Pour limiter l’impact de l’activité humaine sur l’environnement, l’Association de gestion de la Réserve naturelle nationale de Saint-Martin aménage les sites les plus fréquentés dans son enceinte. Nous avons suivi ses agents une après-midi, entre suivi scientifique des espèces animales et rappel des règles élémentaires aux visiteurs.

Texte Lise Gruget – Photo Fanny Fontan / Hans Lucas

« C’est une trace de ponte de tortue verte », explique Aude Berger, chef de projet LIFE BIODIV’OM au Pôle scientifique de la Réserve naturelle de Saint-Martin, en désignant les empreintes de nageoires dans le sable retraçant le parcours de l’animal depuis le rivage. Enfoncée jusqu’aux genoux dans un cratère de plus d’un mètre de diamètre, elle mime devant une poignée de touristes les mouvements effectués quelques nuits plus tôt par la tortue pour creuser ce qui aurait dû être son nid, si elle n’avait finalement pas renoncé à pondre. 

En maillot de bain, l’auditoire attentif profitait jusque-là de l’ombre des raisiniers en haut de la plage, sur les tables de pique-nique installées par la Réserve naturelle. Mais l’arrivée d’Aude Berger et de sa collègue Ashley Daniel, garde animateur et technique, qui opèrent en ce mois d’octobre leur suivi scientifique bihebdomadaire, a suscité leur curiosité. « On se demandait justement si c’était une tortue qui avait fait ce gros trou », avance Maryse, en vacances à Saint-Martin, venue profiter de Tintamare avec ses amis retraités. « On nous a déposés en bateau depuis l’embarcadère de Pinel », précise-t-elle. 

Havre de paix (protégé)

Nous avons donc deux ans et environ 300 000 euros pour renforcer ce parc de mouillage.

Aude Berger

La traversée jusqu’à cette île déserte située au nord-est de Saint-Martin ne prend en effet que quelques minutes. Alors touristes et résidents sont nombreux à se faire débarquer sur la plage principale, Baie Blanche, avec assez de vivres pour passer la journée et jouer les Robinson. Sinon, ils viennent avec leur propre bateau ou bien participent à une excursion, notamment en catamaran. Il faut dire qu’elle a tout d’un décor de carte postale avec sa longue étendue de sable doré, loin de l’agitation des bars de plage de la Baie orientale que l’on devine au loin. À ses extrémités, des falaises orangées abritent dans leurs aspérités, pailles-en-queue et autres oiseaux marins. À terre, on peut observer le balai des principaux habitants : iguanes, lézards et Bernard-L’hermite. Outre le plaisir de la baignade dans une eau calme, turquoise et cristalline, on vient y observer les tortues marines (vertes) qui fréquentent les herbiers à quelques mètres du bord, en espérant ne pas se retrouver nez à nez avec un barracuda. Ce havre de paix, quasi vierge, est une zone protégée comme en attestent les nombreux panneaux explicatifs sur la faune et la flore qui parsèment le littoral. 

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11 kilomètres de linéaire côtier

Si le centre de cette petite île où les explorateurs en herbe peuvent encore voir ce qui fut le premier aéroport de Saint-Martin, est privé, et appartient à la famille Fleming, la bande des 50 pas géométriques, publique, est affectée au Conservatoire du littoral et classée « Réserve Naturelle Nationale ». Créée en 1998 sous le statut d’association loi 1901, la Réserve naturelle nationale de Saint-Martin s’étend sur 3 060 hectares, au nord-est de la partie française. Elle comprend 2 900 hectares de partie marine entre Anguilla, Saint-Martin et Saint-Barthélemy et 154 hectares de parcelles terrestres (soit 11 kilomètres de linéaire côtier), affectés par l’État au Conservatoire du Littoral et gérés par l’Association de gestion de la Réserve, ainsi que 198 hectares de zones humides, répartis sur toute l’île. « Pour signaler les frontières de la Réserve sur la partie marine, nous avons installé une dizaine de bouées jaunes », avance Aude Berger. 

Sur un territoire qui vit principalement du tourisme, l’enjeu consiste à trouver un équilibre entre conservation de la biodiversité et activité humaine. Parfois cette conciliation est perdue d’avance. C’est pourquoi pour maintenir les activités touristiques interdites comme le jet ski, et les traditions d’ancrage de pêcheurs, la Baie orientale et Cul de Sac ont d’emblée été exclues du périmètre de la Réserve. Pour limiter l’impact de l’homme sur les autres sites, la Réserve agit sur trois leviers : aménagements, sensibilisation, contraventions. 

Bouées et pièges à rats

« À l’intérieur de la Réserve on a des sites à haute fréquentation : le Rocher créole, l’îlet Pinel et Tintamare. Pour pouvoir limiter les impacts de l’ancrage, nous avons installé des bouées de mouillages dont l’entretien nous incombe », poursuit Aude Berger. La Réserve a récemment remporté un appel à projet de l’Office Français de la Biodiversité. « Nous avons donc deux ans et environ 300 000 euros pour renforcer ce parc de mouillage. Nous avons subi de très grosses pertes avec Irma, notamment à Pinel et n’avions pas les moyens de les remplacer. Il nous en reste dix au Rocher Créole et quinze à Tintamare. Là, non seulement on va pouvoir retrouver le niveau d’avant mais aussi l’augmenter un peu », se réjouit-elle tout en continuant à longer la plage pour compter les traces de ponte de tortues. « Au retour, on fait le suivi des requins juvéniles », explique-t-elle. Et d’ailleurs quelques minutes plus tard, alors qu’Ashley et elle marchent le long de l’autre plage de l’île, celle du lagon, un jeune requin citron apparaît à quelques mètres du bord. 

Un peu plus haut entre les rochers, elle contrôle l’état d’un des 150 pièges à rats que la Réserve a installés depuis le mois de juillet sur toute la partie ouest de Tintamare. Une régulation effectuée tous les cinq ans et qui au vu du nombre de déclenchements (500 par quinze jours) apparaît indispensable. « C’est une espèce exotique envahissante responsable de la plus forte perte de la biodiversité dans les espaces naturels. Il y a aussi l’aspect sanitaire pour l’accueil du public et notamment des campeurs », souligne Aude Berger. Le camping est normalement interdit dans la Réserve mais il est ici toléré car considéré comme une tradition culturelle. Il y a tout de même des conditions : prévenir la Réserve qui délivre un papier d’autorisation et laisser un chèque de caution qui sera utilisé en cas de dégradation. 

Police environnementale

La conciliation entre conservation et fréquentation est un équilibre fragile fait d’autorisations et d’interdictions. À bord de sa vedette, les membres de la Réserve ont d’abord contrôlé la côte nord de Tintamare, bordée de falaises, pour opérer le suivi des espèces d’oiseaux qui viennent y nicher de manière saisonnière et où il est donc interdit d’accoster. Pour faire respecter ces règles, la Réserve est dotée d’une brigade de police environnementale. « Je suis garde animateur technicien commissionné, ce qui veut dire que je peux dresser des PV et saisir le matériel qui a servi à commettre une infraction », explique Christopher Joe. Si ce jour-là il n’a relevé aucune infraction, il lui arrive, lors de ses contrôles quotidiens, de repérer par exemple des bateaux mouiller dans les herbiers ou près de la plage. En vingt ans de métier, il note tout de même une considérable diminution du nombre de braconniers dans la Réserve. En revanche, il lui arrive de tomber dans le périmètre de la Réserve sur des entreprises touristiques non déclarées. « Pourtant », fait-il remarquer, « pour travailler sur la Réserve il faut être enregistré auprès de nos services et payer une redevance ». Cette participation, nécessaire pour financer une partie des actions de l’association, symbolise aussi l’intérêt de l’équilibre entre l’activité anthropique et la protection de la nature.

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