Bartet, Bartète, Bartête, Barthete. Un nom de famille mal orthographié dans la presse et les documents administratifs, une vie d’injustice et de contradictions… Quelle est la véritable histoire de Marie Bartete, connue comme “la dernière bagnarde de Guyane”, envoyée depuis l’Hexagone ? À l’occasion d’une exposition virtuelle qui lui est consacrée, Guyamag tente de retracer le fil.

Texte Sandrine Chopot

Une exposition en ligne pour Marie Bartete

Vanessa Van de Walle, archiviste à Rémire-Montjoly ; Christiane-Katia Ferré, auteure de Graine de Bagnarde (éd. Saint-Léger) et co-réalisatrice du documentaire Matricule 107, ont retracé le parcours de Marie Bartete, en confrontant ce qui a été rapporté sur sa vie et la réalité s’appuyant sur des documents d’archives.

Sur son acte de naissance, Marie est Bartette mais son père signe Bartete. Née en 1863 à Monein, dans le Béarn. « Comme toutes les petites paysannes du Béarn, Marie grandit, certainement heureuse près de son père qui lui apprend à faire le ménage, traire les vaches, battre le fléau, courir à la source Bartete pour faire sa toilette et remplir les seaux », explique Katia-Christiane Ferré, auteure de Graine de Bagnarde (éd. Saint-Léger). Peu de temps après la mort du père, Jeanne, la mère, part en prison, accusée d’escroquerie et de vol. Elle disparaîtra à tout jamais de la vie de ses enfants. Abandonnée à 13 ans, pour subsister, Marie n’a qu’une seule solution : devenir une voleuse de survie.

Marie Baretete
Marie Bartete

Une vie sans rédemption

Alors qu’elle est domestique, Marie a un enfant naturel à 19 ans dont on perd la trace. « Après sa première condamnation pour vol, on suppose qu’il fut abandonné. Ce bébé a d’ailleurs aujourd’hui une descendance et Marie a des arrières-arrières-arrières… petits enfants », explique l’archiviste Vanessa Van de Walle. Marie quitte les Pyrénées-Atlantiques pour Bordeaux. Elle enchaîne vols et escroquerie. « Trois punitions vont condamner Marie à la relégation pour récidive (loi inique de la 3ème République). Celle-ci consistera dans l’internement perpétuel sur le territoire des colonies », précise Katia-Christiane Ferré. Marie est alors envoyée au bagne de Guyane.

Lire Aussi | Collectivité Territoriale de Guyane : de fortes ambitions économiques pour 2023

Marie Bartete : matricule 107

Le 3 avril 1889, Marie touche terre au « couvent » officiellement le « dépôt des femmes reléguées » à Saint-Laurent du Maroni, actuel collège Eugénie Tel Eboué. « La plupart des femmes étaient accusées de vols et venaient de l’Hexagone, quelques-unes des colonies. Les reléguées étaient collectives. Une fois sorties, elles devenaient des reléguées individuelles et pouvaient être réintégrées si leur comportement était jugé mauvais. C’est ce qui arriva à Marie quand son concubin l’accusa de vol. Elle retourna chez les sœurs », ajoute l’archiviste. La vie des reléguées est monotone. Selon l’historienne Odile Krakovitch, dans les « Femmes Bagnardes », la journée est de huit heures durant laquelle elles s’adonnent le plus souvent à des travaux de couture. La routine change le dimanche avec une messe célébrée sur place et une promenade obligatoire. « Cette vie monotone peu propice à la joie déclenche colère, dépression, envie de fuir. Les maigres rations, la faim incite au vol. Marie n’y résistera pas et sera punie à maintes reprises», commente Katia-Christiane Ferré. Marie a comblé un des souhaits de la 3ème République : elle donne naissance à trois enfants qu’elle a perdus et un mariage bagnard.

Lire Aussi | En Guyane, l’ADEME observe une évolution des habitudes

Une société sexiste

En choisissant de se focaliser sur le parcours d’une personne, Vanessa et Katia-Christiane interrogent sur la condition des femmes tant comme condamnées que comme femmes libres. Pour exemple, les descriptions peu élogieuses du journaliste Alexis Danan : « Peut-être aurais-je dû me contenter du spectacle que leur affreuse décrépitude me donnait. (…) ». De son côté, l’administration ne se montre pas plus flatteuse. Dans un rapport, on peut lire : « L’âge avancé de ces femmes (39 seulement sur 95 ont moins de 40 ans), l’état d’épuisement dans lequel se trouve la plupart d’entre elles, les rendent sans utilisation sérieuse possible dans les lieux de relégation. Ce n’est pas avec les femmes reléguées que l’on pourra arriver à constituer des familles dans les colonies pénales ».

Marie décède le 13 mars 1938 à l’hôpital de Saint-Laurent du Maroni par suite de cachexie sénile. « Quarante libérés, pieds nus, pleuraient à son convoi comme des orphelins », écrit Alexis Danan. « Marie voulait vivre coûte que coûte. Elle avait foi en l’avenir, ce qui lui a permis d’arriver à cet âge remarquable pour une reléguée. Marie n’est pas Louise Michel, cette jeune paysanne ne représente rien pour l’Histoire, c’est pourquoi nous nous sommes obstinées à la sortir de l’ombre! » conclut Christiane-Katia Ferré.

Lire Aussi | Chantal Cusset-Gaydu : « Faire du Creps Antilles-Guyane une entité incontournable »

La dernière bagnarde de SLM était guadeloupéenne
Si Marie est bien la “dernière bagnarde originaire de l’Hexagone” à mourir à Saint-Laurent du Maroni, le “titre” de dernière bagnarde revient à Amélia Fricacée, dite Florence, matricule 368, une guadeloupéenne envoyée en Guyane pour incendie. « Elle arrive à Saint-Laurent du Maroni en 1887 et meurt en 1943. Nous ne connaissons rien de sa vie. Son dossier de condamnée est vide », tient à préciser Vanessa Van de Walle.