Si l’enjeu est de taille et la préoccupation unanime, le poids de la production locale face aux produits issus de l’importation est encore très faible aux Antilles. Le point sur les freins et les perspectives avec Noémie Gourmelen, ingénieure alimentation durable et territoires durables à l’ADEME*.

Texte Sarah Balay – Photo Lou Denim

Quel état des lieux de la production locale aux Antilles faites-vous à l’ADEME ?

En Guadeloupe, comme en Martinique, le système de monoculture prédomine avec la canne, la banane et le melon principalement. Ces cultures occupent une grande partie de la superficie des espaces agricoles et bénéficient de filières structurées et tournées vers l’export. Les professionnels peuvent ainsi profiter d’aides financières et d’accompagnements techniques à l’inverse des autres petits producteurs, plus vulnérables, faisant partie du circuit informel et sur lequel repose la consommation locale : production de tubercules, maraîchage, arbres fruitiers, etc. À ce jour, nous avons peu de visibilité sur ce circuit, peu structuré et des difficultés pour obtenir des données en termes de traçabilité, de conditions de conservation et de lieux de vente de cette production…

Au niveau de l’élevage, les deux territoires présentent les mêmes caractéristiques : une filière bovine peu structurée, une filière porcine davantage développée mais très concurrencée par le porc d’importation, une filière pêche artisanale et une filière volaille surtout tournée vers la production d’œufs.

Aux Antilles, l’industrie agro-alimentaire destinée à la consommation locale concerne l’industrie des boissons (eau de source, jus de fruits, spiritueux…), avec une diversification vers des industries de lait, transformation des fruits et légumes, des produits de la mer et carnés, plats cuisinés, boulangerie, pâtisserie et pâtes alimentaires. Avec dans la plupart des cas, des matières premières qui ne sont pas issues de la production locale (farine de blé, lait en poudre, etc.).

Tendre vers une alimentation plus végétale serait donc à la fois plus écologique et meilleure pour la santé.

Noémie Gourmelen, ingénieure alimentation durable et territoires durables à l’ADEME

Que représente cette production locale en matière de couverture des besoins ? 

La Guadeloupe et la Martinique présentent une forte dépendance aux importations qui s’élève à 80 %. Selon les estimations dont on dispose, seule la filière œufs couvrirait la majorité des besoins, 97 % en Martinique et 78 % en Guadeloupe. Pour le reste, les niveaux seraient encore faibles : 35 % pour les fruits et légumes, entre 15 et 20 % pour la filière bovine, entre 21 et 30 % pour la filière porcine et 15 % pour l’alimentation animale. Au niveau de la pêche, alors que la Guadeloupe atteint les 35 %, la Martinique dépasserait péniblement les 10 %. La part de l’autoconsommation représenterait 6 % dans l’ensemble des DROM (Antilles, Réunion, Polynésie, Guyane). Il s’agit de la production vivrière informelle certains cultivent dans leur jardin et la vente de fruits et légumes sur le bord des routes. 

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Quels sont les principaux freins à son développement selon l’ADEME ? 

Ils sont multiples. La population agricole et les éleveurs sont vieillissants et le secteur attire très peu les nouvelles générations. Car seules les filières majoritaires (canne, banane…) apportent des garanties suffisantes. Résultat : la filière d’approvisionnement locale manque de bras et d’accompagnement technique, les produits locaux sont peu reconnaissables (défaut de traçabilité) contrairement aux produits issus de l’importation et souffrent d’une forte concurrence avec les denrées importées qui n’ont pas les mêmes normes de production.

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Se rapprocher de l’autosuffisance alimentaire et tendre vers une alimentation durable représentent de réels enjeux pour nos territoires…

Les enjeux sont d’abord économiques, car cette dépendance à l’importation coûte cher avec des prix à la vente 30 à 40 % plus élevés qu’en métropole. Cela entraîne également une fragilité du système alimentaire. Quand tout s’arrête, ce qui peut arriver en temps de crise, la situation devient très vite problématique. La santé publique est aussi en jeu. Le glissement du régime alimentaire de nombreux antillais vers des produits ultra-transformés et une quantité importante de protéines (30 % de la composition de l’assiette) entraîne surpoids, obésité, diabète et maladies cardio-vasculaires. Cette proportion de produits d’origine animale représente à elle seule 60 % de l’impact carbone. Tendre vers une alimentation plus végétale serait donc à la fois plus écologique et meilleure pour la santé. Travailler sur la décarbonation dans la phase de production agricole est aussi primordiale puisqu’elle représente près de 90 % de l’empreinte carbone qu’elle soit locale ou importée. 

Quels sont les leviers qui pourraient améliorer la situation ? 

Depuis 2014, des projets alimentaires territoriaux (PAT) sont lancés afin de relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires via le soutien à l’installation d’agriculteurs, les circuits courts ou les produits locaux dans les cantines. Depuis deux ans, l’ADEME apporte son soutien financier et participe aux différents comités de pilotage. Le but est de permettre aux différents acteurs de l’alimentation de se concerter pour élaborer un plan d’action commun en vue d’un système alimentaire local vertueux. 

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Auriez-vous quelques exemples d’initiatives performantes reçues à l’ADEME ? 

Dans le nord Grande-Terre, nous soutenons, avec la DAAF(2) en première ligne, le projet de la communauté d’agglomération (CANGT) : Lizinsantral. Il s’agit d’un futur atelier de transformation de produits agricoles locaux à destination des cantines scolaires. Ce projet répond aux objectifs d’accès aux denrée alimentaires locales et de qualité pour tous. Il incite l’installation des agriculteurs en leur permettant un écoulement de leur production, renforce l’attractivité du territoire et l’éducation des jeunes vers une consommation en produits de qualité et locaux. En Martinique, nous luttons contre le gaspillage alimentaire (25 % de la production agricole invendue ou perdue dans les champs selon l’association Réveil agricole) à travers un circuit de collectes et distribution ou glanage aux champs à destination des associations de lutte contre la précarité.  

1.ADEME : Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. 2.DAAF : Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt. 

Pour en savoir plus : consulter le rapport Impact environnemental de l’alimentation en Outre-Mer sur www.librairie.ademe.fr