Difficile de jongler entre une vie de jeune papa et une carrière de haut niveau. L’escrimeur guadeloupéen Enzo Lefort, 29 ans, tente pourtant de viser juste et de trouver son équilibre depuis la naissance de sa petite “Tornado”. Entre nuits écourtées, allers-retours à la crèche et préparation olympique, son quotidien parisien a été bouleversé. Texte : Thibaut DESMAREST

Pendant les Jeux Olympiques, vous n’aurez pas votre petite fille de 2 ans avec vous. Comment appréhendez-vous ces trois semaines d’absence ?

Honnêtement, pas si mal. Indya a compris que son père était souvent amené à partir loin de la maison (ils vivent dans le 11e arrondissement de Paris, ndlr). On lui a bien expliqué, elle comprend ce qui se passe, d’autant qu’elle me voit faire de l’escrime depuis ses 7 mois. C’est d’ailleurs toujours sympa de voir son regard curieux.

Et puis, elle s’habitue, je suis parti dernièrement huit jours en stage avec l’équipe de France, à Saint-Nazaire, elle l’a très bien vécu. De toute façon, je sais pourquoi je pars, j’ai ma façon de voir les choses, c’est comme ça.

Vous savez, j’ai quitté la maison à 16 ans, et je ne voyais mes parents que deux fois par an. Ma fille n’est pas seule et passe beaucoup de temps avec sa maman et sa grand-mère.

« La voir marcher, affirmer sa personnalité, jouer avec mes nerfs ! Ça demande une grande implication psychologique, mais c’est beaucoup de bonheur. »

Qu’est-ce qui est le plus dur quand on veut concilier carrière de haut niveau et paternité ?

Le manque de sommeil, il n’y a pas photo. Se réveiller en pleine nuit ou tôt le matin, ça perturbe complètement ma récupération, qui est pourtant essentielle pour un athlète. Mais bon, il est inenvisageable de la faire passer après. Pourtant, par essence, un sportif de haut niveau est égoïste, mais là, ce n’est plus possible, il faut faire avec. Le corps humain est bien fait, je m’en sors.

Sa naissance a dû chambouler votre organisation bien huilée…

En fait, elle est née le 3 août 2019, deux semaines après mon titre de champion du monde. C’est le seul mois de repos de l’année, où je ne m’entraîne pas. On avait plus ou moins calculé pour qu’elle arrive à ce moment-là. Bon, ça ne marche pas à tous les coups, mais on a plutôt eu de la chance sur le timing (rires). Au moins, j’ai eu le temps d’appréhender mon nouveau rôle de papa.

« Le manque de sommeil est le plus dur, il n’y a pas photo. Se réveiller en pleine nuit ou tôt le matin, ça perturbe complètement ma récupération, qui est pourtant essentielle pour un athlète. »

Les compétitions et entraînements ont vite repris. Comment gériez-vous votre temps, entre l’escrime et vos obligations familiales ?

Effectivement, dès le mois d’octobre suivant et jusqu’au confinement, en mars 2020, on a repris un cycle d’entraînements et de compétitions normal. Mais heureusement, au bout de trois mois, Indya faisait déjà ses nuits. Par rapport à d’autres, on a eu de la chance.

La crèche aide bien aussi, même si ça demande une organisation logistique pour la déposer le matin et aller la chercher le soir, avant et après les entraînements à l’Insep (12e arrondissement). On s’arrange avec ma compagne, mais disons que je m’organise pour y aller deux fois par semaine et elle, trois.

Enzo Lefort

Les périodes de confinement vous ont-elles permis de souffler un peu ?

Oui et non, car c’est vraiment un job à plein temps ! D’autant que rester cloîtré en intérieur, dans notre appartement parisien de 50m2, ça a perturbé le rythme de ma fille. Elle ne pouvait pas se dépenser assez et tournait en rond, elle se réveillait la nuit, à 4 h du mat’.

Au début de la saison, ma compagne gérait, alors j’ai pris le relais pendant le confinement, d’autant qu’elle bossait en télétravail à la maison. A la fin de cette période, la crèche est restée fermée un moment, donc je m’en occupais encore, ce n’était pas évident de jongler avec les entraînements.

Le confinement vous a au moins permis de profiter plus de votre fille…

C’est vrai que j’ai pu prendre le temps de l’observer dans son évolution, étape par étape. La voir marcher, affirmer sa personnalité, jouer avec mes nerfs ! Ça demande une grande implication psychologique, mais c’est beaucoup de bonheur.

« La paternité est vraiment un job à plein temps ! »

Bénéficiez-vous d’aménagement d’horaires d’entraînement ou d’aides financières en tant que sportif de haut niveau et jeune parent ?

Ah non ! Aucun passe droit, aucune aide supplémentaire.

Vous avez toujours assumé votre côté festif, nécessaire à votre équilibre mental. L’arrivée d’un bébé a dû modifier votre rythme de vie ?

Disons que le manque de sommeil n’est plus lié aux mêmes raisons (rires). Quand tu es jeune papa, tu fais de toute façon naturellement moins la fête. Aujourd’hui, je suis allé chercher d’autres exutoires en dehors de l’escrime, comme la photographie par exemple, qui est devenue une vraie passion. J’ai trouvé mon équilibre autrement.

En un clin d’oeil : Enzo Lefort

• Né le 29 septembre 1991, à Cayenne
• Il a vécu en Guyane jusqu’à 3 ans. Originaire de Gourbeyre.
• 1,90 m, 75 kg
Arme : fleuret
JO : qualifié en individuel et au fleuret
Club : Cercle d’escrime Melun Val de Seine
Palmarès :
• JO : médaille d’argent par équipe à Rio (2016)
• Mondiaux : 1er en  ind., 2e par équipe (2019), 3e en ind, 1er par équipe (2014)
• Champ. d’Europe : 3e en ind. (2019), 1er par équipe (2019, 2017, 2015, 2014)
• Coupes du Monde : 1er du CIP (2014)
• Championnat de France : 4 fois vainqueur (2018, 2017, 2015, 2012)
Un livre photo sur le Japon

Aussi à l’aise sous son masque que derrière l’objectif, Enzo Lefort sort un livre photo de 56 pages sur Tokyo (“Hors piste”), pour rendre hommage à cette ville qui l’inspire tant, depuis son premier séjour en 2011 à l’occasion d’une coupe du monde. “C’est une fourmilière qui ne s’arrête jamais. La mode, l’art, l’architecture… Cette ville a une âme, où cohabitent la technologie de pointe et la tradition.” A 15 jours des Jeux Olympiques au Japon, le timing était parfait pour le fleurettiste gourbeyrien, qui prépare également une expo photos sur l’escrime intitulée “Behind the Mask”. A voir à partir du 8 septembre 2021 au sein du club de sport La Montgolfière, à Paris (Xe arrondissement).

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