Réfléchir pour construire l’avenir. Qu’on se le dise, la rentrée que nous vivons est en tout point, inédite et sur bien des points, très alarmiste. Pour répondre à la question du « avancer coûte que coûte » retenu comme dossier du mois par la rédaction, nous avons choisi de prendre l’attache d’Alix Bicep, entrepreneur guadeloupéen engagé pour le développement local. Il nous livre son analyse, nuance le « quoi qu’il en coûte » pour préférer le « ensemble, qu’allons-nous faire ? » – Propos recueillis par Coralie Custos Quatreville

Quelle lecture avez-vous des événements de la rentrée aux Antilles ? 

Alix Bicep : La situation sociale est très complexe, c’est le moins qu’on puisse dire. Nous sommes tous conscients des scissions actuelles et donc, en tant que citoyen, très vigilants sur les différents épiphénomènes des prochaines semaines. Ces distensions chez nous, on les doit évidemment à l’anxiété générale dûe au nombre de morts dans nos familles – tout le monde connait un proche décédé de la covid – mais aussi d’une fatigue généralisée face à l’immobilisme de la classe politique et aux décideurs qui peinent à virer de bord car les décisions à prendre demandent du courage et de la vision.

« Si on se disait qu’en temps de « non crise », les changements espérés n’opèrent pas, imaginez la lassitude, voire le ras-le-bol quand le futur annoncé ne semble pas plus optimiste. »

Si on se disait qu’en temps de « non crise », les changements espérés n’opèrent pas, imaginez la lassitude, voire le ras-le-bol des Guadeloupéens quand le futur annoncé ne semble pas plus optimiste. La rentrée, en confinement, est donc un coup dur pour tout le monde. La Guadeloupe, comme tous les pays, a subi les bouleversements de la pandémie mondiale : les entreprises ont été bousculées, certains secteurs sont à l’arrêt, les professionnels sont dans l’attente ; mais il est vrai que ce mois d’août reconfiné a sonné le glas de quelque chose où la peur a raison de 100 disparus par semaine, suspendait, malgré les bonnes volontés, les moindres raisonnements pragmatiques. 

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En tant que citoyen, que craignez-vous le plus ? 

Vous savez, nous sommes sur un territoire contraint, les effets dominos sont encore pire sur un petit pays comme le nôtre. Vu que tout est systémique, nous sommes interdépendants les uns des autres et ce qui me fait peur, c’est le manque de lucidité que nous avons sur ce sujet. Vraisemblablement, avec les crises mondiales à venir, les réponses ne pourront pas être toujours tournées autour du « qui j’accuse ? ». Il y a un niveau de responsabilisation que nous devons développer tous ensemble. Prendre le temps de réfléchir, de nous poser et de préparer une vision complète et durable pour faire face, dès maintenant.

« Vu que tout est systémique, nous sommes interdépendants les uns des autres et ce qui me fait peur, c’est le manque de lucidité que nous avons sur ce sujet. »

Ce que je crains le plus, ce sont les radicalisations de propos que nous pouvons toutes et tous voir au quotidien, et notamment sur les réseaux sociaux. Il y a un extrémisme dans les paroles et donc, a fortiori, dans le développement de la pensée qui se sert de la crise et donc de la peur, pour disloquer ce qui nous rassemble. Encore une fois, je ne dis pas que l’État n’a pas ses torts, je trouve aussi qu’il y a des lacunes évidentes, voire des fautes à certains niveaux, notamment sur la sensibilisation, la communication, et la prise en compte de notre sociologie locale. Néanmoins, vu que la réponse ne viendra pas que d’en haut, qu’attendons-nous pour nous relever les manches ? Qu’attendons-nous pour désapprendre, dénommer, pour évoluer et innover ? Qu’attendons-nous pour demander des financements sur des projets « concrets » pour développer ici, nos idées, nos entreprises et nos emplois ? 

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Je repose aussi la question à l’entrepreneur que vous êtes. Que souhaitez-vous faire passer comme message à travers cette tribune ? 

Comme tous ceux qui en ont assez, je milite pour le changement. Cependant, je ne le fais pas de manière opportune, ni de manière naïve, car je sais que tout prend du temps. Par contre, je suis convaincu que tout seul, je ne pourrai rien, c’est la raison pour laquelle je m’entoure de compétences autres que les miennes et de gens différents de moi. C’est donc un message positif que j’adresse. Pour entreprendre « coûte-que-coûte » pour reprendre vos termes, il va falloir se serrer les coudes « coûte-que-coûte » et « quoi qu’il advienne ». Ce ne sera pas la première, ni la dernière crise. Les autres seront même peut-être pires. Alors, pour avancer, il va falloir réfléchir, prendre du recul et ne pas céder à la panique. Pour avancer, il va falloir s’entraider, s’écouter et dialoguer. Voilà, mon message. Voici, ma tribune. 

« Pour avancer, il va falloir réfléchir, prendre du recul et ne pas céder à la panique. Pour avancer, il va falloir s’entraider, s’écouter et dialoguer. »

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