais que le chemin fut sinueux.

« Je n’avais jamais mis les pieds en France. J’ai vraiment senti la solitude au début. »

« Je n’avais jamais mis les pieds en France. A 14 ans, je ne connaissais ni le rythme de vie, ni la météo, rien. Ça a été dur au début, je me suis vraiment senti seul », rembobine l’international tricolore Daryl Bultor, débarqué en 2010 au Pôle espoir de volley-ball à Bordeaux.

« Le matin on se levait, il faisait nuit. Le soir, on sortait des cours, il faisait nuit. J’ai un peu déprimé les premiers mois », avoue l’ancien collégien de Trois-Rivières, vite rassuré par la présence de 5-6 joueurs ultramarins, comme son “compatriote” guadeloupéen Gaël Tranchot et le Réunionnais Stephen Boyer. « Quand un de nous n’allait pas bien, les autres gars des îles étaient toujours là, ça m’a vraiment aidé. »

Ce réconfort, Daryl ira encore le chercher au “peyi” la première saison, lors des vacances, avant de ne plus remettre un orteil en Guadeloupe durant 7 ans, retenu sous le maillot des équipes de France jeunes.

Un sacrifice assumé, qu’il dit n’avoir jamais regretté : « Il a fallu se donner les moyens pour réussir car, quand on sort de nos territoires, on n’a pas trop de perspectives pour l’avenir. On n’a pas tous la chance d’avoir des parents aisés. Je sais ce qu’ils ont fait pour moi, ça me motivait deux fois plus, surtout dans les moments de déprime. »

Loin des yeux, près du coeur

Championne du monde de karaté, la Guyanaise Leïla Heurtault n’oublie jamais d’où elle vient. (Christophe Petit-Tesson – FFK)

Un devoir de réussite partagé par la karatéka guyanaise Leïla Heurtault, 26 ans, victime d’une grosse remise en question à ses débuts. « Première compétition, je perds au premier tour, face à une inconnue. Je me suis dit que je n’avais pas fait 9 000 km pour échouer. Il était hors de question de revivre ça. »

Cette pression du résultat, loin des leurs, peut s’avérer difficile à porter sur les frêles épaules de nos athlètes. Beaucoup ont craqué. « Pour moi, heureusement, ça a été un gros moteur. Le déracinement est très dur à vivre, oui, mais on sait pourquoi on est là. Après, avec la fatigue, les défaites… Combien de fois j’ai eu envie de prendre ma maman dans mes bras ou de passer du temps avec mes sœurs… Même les coups de fils étaient compliqués avec le décalage horaire ».

« Quand j’ai besoin de me ressourcer, je ferme les yeux et je pense à la Guyane. »

Arrivée à 14 ans au Samouraï 2000 du Mans, à des années-lumière de Mana, petite commune proche de l’embouchure du Maroni, Leïla se réjouit d’avoir trouvé une famille de substitution dans ce club à taille humaine. Mais n’en n’oublie pas pour autant sa Guyane chérie.

« On fait beaucoup de visualisation avec mon préparateur mental. Quand j’ai besoin de me ressourcer, de me calmer, je ferme les yeux et je pense à la chaleur, à la population bienveillante de chez nous, à mes balades dans la jungle… » Loin des yeux, près du cœur, pour tenir la distance.

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Mélanie Dos Santos, à 12 ans seulement

En gymnastique plus que dans tout autre sport, les carrières et rêves de podiums se dessinent dès le plus jeune âge. Mélanie De Jesus Dos Santos, née d’un père portugais et d’une mère martiniquaise, a d’ailleurs tapé très tôt dans l’œil des techniciennes.

« Ça a été une révélation. Nini était tellement au-dessus du lot. Dès l’âge de 7 ans, on l’a intégrée au groupe de performance du centre d’entraînement de Fort-de-France », se rappelle Elsa Louis, qui l’a prise sous son aile jusqu’à son départ pour l’Hexagone.

La gymnaste Mélanie Dos Santos et la coach qui l’a détectée, Elsa Louis, le 21 juillet 2012 à l’aéroport de Martinique, juste avant son départ définitif pour Saint-Etienne. (Photo : D.R.)

Haute comme trois pommes, c’est à 12 ans seulement que la petite pépite franchit le rubicon et rejoint le pôle France de Saint-Etienne, loin de sa famille et de Trinité.

« C’était la première à partir si jeune, ça n’a pas été facile pour elle. »

« C’était la première à partir si jeune. Ça n’a pas été facile psychologiquement, surtout pour s’adapter au froid, elle qui est si attachée au soleil et à la mer. Mélanie n’avait pas la chance de pouvoir rentrer chez elle le week-end comme ses copines du pôle. Mais elle a toujours tout transformé en positif. Ça a forgé sa personnalité et son caractère qui fait sa force aujourd’hui », se félicite son ancienne coach, fière des quatre titres de championne d’Europe de sa protégée.

Dans moins de 15 jours, c’est le sacre olympique que viendront chercher à Tokyo Mélanie, Leïla et Daryl. « Un rêve de gamin, la concrétisation de si longues années de travail et de sacrifices », concède le volleyeur. « On a tous énormément galéré pour en arriver là aujourd’hui. » Certains beaucoup plus que d’autres, assurément.

Décembre 2010, en Martinique, Mélanie Dos Santos impressionne déjà tous les techniciens de l’île. (Photo : D.R.)
En un coup d’oeil : Mélanie DE JESUS DOS SANTOS

Gymnaste artistique
Née le 5 mars 2000 (21 ans), à Schoelcher (Martinique)
1,52 m, 49 kg

Clubs :
Kréyol Gym Fort-de-France
Centre d’entraînement : Pôle France Saint-Etienne. Débuts à la Gauloise (La Trinité). En équipe de France depuis 2013.

Palmarès :
Championnats du monde 2019 : 5e par équipe, à la poutre et au sol ; 2018 : 5e par équipe, 6e au général et 6e au sol ; 2017 : 5e au général.

Championnats d’Europe 2021 : médaille d’or à la poutre ; 2019 : or au général, au sol, argent à la poutre ; 2018 : or au sol et argent par équipe ; 2017 : bronze au général.

Championnats de France 2019 : or au général à la poutre et au sol ; 2018 : or au général, aux barres et au sol ; 2017 : or au général et argent à la poutre ; 2016 : 4e au général, à la poutre et au sol ; 2015 : argent (junior), 5e aux barres et au sol ; 2013 : 5e en espoir ; 2012 : 11e en avenir.

En un coup d’oeil : Daryl BULTOR

Volleyeur – N°16 – Central
Né le 17 novembre 1995 (25 ans), à Basse-Terre (Guadeloupe)
1,97 m, 94 kg

Clubs :
Tourcoing Lille Métropole (2020-2021), Arago Sète (2018-2020), Montpellier VUC (2014-2018), CNVB (2012-2014), SAM (2010-2012).

Palmarès international :
2021 : Médaille de Bronze Volleyball Nations League
2018 : Médaille d’argent Volleyball Nations League
2017 : Médaille d’Or Ligue Mondiale

En un coup d’oeil : Leïla HEURTAULT

Karatéka
Née le 4 janvier 1995, à Chartres (26 ans)
Originaire de Mana (Guyane)

Club : Samouraï 2000 (Le Mans)

Palmarès (-61 kg)
Seniors : médaillée de bronze au championnat d’Europe 2021, championne du monde par équipe en 2016 et 2018. Espoirs : championne du monde en 2013, championne d’Europe 2014 et 2015.