Environnement. Selon ses acteurs, la filière apicole est un secteur d’avenir. À condition d’y investir les moyens nécessaires et développer les produits de la ruche. (Texte Audrey Juge, Photo Lou Denim)

Où en est la filière apicole en Guadeloupe ?

Benoit Foucan-Perafide, ingénieur conseil à l’APIGUA (association des apiculteurs de la Guadeloupe) et producteur de miel : Au sein de l’association, nous comptons parmi nos 120 adhérents 40 professionnels et des amateurs pluriactifs. On note une forte progression en termes d’installation de producteurs, passant de 3 000 ruches en 2005 à environ 7 000 aujourd’hui. Avec une production de 100 tonnes de miel par an et une consommation qui avoisine les 350 tonnes, les perspectives de développement de la filière sont belles, bien que nous ne pourrons pas couvrir la totalité des besoins de par la taille réduite de notre territoire et l’insuffisance de plantes mellifères.

« L’homme a oublié que 80 % de ce qu’il consomme est issu de la pollinisation par les abeilles et d’autres pollinisateurs. »

Quelles sont les problématiques auxquelles les apiculteurs font face aujourd’hui ?

B. F.-P. : Il y a un problème de déboisement excessif du territoire, notamment en Grand-Terre, couplé à une véritable pollution environnementale, due à l’utilisation de véhicules et surtout d’insecticides et herbicides qui sont catastrophiques pour les insectes et les abeilles. Malgré les règles de plus en plus strictes, ces intrants déciment les larves et les colonies de façon systémique car les abeilles ramènent à la ruche les pollens contaminés.

Olivier César Auguste, président de la SICA Myel Peyi Guadeloupe : L’homme a oublié que 80 % de ce qu’il consomme est issu de la pollinisation par les abeilles et d’autres pollinisateurs. Nous déplorons un manque de personnel technique et de moyens pour la structuration de la filière. La SICA fournit actuellement 70 % du matériel apicole en Guadeloupe. Ruches, contenants en verre, équipements, bois, sont autant d’outils indispensables que nous ne pouvons plus stocker par manque d’espace, ce qui freine l’installation ou le développement de l’apiculture sur le territoire. 

Sur le même sujet | Le miel local mis à l’honneur par « Les produits d’ici » de Carrefour

Quelles solutions avez-vous mis en place ?

B. F.-P. : Depuis 2005, nous organisons une réunion technique mensuelle pour les apiculteurs qui a permis de mieux former les hommes. Nous mettons en place également un séminaire chaque fin d’année, avec un point technique pour les professionnels et une sensibilisation du grand public. Nous montons aussi des projets de développement pour les apiculteurs, tels celui de la caractérisation des miels de Guadeloupe, pour créer une gamme variétale de miels, dans le but d’obtenir un label IGP (indication géographique protégée) ou AOP (appellation d’origine protégée), en analysant tous les pollens qui sont visités par les abeilles.

« Le projet Archipel Guadeloupe Terre de pollinisateurs cherche à préserver l’ensemble des pollinisateurs de Guadeloupe, car la pollinisation n’est pas que le fait des abeilles. »

Nous travaillons également sur la sélection des abeilles locales pour améliorer la productivité des ruches, au travers d’une station de sélection. Nous avons parallèlement monté un PSE (programme sanitaire d’élevage) pour mettre en place une veille sanitaire afin de limiter les maladies. Le projet Archipel Guadeloupe Terre de pollinisateurs cherche à préserver l’ensemble des pollinisateurs de Guadeloupe, tels les guêpes, les papillons, les oiseaux ou les abeilles sauvages, car la pollinisation n’est pas que le fait des abeilles. En les protégeant, c’est l’environnement global qu’on améliore, tout en soutenant la production locale.

Pensez-vous que le rôle des abeilles pour l’agriculture, et donc pour l’Homme, est aujourd’hui mieux compris ?

B. F.-P. : Oui, le grand public a ouvert les yeux sur l’importance des pollinisateurs dans la production de fruits et légumes depuis quelques années. Tout le travail que nous avons mené en parallèle de celui de la SICA Myel Peyi Guadeloupe depuis 2010 et des médias pour sensibiliser et accompagner l’installation de professionnels a porté ses fruits.

O. C. A. : Nous faisons cependant face à encore beaucoup de réticences parmi les agriculteurs, qui, pour pouvoir poser des ruches près de leurs cultures et en favoriser la pollinisation, doivent totalement abandonner l’utilisation de pesticides. Les bananiers ont initié ce mouvement mais ce n’est pas gagné pour le reste des producteurs.

« Les consommateurs ont un rôle à jouer en priorisant le miel local plutôt que le miel importé, non tracé et de moindre qualité. »

Le miel de Guadeloupe est reconnu comme le meilleur miel tropical au monde. Nous avons donc tout à gagner à soutenir cette production.

B. F.-P. : La Guadeloupe a remporté 52 médailles sur 69 au Concours général agricole du Salon de l’agriculture de Paris, ce qui garantit la très grande qualité de la production guadeloupéenne. En 2016, la SCEA O Miel a remporté un Prix d’excellence du Ministère de l’agriculture. Ces nombreux prix remportés contribuent à augmenter le prix du miel et donc assurer un meilleur revenu aux apiculteurs locaux. Ce qui est rare, est cher.

O. C. A. : Les consommateurs ont un rôle à jouer en priorisant le miel local plutôt que le miel importé, non tracé et de moindre qualité. Certains miels d’importation sont des sirops aromatisés. Je précise que la cristallisation du miel est un phénomène naturel, un équilibre entre la quantité de fructose et de glucose dont seules les abeilles et les différents nectars sont à l’origine.

À lire également | L’interprofession IGUAVIE décrit les enjeux d’alimentation en Guadeloupe

L’apiculture peut-elle aussi se développer au travers des produits dérivés de la ruche ?

B. F.-P. : Nous sommes dépendants de notre climat qui est souvent très aléatoire. Sécheresse, cyclones, cendres ou brumes des sables entraînent une inconstance de la production. De fait, cette activité est souvent une activité de complément car trop risquée. C’est une profession à potentiel mais qui doit être accompagnée par l’agrotransformation pour améliorer les revenus des apiculteurs. Le pollen, la propolis, l’hydromel, les miels aromatisés, le caramiel sont de réels débouchés.

« C’est une profession à potentiel mais qui doit être accompagnée par l’agrotransformation pour améliorer les revenus des apiculteurs. »

L’aéroport de Toulouse a fait poser des ruches au milieu de ses pistes. Que pensez-vous de ces initiatives ?

C’est certes une façon d’alerter et de sensibiliser, cependant la pollution est très présente à cause des avions. L’objectif au final doit être la préservation des abeilles. 

En Guadeloupe, nous nous servons de ruches pour étudier la pollution environnementale. Les abeilles, qui ont un rayon de butinage de 3km, nous servent de bio-indicateurs grâce à leurs poils, qui recueillent les polluants . Nous avons ainsi placé des ruches au port maritime de Pointe-à-Pitre, dans les bananeraies écologiques avec le LPG (Les producteurs de Guadeloupe), Albioma et le Crédit Agricole. Cette bio-surveillance nous informe sur les polluants nocifs et néfastes pour elles, mais aussi pour nous ! Ces entreprises devraient prendre ensuite des initiatives pour préserver l’environnement.

Yves Portecop, Président de l’APIGUA
« Les acteurs de l’apiculture sont très actifs mais nous avons besoin d’une structure qui permet d’accueillir des techniciens pour soutenir le développement de cette filière d’avenir. Nous avons à gagner à développer les produits dérivés de la ruche tels la propolis ou les cosmétiques. Nous pouvons aussi stimuler la filière apicole avec une meilleure sélection d’abeilles, au travers d’une section d’élevage et d’étude. Notre climat nous permet de produire des reines à exporter tôt dans l’année, nous devons donc structurer ces élevages pour les rentabiliser. »