Sous le règne du “tout tourisme”, la production locale a longtemps fait figure de parent pauvre de notre économie. Un changement de cap est amorcé et le chemin reste à tracer.

Texte Ann Bouard – Photo Thomas Proust

Victimes de la pression de l’urbanisation, les espaces agricoles ont longtemps subi un phénomène d’érosion, qui a pu amplifier l’impact des aléas naturels. Aussi, après le passage d’Irma, la Collectivité avait formulé le vœu de sortir du “tout tourisme” pour développer l’agriculture et tendre vers plus d’autonomie alimentaire. Cinq ans plus tard, quelles perspectives pouvons-nous tracer ? Entretien avec Julien Gumbs, animateur de la coopérative Sicasmart qui a pour but l’organisation de filières, de la production à la commercialisation.

Où en est l’agriculture à Saint-Martin ? 

Dans toutes les îles de la Caraïbe, l’agriculture se développe et elles se soucient à trouver des débouchés pour leur produits. À Saint-Martin le marché existe, mais il y a peu de production car les agriculteurs sont confrontés à un manque d’aides financières, d’outils de production et de soutiens politiques. 42 exploitations étaient recensées en 2020, soit environ 228 hectares, mais leur nombre ne cesse de diminuer, par découragement et manque de volonté politique. Saint-Martin est toujours classé comme un territoire rural alors que plus de la moitié des surfaces sont non agricoles. 

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Ce foncier est-il réellement le premier frein ?

Le problème de l’absence d’administration volontariste dans les années 60-80, l’émigration massive de l’époque ont accentué la pratique de l’occupation du foncier familial aboutissant à un nombre impressionnant d’indivisions avec impact sur le développement en général et l’agriculture en particulier. Aujourd’hui, les titres de propriété en bonne et due forme font défaut et limitent l’exploitation du foncier. Les agriculteurs ont du mal à faire valoir leur droit tant pour l’enregistrement que le montage de dossiers et l’obtention d’aides. Sur les six éleveurs bovins, officiellement enregistrés, deux sont en cessation d’activité. Ils ne tirent pas assez de revenus de leurs exploitations ne serait-ce que pour équilibrer l’activité. 

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Qu’en est-il de la production végétale ? 

Depuis quatre à cinq ans, on note effectivement une émergence du végétal, même si ce sont principalement des micro-productions, souvent non déclarées en tant que structures agricoles mais simplement sous forme d’associations. La principale limite rencontrée tient à la difficulté de négocier les prix, du fait d’une production trop faible en volume. Et faute de volume d’activité suffisant, la coopérative ne dispose d’un hangar de stockage, de moyens de transport ou de personnel. C’est un pan de l’activité qui est balbutiante et qui devra trouver des leviers de développement.

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Tout reste à faire…

La nouvelle mandature semble vouloir développer l’agriculture. Le marché existe, il reste du foncier. Il y a donc un potentiel qui ne demande qu’à être développé. Il faut une vraie volonté politique et des financements.

Dans des contextes similaires, certaines îles sont parvenues à mettre sur pied un modèle qui fonctionne. À l’image d’Anguilla qui finance une station agricole où les agriculteurs peuvent acheter des semis (tomates, salades, pois, etc) et les éleveurs des reproducteurs pour l’amélioration du cheptel (caprin, ovin et porcin). Une chose est sûre, il faut s’écarter des modèles continentaux, non adaptés à nos spécificités, et inventer ensemble, producteurs, éleveurs, politiques et consommateurs, notre modèle.