L’ADEME publie un état des lieux de l’alimentation en Guyane. L’étude met notamment en exergue l’importance du comportement des consommateurs dans la réduction des impacts environnementaux et les enjeux du développement de la production locale.

Texte Adeline Louault – Photo Jody Amiet 

En 2019, une étude sur l’impact environnemental de l’alimentation en France hexagonale a été réalisée par l’ADEME. Le même travail vient d’être adapté à l’Outre-mer. Il vise à définir ce qu’est “une alimentation durable”, en tenant compte des spécificités de chaque territoire, et à proposer des pistes de réflexion adaptées pour y parvenir. Retour sur un rapport qui vient bousculer les idées reçues avec Jules Bassinet, ingénieur au Pôle économie circulaire de l’ADEME. 

L’étude révèle que plus de 160 000 tonnes de denrées (alimentation humaine, animale et engrais) sont importées. Le taux de dépendance alimentaire aux importations est de 63 %. Quels sont les principaux freins au développement de l’activité agricole en Guyane selon l’ADEME ? 

Les freins sont liés au contexte géographique et économique de la Guyane et ne sont pas directement abordés par l’étude. Mais, s’il peut paraître élevé, notre taux de dépendance alimentaire reste l’un des plus faibles d’Outre-mer. 81 % de la production en fruits et légumes est quand même locale, c’est un point fort. Ensuite, dans les centres urbains, on assiste à une évolution des modes de consommation qui s’accompagne d’un intérêt accru pour la restauration rapide et les produits transformés, aujourd’hui largement importés. L’étude rencontre certaines limites. Il y a en effet des choses à approfondir sur les habitudes du consommateur et sur la part réelle de l’autoconsommation, une pratique répandue sur notre territoire. Par ailleurs, nous n’avons pas de données sur l’origine de tous les produits consommés. Le marché informel avec les importations clandestines est important en Guyane et on ne sait pas le quantifier. Les produits qui en sont issus posent problème car ils n’ont pas les mêmes normes que les nôtres et peuvent créer des dommages sur le plan de la santé et de l’environnement. 

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À quoi ressemble l’assiette du consommateur guyanais ? 

Elle se compose de 22 % de fruits et légumes, de 19 % de manioc et tubercules, des produits locaux donc. Elle est également constituée de 23 % de pâtes et féculents majoritairement importés, et de 23 % de viande, poisson et autres produits d’origine animale. Mais ce qui est très marquant, c’est l’assiette des boissons. Si l’on exclut la consommation de l’eau du robinet, la moitié est constituée de boissons sucrées. Avec le thé et le café, ce sont les produits transformés les plus importés (près de 25 000 tonnes par an contre 17 000 et 16 000 pour les alcools ou les eaux minérales). Il y a de vrais axes de réflexion à mener dans ce domaine. 

Les produits locaux sont souvent plus chers que les produits importés… 

Cette question n’est pas abordée directement par l’étude mais il est clair que la question du prix des produits alimentaires est un facteur central des modes de consommation. En effet, les denrées alimentaires sont 40 % plus chères qu’en métropole, alors que 53 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. 

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Quels sont les projets mis en place pour favoriser la production locale ? 

Il est essentiel de créer du lien entre la restauration collective (qui brasse les plus gros flux) et les producteurs. Cela permettra de structurer les filières, d’assurer des revenus réguliers mais aussi de développer et de diversifier l’offre. Dans cette perspective, l’ADEME apporte son soutien en participant aux différents comités de pilotage et appuie financièrement les projets. La CCOG a étudié l’accès des établissements scolaires à la consommation d’aliments locaux tels que les fruits et légumes. Cela a abouti à la diversification des menus et l’élaboration de collations adaptées aux goûts et besoins des enfants. Du côté du Parc amazonien de Guyane également, un projet ambitieux débute : « Consommons autrement à Maripasoula et Papaïchton : tous ensemble pour les filières alimentaires locales ! »

Enfin, les acteurs de la filière pêche, avec l’aide de WWF, travaillent pour améliorer l’impact environnemental de la pêche côtière en favorisant les circuits courts de commercialisation et en diversifiant les pêches. 

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L’étude menée par l’ADEME porte également sur l’impact carbone de l’alimentation. Quels sont les constats sur ce plan ?

Avec une assiette représentant 4,4 kg équivalent carbone (CO2e) par jour et par habitant, la Guyane reste le territoire d’Outre-mer avec l’impact carbone le plus faible. Contrairement aux idées reçues, l’impact carbone lié au transport des marchandises importées est minime (4,1 %).  C’est la production – locale ou importée – de denrées alimentaires et notamment les produits d’origine animale qui polluent le plus, représentant 69 % des émissions de gaz à effet de serre. Le principal constat est là : l’impact de notre alimentation sur les émissions de carbone est très lié à notre consommation de protéines animales et de produits transformés.

Comment développer l’alimentation « durable » dans nos assiettes ? 

Tout d’abord, il s’agit de changer les comportements. Il faut tendre, pour la préservation de la santé publique et de l’environnement, vers une végétalisation de l’assiette et la consommation de produits locaux et de saison, issus des circuits courts et de modes de production vertueux (bio, agroécologie…). 

Il y a de forts enjeux sur la sensibilisation. En éduquant au goût et à la nutrition, en diversifiant les recettes à base de produits locaux, on mettra en place de nouvelles pratiques alimentaires.  Il est également primordial de réduire le gaspillage alimentaire et de revaloriser les bio-déchets, notamment ceux issus de la restauration collective, en les utilisant comme compost par exemple. Cela permettra de booster l’économie circulaire et de limiter les importations d’intrants. L’un des objectifs de développement est de garantir un revenu juste et équitable pour le producteur comme pour le consommateur en travaillant sur une meilleure transparence des prix ainsi qu’en valorisant les habitudes alimentaires traditionnelles contenant plus de protéines végétales. 

Quelques pistes de l’ADEME pour orienter la production locale vers une production durable
L‘étude évoque quelques pistes pour tendre vers une production plus durable 
• Permettre un développement de la production agricole locale pour maintenir voire améliorer le taux de couverture alimentaire actuel. 
• Travailler sur la fertilité des sols, la fragilité des sols latéritiques (minces et acides) étant un enjeu de durabilité pour tous les systèmes agricoles en place (zones d’élevage du littoral, arboriculture-maraîchage de Cacao et Javouhey, pratiques d’abattis brûlis notamment sur les fleuves…). On peut citer sur ce sujet l’étude 4 pour 1 000 du CIRAD, qui vise à améliorer le stockage de carbone dans les sols agricoles. 
• Intégrer dans la réflexion les impacts carbone de la déforestation, l’agriculture étant aujourd’hui à l’origine d’un tiers de la défriche réalisée en Guyane. 
• Miser notamment sur l’agroforesterie, c’est-à-dire adapter nos systèmes de production à l’écosystème et non l’inverse.