Consommer de la viande locale implique une succession d’étapes et de nombreux acteurs dont la clé de voûte est l’abattoir, qui a enfin rouvert à l’automne dernier. Une première étape qui s’inscrit dans une démarche globale de structuration de la filière élevage. 

Texte Lise Gruget – Photo Thomas Proust

Après des mois de travaux et la création d’une société civile, EGEA (établissement public de gestion de l’abattoir de Saint-Martin), l’abattoir de Saint-Martin a enfin rouvert le 18 octobre dernier. « On a tout remis en place. Un premier abattage a été réalisé en présence de l’hygiène pour obtenir l’agrément sanitaire le 5 octobre », avance Valérie Fonrose, conseillère territoriale et présidente de l’EGEA. Et ce, grâce à des subventions de la Collectivité : 70 000 euros de démarrage et 130 000 euros de fonctionnement et d’investissement. « L’EGEA est une émanation de la COM qui lui permet d’embaucher et de créer les conditions financières. Il n’est que l’exploitant et le gestionnaire de l’outil tandis que le bâtiment appartient à la COM », explique Elie Touzé, directeur de l’EGEA ainsi que de la croissance verte et bleue à la Collectivité de Saint-Martin. 

Une mission de service public

Achevé en 2009, puis ouvert en 2015, le bâtiment avait sévèrement été endommagé par Irma en 2017. « Il était alors géré par une société civile, la Seabat. Depuis Irma, il vivotait mais n’avait pas d’activité réelle. La nouvelle mandature avait à cœur de relancer cet outil parce qu’il était super important sanitairement parlant. Sans lui, on sait que beaucoup d’éleveurs vont abattre leurs bêtes sous l’arbre », abonde-t-elle. « Il s’agit d’une part de la protection animale (quelque chose qui nous tient à cœur et par ailleurs une obligation) et d’autre part d’une question sanitaire : on fait en sorte que la viande proposée au consommateur soit saine. Et cela ça ne rapporte pas d’argent, c’est uniquement de la dépense. On répond à une obligation de sécurité sanitaire des aliments », souligne Elie Touzé. Depuis son ouverture, l’établissement fonctionne au rythme d’un abattage par semaine, chaque mardi. Et pour l’instant, uniquement des bovins. 

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L’abattoir : un outil indispensable…

L’un de ses principaux utilisateurs est Emmanuel Gimenez, également employé à temps partiel de l’EGEA et vice-président de la CCI qui englobe la Chambre d’agriculture. Il attendait avec impatience la réouverture de l’abattoir dont l’activité était totalement à l’arrêt depuis avril 2021. « J’ai perdu huit bovins malgré 14 tonnes de foin à cause de la sécheresse pendant la fermeture. Ce sont des bêtes que j’aurais normalement envoyées à l’abattage. Comme ce n’était pas possible et que j’ai choisi de faire en sorte que tous mes animaux aient une fin la plus réglementaire possible, j’ai essayé de les sauver, en vain, avec le vétérinaire et l’alimentation », déplore-t-il. Au-delà de la perte physique, c’est avant tout une grosse perte d’argent, d’autant moins négligeable que dégager des marges est déjà difficile pour lui qui privilégie la qualité à la rentabilité et est en cours de labellisation bio. Depuis octobre il a fait abattre taureaux et bœufs chaque semaine. Son objectif est en effet d‘augmenter son cheptel qui compte aujourd’hui une trentaine de têtes, pour la même quantité d’herbe à partager. Dans un souci de reproduction et de vêlage, les femelles sont donc prioritaires sur son exploitation. « Si la réglementation tolère la consommation personnelle des porcins, ovins et caprins, en France, sans un abattoir, tout ce qui est plus gros que de la volaille ne peut être commercialisé », rappelle-t-il. C’est en ce sens que l’abattoir constitue la clé de voûte entre les éleveurs et les consommateurs. Avant d’arriver dans l’assiette des consommateurs, la viande doit être découpée et préparée. L’objectif, à terme, est de créer un atelier de découpe au sein de l’établissement. Mais pour l’instant, ce sont les bouchers qui s’y collent. « Je paie la prestation d’abattage (entre 8 et 12 euros, ndlr) à l’abattoir puis je me mets d’accord sur un prix au kilo avec le boucher », détaille Emmanuel Gimenez. Actuellement, les seuls bouchers qui vendent la viande locale sont ceux du marché de Marigot. Daniel Arnel, par ailleurs conseiller territorial, est l’un d’entre eux. Chaque semaine, à bord d’un camion réfrigéré, il se rend à l’abattoir récupérer des quarts ou des demies carcasses qu’il conserve en chambre froide puis découpe le samedi sur le marché. Attaché aux coutumes saint-martinoises, il vend uniquement de la viande locale. « On sait avec quoi les animaux sont nourris : de l’herbe et de l’eau. Je ne saurais pas décrire son goût précisément, mais il est vraiment différent de ce que l’on importe », assure-t-il fièrement. Sa clientèle ? « Un peu de tout mais des locaux principalement, parmi lesquels des restaurateurs, dont les lolos juste à côté, et des particuliers. On vend même à des gens qui viennent de Saint-Barth’. » 

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Credit Photo Thomas Proust

…Mais qui ne suffit pas !

Élus, agriculteurs et artisans sont réalistes et ne visent pas l’autonomie alimentaire. Sur un territoire où la très grande majorité des produits consommés sont importés, l’objectif est d’augmenter la part de la production locale en misant sur la qualité et un marché cible. L’ouverture de l’abattoir était indispensable mais elle ne suffit pas à elle seule à relancer la filière élevage du territoire. L’idée est non seulement d’augmenter le volume des abattages, mais aussi de le diversifier à d’autres espèces, notamment les porcins, puis de créer un atelier de découpe et de transformation ainsi qu’une salle de maturation. « Nous avons plein de projets mais d’abord, il nous faut améliorer l’outil de travail et structurer la filière de l’élevage pour la relancer », confie Valérie Fonrose. 

En effet, pour pouvoir amener une bête à l’abattoir, elle doit être baguée et l’éleveur doit donc être enregistré en tant que tel. Et pour pouvoir être enregistré, un agriculteur doit pouvoir justifier de sa légitimité à occuper le terrain sur lequel il exerce son activité agricole. Sans quoi il ne peut non seulement ni accéder à l’abattoir, ni prétendre à des subventions, ni même être assuré. « La majorité des animaux ne sont pas identifiés », constate Elie Touzé qui explique que le projet de la COM est donc d’abord de sécuriser le foncier, ensuite d’installer des éleveurs et les former, accompagnés par la CCISM. Mais aussi d’ouvrir un EDE (Établissement de l’élevage) autonome à Saint-Martin car la convention avec la Guadeloupe a montré ses limites. La prime à l’abattage est actuellement en cours de renégociation. « Il y a une volonté politique très forte sur le domaine agricole. Ils sont en train de mettre le paquet pour que la filière soit bien structurée et qu’on puisse enfin avoir une agriculture digne de ce nom », assure-t-il.