Daniel Hierso est président et co-fondateur du réseau Outre-mer Network, qui fait émerger et prospérer des projets entrepreneuriaux d’ultramarins. Il partage sa vision de l’innovation ultramarine. Une approche sévère mais qui n’est pas sans solution.

Photo Karollyne Hubert

À l’aune de 2023, que peut-on dire de l’innovation en Outre-mer, particulièrement aux Antilles-Guyane : où en est-on ?

C’est un vieux serpent de mer. Beaucoup d’argent est dépensé pour faire avancer les projets mais la question reste toujours entière. Hormis à La Réunion où le monde de la tech se développe bien, on est toujours en train de se demander où sont les pépites de nos territoires : nous accumulons un vrai retard en la matière.

Est-ce à dire que nos territoires ne sont innovants du tout ?

Aux Antilles, on est sur un territoire que l’on dit pudiquement à fort potentiel. Mais force est de constater qu’entre le potentiel et sa transformation en entreprises efficientes, il y a un fossé que peu de structures ont réussi à passer. La tech, chez nous, demeure ambivalente : la dernière grande success story, c’est celle du compte Nickel, par exemple.

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Selon le Réseau Outre-Mer Network, que manque-t-il pour franchir ce fossé ?

Il manque une maturité des écosystèmes, notamment les réseaux d’accompagnements des jeunes pousses. Les démarches administratives sont parfois très longues : le temps de l’innovation et le temps administratif de la subvention ne sont pas du tout les mêmes. Ensuite, il manque aussi des investisseurs confiants dans l’avenir. On voit beaucoup d’investisseurs parfois ultramarins, présents dans des fonds d’equity nationaux ou internationaux. Mais la question se pose de leur action, de leur retour d’investissement, en local. 

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Quelle est la vision de la sphère nationale ?

Je peux reporter les propos d’un directeur d’investissement, d’un très gros fonds, qui disait qu’en Outre-mer il n’y a pas de profondeur de marché, et qu’aucun fonds français n’ira. C’est la pensée globale des fonds d’investissements qui s’adressent à l’Outre-mer et même pire, c’est le reporting qu’en fait celui qui a investi en Outre-mer, au niveau du national sur la place de Paris. Et pour rétablir ce lien de confiance, il faut actionner la dimension, pour les réseaux d’accompagnement, ce qu’on appelle le Return On Investment, autrement dit le retour sur investissement.

Qu’entendez-vous par là ?

Qu’il faut intégrer la dimension du risque dans l’équation entrepreneuriale, de la culture de l’investissement, et non plus de l’économie de rente. Dans les réseaux accompagnateurs, dans les structures qui suivent les jeunes pousses, on est sur une forme de fonctionnaire de l’innovation. Donc, que l’innovation prenne ou non, n’a pas particulièrement d’enjeux. Attention, je ne dis SURTOUT pas que la puissance publique ne doit pas intervenir : elle est une condition du démarrage des jeunes pousses. Mais je le dis à tous les présidents de région avec lesquels j’échange : soyez exigeants, ciblez vos secteurs d’activités, créez de l’émulation, de la compétition et faites des bilans du retour sur investissement.

Faut-il innover chez soi ou bien viser l’international ?

L’innovation n’est pas seulement de la high-tech. Il peut aussi y avoir de l’innovation d’usage ou de process. Mais il faut rencontrer son marché. Et ne pas hésiter à voir loin. Les entreprises qui fonctionnent, qui dépassent les deux ans d’existence et qui trouvent leur marché sont souvent dans des sphères internationales. Je pense par exemple t à l’intégration de la haute technologie dans l’agriculture : Myditek qui fait ça en Guadeloupe, vend jusque sur le continent africain. Bio Stratège en Guyane qui propose des ingrédients cosmétiques à des grands groupes, a poussé son expertise scientifique sur les essences de la forêt amazonienne. Elle a fait d’une ressource locale un réel avantage concurrentiel. L’innovation dans nos territoires ne peut pas prendre 50 formes : elle est soit dans la sphère des “deep tech” soit elle réconcilie la tradition et le monde de la tech. Les crises sont propices à l’innovation : 2023 devrait nous offrir des belles opportunités.

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