Parmi les athlètes antillo-guyanais présents à Tokyo pour les Jeux Olympiques, ils sont peu nombreux à vivre leur carrière dans leur région natale. Le Guadeloupéen Wilhem Belocian et le Martiniquais Ludvy Vaillant ont refusé l’exil et revendiquent leur choix, malgré les obstacles. Texte Thibaut Desmarest

Le hurdler lamentinois Wilhem Belocian, champion de France en juin, à Angers, s’entraîne toujours une bonne partie de l’année en Guadeloupe. (Photo : KMSP/FFA)

On les compte sur les doigts d’une seule main. Si la grande majorité de nos pépites qualifiées aux Jeux ont franchi l’Atlantique à l’adolescence pour rêver plus grand, quelques irrésistibles ultramarins ont préféré rester au péyi.

Au Japon, ils seront seulement trois athlètes antillo-guyanais à façonner leur carrière sur leur terre natale, loin des instances nationales et de la capitale : la sprinteuse guyanaise Gemina Joseph (4×100 m), 19 ans, le Martiniquais Ludvy Vaillant (400 m haies) et le Guadeloupéen Wilhem Belocian (110 m haies), 26 ans chacun.

Pour ce dernier, champion du monde junior en 2014, son choix pourrait même relever d’une forme de résistance identitaire. « Disons que je le vis vraiment comme un défi. J’ai toujours voulu prouver qu’en Guadeloupe, on pouvait être sportif de haut niveau et performer. Je veux montrer qu’ici aussi, on peut y arriver, qu’on a des professionnels autour de nous qui peuvent s’exprimer », défend encore le Lamentinois.

« Disons que je le vis vraiment comme un défi. J’ai toujours voulu prouver qu’en Guadeloupe, on pouvait être sportif de haut niveau et performer. »

Dans l’ombre de Wilhem gravit en effet une équipe fournie et de qualité, composée d’un staff médical aux petits soins et d’une coach des plus fidèles, Ketty Cham (lire encadré), accompagnée depuis deux ans par son adjoint Frédéric Demaneche. Très attachés à leur famille, leurs habitudes et leurs amis d’enfance, ces athlètes ont trouvé leur équilibre au péyi.

« Je me suis construit avec ces repères. Je pense avoir beaucoup plus appris sur moi que si j’avais été lâché dans la jungle parisienne. A 20 ans, j’étais loin d’être autonome », admet Vaillant, pas forcément prédestiné au haut niveau, au départ. « Pour pouvoir manger tous les jours, j’ai entrepris des études de kiné à Fort-de-France, après mon bac. »

Problème, en Martinique, sport et études ne faisaient pas forcément bon ménage. « Après mes deux années de médecine, en 2017, j’avais demandé à partir à Saint-Maurice (Val-de-Marne), mais ayant eu mon concours de kiné ici, ce n’était pas possible », se rappelle le protégé de Jean-Claude Berquier. « Heureusement, comme j’étais sur la liste ministérielle, les choses se sont débloquées et j’ai finalement pu obtenir des facilités, par rapport à mes absences ou pour les dates d’examens. Mais ça a été compliqué au début, ils n’avaient jamais fait face à un élève comme moi ! »

Sur la piste du stade de Dillon, à Fort-de-France, le champion martiniquais du 400 m haies Ludvy Vaillant prend la pose en compagnie de son entraîneur Jean-Claude Berquier. (Photo : D.R.)

« Le manque d’adversité est aussi un problème. Un jour, j’ai voulu faire une compétition à Grenade, c’est juste à côté mais ça m’a pris 24 heures. Et le transport est très cher. »

Des infrastructures moins développées

Aujourd’hui épanouis, les deux spécialistes des haies n’ont pas freiné face aux obstacles, pourtant nombreux dans leur couloir. « On ne va pas se mentir, en France, les infrastructures sont nettement meilleures. A l’Insep (le temple du sport, à Paris, NDLR), tu trouves la balnéo, la cryothérapie et tous les systèmes de récupération. Nous, c’est système D, ou alors on est obligés d’aller chez des partenaires privés. Quant à la qualité de nos pistes, ce n’est pas terrible non plus », regrette Vaillant, sociétaire de l’Athlétic club saléen (ACS).

En Guadeloupe, par contre, après des années d’espoirs déchus, le Creps dispose enfin d’une piste flambant neuve. « C’est vraiment une bonne chose. C’est vrai qu’on n’a pas toujours tout ce qu’on veut chez nous, mais on s’adapte, on s’organise », positive Belocian, qui avoue avoir déjà été tenté par l’exil.

« Le manque d’adversité est aussi un problème. Nous sommes dans le bassin caribéen mais dans le système français, c’est compliqué », enchaîne le Martiniquais. « Un jour, j’ai voulu faire une compétition à Grenade, c’est juste à côté mais ça m’a pris 24 heures. Et le transport est très cher. »

Certes loin de l’Hexagone, les deux compères n’ont toutefois jamais coupé le cordon avec la Fédération française, qui les accompagne dans leur choix de vie. Wilhem Belocian et Ludvy Vaillant bénéficient notamment d’un partenariat avec l’Insep, qui leur permet de disposer d’une chambre, à leur convenance, pour leurs séjours lors des camps d’entraînement. Des allers-retours bénéfiques pour casser la routine, même si le besoin de reprendre un bol d’air chaud se fait souvent vite ressentir.

En Guadeloupe, Ketty Cham réalise un gros travail auprès des athlètes et notamment de Wilhem Belocian, son poulain. (Photo : D.R.)
Ketty Cham : « Des départs prématurés soldés par des échecs »
Missionnée en 2010 dans le cadre du plan de relance de l’athlétisme antillo-guyanais, la Guadeloupéenne Ketty Cham entraîne Wilhem Belocian à temps plein depuis 2014. « La Fédération française s’est rendue compte que la plupart des départs prématurés d’athlètes vers la Métropole se sont soldés par des échecs. Mon rôle a été de réguler tout cela. L’idée était de redonner un second souffle à nos sportifs, de les accompagner, de structurer l’encadrement, de leur proposer des stages, des compétitions dans la Caraïbe et dans nos territoires. J’étais la référente, avec pour mission de suivre leurs projets sportifs et professionnels, mais aussi d’accompagner leurs entraîneurs, comme Rico Vaïtilingon, qui a formé Wilhem Belocian ». Ketty Cham encadre d’autres futurs cracks, qu’on espère voir aux Jeux de 2024, à Paris.

En un clin d’oeil

Wilhem Belocian
Né le 22 juin 1995 (26 ans), aux Abymes (Guadeloupe)
1,78 m, 78 kg

Spécialité : 110 m haies
Club : Stade Lamentinois
Palmarès :
2021 : champ. de France, champ. de France et d’Europe en salle
2020 : champ. de France
2019 : champ. de France, 3e en salle, 2e Universiade (compétition internationale
universitaire multi-sports)
2017 : 3e aux champ. de France en salle
2016 : 2e aux champ. de France, 3e aux champ. d’Europe
2015 : 2e aux champ. de France en salle, 3e aux champ. d’Europe en salle
2014 : champion du monde juniors (record du monde en 12”99)

Ludvy Vaillant
Né le 15 mars 1995 (26 ans), à Fort-de-France (Martinique)
1,80 m, 71 kg

Spécialité : 400 m haies
Club : Athlétic club saléen
Palmarès :
2020 : champion de France (400 m)
2019 : 2e du champ. de France
2018 : champ. de France, 4e aux champ. d’Europe, 1er aux Jeux Méditerranéens,
3e de la coupe du monde (Londres, 400 m)
2017 : 3e des champ. d’Europe espoirs
2016 : 2 des champ. de France

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