Loin d’un effet de mode, l’agriculture durable est au cœur d’un plan d’actions pour le territoire, conçu et construit par la Direction de l’alimentation de l’agriculture et de la forêt (DAAF). Explications.

Propos recueillis par Lise Gruget – Photo Thomas Proust

Anecdotique comparée au volume de produits importés, la production locale à Saint-Martin a bien un large potentiel devant elle. La DAAF parle ainsi de « développer une agriculture locale de qualité et respectueuse de l’environnement », par des actions de promotion, d’accompagnement, de professionnalisation et de structuration des filières. Une fois établi, comment ce Plan territorial de l’agriculture durable (PTAD) de Saint-Martin, divulgué en mars 2021, peut-il s’incarner ? Mikhaïl Pantchichkine, qui vient récemment de prendre ses fonctions en tant qu’adjoint du chef d’unité à la DAAF de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, nous dessine les contours du projet de l’État et de la Collectivité sur la question agricole.

Le PTAD rappelle que l’économie de l’île jadis centrée sur l’agriculture et la production locale (coton, canne, tabac, indigo, marais salants…) se caractérise aujourd’hui par la prépondérance du secteur tertiaire regroupant 60 % des entreprises et 81,8 % des emplois (2015) et résolument tournée vers le tourisme. Dans ce contexte, le secteur agricole représente une part marginale de l’activité économique et de la surface du territoire. Est-il possible de chiffrer cette part ? 

Saint-Martin n’échappe pas à la règle. La réalité et la diversité de l’activité agricole sur un territoire donné sont conditionnées par un contexte économique, la disposition de moyens techniques et humains, ainsi que les caractéristiques agro-environnementales et pédoclimatiques (liée au climat interne du sol, ndlr). Or le contexte économique a bien évidemment fortement évolué depuis cette époque et les objectifs de développement, qui justifiaient jadis de tirer absolument avantage du secteur agricole, sont atteints désormais via d’autres activités sur le secteur tertiaire notamment. L’activité agricole est aujourd’hui fragilisée par la pression foncière, la limitation en eau et l’internationalisation des échanges. 

Selon l’INSEE, le secteur de l’agriculture représentait 0,3 % de l’emploi à Saint-Martin en 2016. Les terres classées en zone agricole représentent 305,95 ha de surface soit 6 % du territoire et la SAU est évaluée à 267,75 ha, constituée essentiellement de pâturages.

La part limitée de l’activité agricole n’est toutefois pas tant à rapprocher avec les chiffres de l’économie de l’île, mais davantage avec les objectifs de maintien d’une forme d’autosuffisance alimentaire. À cette fin, l’État s’engage et défend des aspects stratégiques comme le maintien de l’ouverture de l’abattoir pour la filière viande. Des investissements dans les exploitations et les outils de transformation sont favorisés par les subventions provenant du FEADER, mais également de programmes nationaux ou de la Collectivité.

Combien d’exploitations agricoles sont aujourd’hui recensées à Saint-Martin ? À combien estimez-vous le nombre d’exploitations informelles ?

Selon l’étude Agreste de 2020, on recense officiellement 36 exploitations à Saint-Martin, ce qui ne peut bien sûr témoigner de la dimension et de l’importance de l’agriculture pour le territoire de Saint-Martin et ses habitants. L’agriculture informelle est bien évidemment difficile à chiffrer et nécessiterait une étude spécifique. Il faut distinguer dans l’agriculture informelle la part qui est une activité non professionnelle destinée souvent à l’autosubsistance et celle qui correspond à une activité non déclarée et hors des exigences administratives et sanitaires. Aussi, l’État est déterminé à accompagner dans la mesure du possible ces productions sur la voie de la régularisation mais veille aussi à effectuer des contrôles pour maîtriser le risque sanitaire et garantir le respect du bien-être animal. En cohérence avec le PTAD, l’État vise à maintenir une production locale qui puisse s’inscrire dans le cadre réglementaire et bénéficier pleinement des instruments financiers et techniques d’accompagnement.

Le rapport liste les atouts de l’agriculture de Saint-Martin. Quels en sont les principaux et comment les mettre en avant ?

Le PTAD fait état, à juste titre, d’une assez faible utilisation de produits phytosanitaires, ce qui peut en principe permettre de valoriser les produits et de labelliser les exploitations. L’agriculture extensive s’applique davantage à l’élevage de bovins, ovins et caprins. Il est vrai que cela peut également valoriser l’image et permettre d’être moins dépendants d’alimentation importée. Mais il faut également noter qu’il existe une pression foncière importante sur les espaces agricoles et que l’élevage extensif (avec une faible densité par hectare d’animaux) a plutôt tendance à reculer au profit justement de productions plus intensives en surface. Un atout important de l’agriculture à Saint-Martin est la visibilité du territoire et son attractivité touristique. Plutôt que de restreindre l’activité agricole par un transfert vers le secteur tertiaire, ce contexte peut nous permettre de viser l’amélioration d’une rencontre entre la production agricole de qualité et ces consommateurs qui ont également envie de découvrir ce qui se fait localement. Il faut créer davantage de rituel autour de l’achat de produits avec des espaces et des cadres dédiés, qui manquent encore sur le territoire et que l’État souhaite développer.

Selon ce même rapport, les obstacles au développement de l’agriculture locale seraient, entre autres : la diminution du nombre de surfaces agricoles disponibles, la difficulté de l’accès à l’eau, les surcoûts de production liés à l’obligation d’importer fourrages et autres denrées. Qu’est-ce qui est mis en place et que reste-t-il à mettre en place pour y remédier ? 

Il faut continuer à travailler main dans la main avec la Collectivité pour garantir des espaces agricoles et même développer ces derniers pour donner des possibilités d’installation avec des projets innovants en phase avec les attentes en termes de consommation. La question de l’eau est évidemment cruciale sur le territoire. L’État, aux côtés de la Collectivité, travaille à de nouvelles solutions adaptées pour sécuriser l’approvisionnement des exploitants. Des réflexions sont en cours concernant les projets de captage. Les réserves d’eau souterraine sont minces et pour des raisons techniques, les puits n’offrent bien souvent que des possibilités limitées à Saint Martin. Il faut également noter que le territoire fait face à plusieurs espèces envahissantes qui nuisent aux récoltes et aux élevages. Sur ce sujet aussi, les services de l’État sont engagés sur le suivi et la recherche de solutions pour réduire cette pression sur les productions des agriculteurs. L’importation d’aliments peut bénéficier dans certains cas d’aides et nous travaillons à ce que soit le cas le plus souvent possible. Toutefois, il faut également réfléchir et envisager toutes les solutions techniques permettant de s’approvisionner localement en fourrages.

Parallèlement, l’engouement des consommateurs (particuliers et restaurateurs) pour les productions locales et le circuit court semble croissant, pourtant le marché ne compte pas de producteurs. Comment favoriser le développement de cette consommation locale (transformation, points de vente…) selon la DAAF ? 

Il faut travailler à la rencontre entre les producteurs et les consommateurs qu’ils soient touristes, résidents temporaires ou habitants permanents de Saint-Martin. Cela passe par des concertations et des échanges avec les bouchers, les restaurateurs mais également des distributeurs. Des solutions sont à identifier et à développer pour segmenter l’offre visuellement et valoriser également l’information de l’origine des produits. Plusieurs restaurants et points de vente mettent déjà en avant ces caractéristiques et nous allons poursuivre cette démarche afin d’offrir des perspectives de débouchés aux exploitations.

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Est-il par ailleurs prévu de développer l’offre en formation locale pour encourager les jeunes à se tourner non seulement vers les métiers agricoles mais aussi vers leur transformation ?

La formation et le travail des jeunes de Saint Martin constituent des enjeux majeurs dans l’agriculture et dans les autres domaines d’activité également. Plus encore que pour les autres métiers, l’enjeu est de taille pour l’agriculture et l’État veut offrir à la fois un accompagnement et des perspectives. Des moyens seront disponibles sur le programme FEADER pour financier conseil et formation. Bien évidemment, nous travaillons aussi de concert avec la Collectivité et la CCISM pour que cet accompagnement soit le plus complet possible et couvre les différentes situations et projets d’installation. Les métiers de transformation sont associés à la même logique car ce sont les filières qui doivent être soutenues et renforcées.

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Enfin, et de façon plus globale, sur un territoire où la grande majorité des produits consommés sont importés, comment la DAAF peut améliorer la part de la production locale et de la consommation locale ?

En synthèse, les actions et dispositifs précisés précédemment visent en effet tous à donner plus de place à la production et à la consommation locale, en cohérence avec les objectifs et les orientations décrites dans les PTAD. Il est indispensable de veiller à harmoniser les démarches et à agir sur tous les leviers. Les filières doivent être accompagnées de l’amont à l’aval, “de la fourche à la fourchette” comme il est coutume de dire. Sans avoir la prétention de bouleverser complément les modes d’approvisionnement, l’État se veut résolument engagé à permettre une progression des produits locaux de qualité dans les habitudes de consommation à Saint-Martin.

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DÉFINITION
Le PTAD, un objet de planification 
Le plan territorial de l’agriculture durable (PTAD) est prévu pour que l’agriculture française et le secteur agro-industriel répondent aux enjeux des défis alimentaire, environnemental et territorial.*
Issu d’une réflexion collégiale, il fixe les grandes orientations de la politique agricole et agro-alimentaire à Saint-Martin en tenant compte des spécificités. 
Le suivi de la mise en œuvre est assuré par le comité d’orientation stratégique et de développement agricole (COSDA), qui en établit un état des lieux annuel.
À travers le PTAD, l’État affirme son soutien fort à l’activité agricole en présentant une vision à long terme, assurant notamment l’exercice de l’autorité de gestion du fonds européen FEADER à compter de 2024.
*La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche et le décret n°2011-531 du 16 mai 2011 introduisent le plan régional de l’agriculture durable qui doit être approuvé par un arrêté du préfet de région.