Textes Coralie Custos Quatreville et Daniel Rollé

La météo des algues

Bulletin vert. Rien à signaler sur les côtes de la Martinique, ce jour-là à midi trente-sept. Pourtant, Philippe Palany, en charge de la partie Recherche et Développement chez Météo-France est formel : « ce n’est pas parce que nous ne voyons rien à l’œil nu, qu’il n’y a rien. C’est la raison pour laquelle, nous sommes constamment en train d’observer la mer ». Le chercheur dont le bureau s’est vu confier, en 2021, par l’État, les attributions en matière de sécurité météorologique des personnes et des biens coordonne le suivi des opérations de recherche, avec une main de maitre. Il faut dire que leur rôle est désormais stratégique.

Avec la crise des derniers mois et l’accumulation d’algues toxiques sur les côtes de la Barbade, de Sainte-Lucie et de la Martinique, assurer la gestion des risques naturels, sanitaires et écologiques est un enjeu essentiel. Et si jusqu’ici les chercheurs de Météo-France se devaient de gérer la surveillance de la dispersion des pollutions accidentelles ou volontaires dans l’atmosphère, il faut désormais appliquer ces mêmes procédés à la surface de la mer. Pour se faire, l’agence a de l’expérience.

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Sollicitée dès 2019, pour organiser la veille et la prévision de l’échouement des sargasses, Météo-France s’était organisée autour d’outils de télédétection satellites avec d’autres centres de l’Hexagone. Le Centre de Météorologie Spatiale (CMS) de Lannion, en Bretagne, soutient les cartographies vues du ciel. La prévision de l’échouement, quant à elle, est opérée à la Direction des Opérations Marines à Toulouse à l’aide d’un logiciel opérationnel, appelée Mothy (comprenez, modèle de dérive) avec lequel les chercheurs parviennent aujourd’hui à identifier les polluants en mer. C’est ce même logiciel qui fournit dorénavant des éléments d’interprétation de la dérive des bancs de sargasses. Comment ? En combinant des milliards de calculs.

À partir de données satellitaires de bancs télédétectés et en recoupant les données de courants océaniques et informations concernant les vents dans plusieurs zones géographiques, les prévisionnistes sont capables d’anticiper quand et à quelle vitesse de progression, les sargasses arrivent. L’expertise et les bulletins sont ensuite produits par la Direction Antilles-Guyane de Météo-France en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane avec l’appui de sa Division Recherche et développement basée à Fort-de-France. Avec ces éléments, professionnels et particuliers sont alertés. Il n’y a plus qu’à solutionner la problématique des côtes.  

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Les sargasses, la faute au climat ? 

Mais d’où viennent-elles ? Et surtout, continueront-elles à s’échouer sur les côtes ? Comme pour beaucoup de cas pratiques, la recherche évite les réponses toutes faites et encore moins les raccourcis. À la question, les sargasses risquent-elles de revenir ? Le réchauffement climatique joue-t-il aussi dans cette équation sans fil ? la communauté scientifique reste prudente. « Nous faisons très attention lorsqu’on nous pose ce type de question. Tout n’est pas aussi simple lorsqu’on parle de physique, de climat ou d’environnement. La prolifération des sargasses reste multifactorielle » souligne Sarah Barbier, climatologue à la Direction InterRégionale Antilles Guyane, division Étude Climat et Maîtrise de la Production Finalisée.    

« Le lien avec les questions climatiques reste encore à résoudre pour comprendre le mécanisme d’évolution de sargasses dans la zone et par extension dans nos bassins. »

« Si quelques études scientifiques convergent sur le scénario d’un transport de ces algues depuis la mer des Sargasses, zone localisée au nord-ouest de l’océan Atlantique, d’autres affirment qu’elles seraient favorisées par l’apport en nutriments issus du charriage des fleuves tropicaux de l’Amazone, de l’Orénoque et du Congo, vers les eaux équatoriales. » En effet, une équipe de chercheurs de l’Université de Floride du Sud de Tampa s’est penchée dès 2015, sur la prolifération des sargasses sur les vingt dernières années. À l’aide des données satellite et des échantillons collectés à l’embouchure de l’Amazonie, ils sont parvenus à remonter le fil et prouver que depuis 2000, les algues étaient bien présentes dans la région mais en petites quantités. Tout se précipite néanmoins à l’été 2011 où les masses d’algues brunes connaissent une augmentation soudaine. Pour l’équipe en charge des analyses, la hausse de la déforestation et l’utilisation d’engrais en Amazonie à partir de 2009 est en cause.

De plus, des courants ascendants venus d’Afrique de l’Ouest serait à l’origine du dépôt de nutriments via le fleuve Amazone. Ils citent également la salinité et la hausse des températures comme autant de facteurs clefs. Ce « cocktail d’ingrédients » jouerait, selon eux, dans la prolifération des sargasses. Un point confirmé par l’équipe ultramarine. « L’élévation de la température de surface de la mer aurait sa part de contribution dans la population présente dans nos bassins. Néanmoins, une récente étude de 2021 coordonnée par le LEGOS, réfute le lien entre la variabilité interannuelle de ces apports par les afflux fluviaux et l’évolution des populations des sargasses dans la zone Atlantique équatoriale. Ainsi, le lien avec les questions climatiques reste encore à résoudre pour comprendre le mécanisme d’évolution de sargasses dans la zone et par extension dans nos bassins ». CQFD. 

Travailler en coopération 
Aux Antilles-Guyane, quatre ingénieurs de la division R&D collaborent au projet en lien avec les techniciens en charge des bulletins. À Toulouse, ce sont deux personnes qui sont intégrées au projet et qui collaborent quotidiennement sur les questions liées à la dérive des sargasses. Ce travail est également possible grâce à l’appui du Centre de Météorologie spatiale. Le Laboratoire en sciences sociales LC2S accompagne également ce grand projet de coopération. Il s’agit ici de participer à l’observation des afflux de sargasses et à l’évaluation des risques d’échouement comme au déploiement d’outils techniques. 

3 questions pratiques

D’où viennent les odeurs émises par les algues ?
L’odeur caractéristique d’œuf pourri est celle de l’hydrogène sulfuré (H2S). L’H2S est un gaz qui provient de la décomposition naturelle des algues sargasses en absence d’oxygène, notamment lorsque des algues (comme toutes les matières organiques biodégradables) reposent en forte épaisseur sur une plage ou des rochers. Notre système olfactif est capable de détecter cette substance en très faible quantité (0.02 à 0.03 ppm).

Qui organise le ramassage des algues sargasses ?
Le ramassage régulier de ces algues en moins de 48h permet d’éviter tout trouble sanitaire des populations riveraines, de réduire l’impact sur les activités nautiques, et de limiter les conséquences en matière de fréquentation des plages. Le ramassage sur le littoral est de la compétence des maires dans le cadre de leurs pouvoirs de police générale au titre de la salubrité. Un certain nombre d’actions ont été réalisées en partenariat avec les communautés de communes, les Régions, la Collectivité et l’ADEME.

Comment installer un barrage ?
Plusieurs barrages ont été posés à l’initiative d’associations de riverains ou des mairies après validation technique de la DM laquelle s’appuie sur l’expertise des pêcheurs ou des usagers de la mer. Le porteur de projet doit solliciter une autorisation d’occuper le domaine public maritime (AOT). L’état et l’ADEME, son opérateur, participent au financement des projets de barrage portés par les collectivités. Un travail est réalisé par l’état et les communes pour identifier tous les sites adaptés à l’installation d’un barrage et la technique la plus appropriée. Ces éléments seront intégrés dans les plans communaux de sauvegarde.

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