L’émancipation par les Sciences humaines selon Isabelle Hidair-Krivsky

Anthropologue, directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité de Guyane, Isabelle Hidair-Krivsky vient d’être élevée au grade de chevalier de la légion d’honneur. Le couronnement d’un parcours atypique, guidé par la passion des sciences humaines.  

Texte Adeline Louault – Photo Jody Amiet

A la différence de la France hexagonale, ici nos étudiants doivent souvent concilier vie familiale, vie professionnelle et vie universitaire. Ils savent pourquoi ils sont là et n’en sont que plus volontaires.

Isabelle Hidair-Krivsky, anthropologue, directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité de Guyane,

Qui est Isabelle Hidair-Krivsky ?

Rien ne la prédestinait à devenir universitaire. Issue de la classe moyenne, Isabelle Hidair-Krivsky imaginait faire de courtes études et entrer dans la vie active le plus tôt possible. « Bac en poche, je suis partie en France hexagonale faire un BTS en communication et action publicitaires. » Lors de ce cursus, elle découvre la sociologie et, plus largement, les sciences humaines. « Un vrai coup de foudre ! » Pour elle, qui était convaincue qu’elle n’aimait pas lire, ni écrire, c’est une révélation et le début d’un long parcours de travaux et d’examens en anthropologie sociale et ethnologie. Après son doctorat, passé en 2003 à l’École des hautes études en Sciences sociales (EHESS), elle devient maîtresse de conférences (2010), puis obtient l’habilitation à diriger des recherches (2015) et enfin le titre de professeure des universités (2022). « Je me suis lancée par passion, sans savoir où cela allait me mener. Mes parents m’ont inconsciemment transmis cette volonté de réussir car ils ont travaillé dur tout au long de leur carrière. Ma mère est une Arménienne dont la famille a fui le génocide en Turquie en 1916. Elle est arrivée en Guyane en 1947 sans connaître un seul mot de français et elle est devenue « instructrice », selon le terme de l’époque. À son tour, elle a appris à lire et à écrire le français à de nombreuses générations d’élèves ! » 

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Une société plus juste et égalitaire

Depuis 1998, Isabelle Hidair-Krivsky transmet son savoir aux étudiants de Guyane. À travers le Master « Pratiques et ingénierie de l’éducation, du travail et de l’action sociale » (PIETAS), qu’elle a créé en 2012, elle initie les travailleurs sociaux, mais aussi les enseignants de l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (INSPE) à l’anthropologie. Pour nourrir ses cours, elle continue à mener des travaux de recherche et de participer à des conférences sur ses thèmes de prédilection : les constructions identitaires, l’immigration, les discriminations, le sexisme et les relations interculturelles. « Mon rôle est de rendre intelligibles des phénomènes sociaux qui peuvent sembler complexes ou, au contraire, évidents. Si on décortique les sujets sensibles comme le racisme ou l’homophobie, on les comprend mieux, on les accepte plus facilement et on crée une société meilleure. Déconstruire les préjugés et les stéréotypes permet de rassurer les individus sur leur propre identité et de progresser. Selon moi c’est la clef de la réussite et de la cohésion sociale. » En 2014, l’anthropologue crée avec 6 collègues le premier laboratoire de sciences humaines et sociales de l’université de Guyane : migrations, interculturalité et éducation en Amazonie (MINEA). Une unité de recherche qui compte plus de 50 membres aujourd’hui. 

La mission d’Isabelle Hidair-Krivsky à la Direction régionale aux droits des femmes (DRDFE), où elle a été nommée en 2019, s’inscrit dans la continuité de son travail universitaire. Avec son équipe et en collaboration avec les associations locales, elle agit sur trois axes : les violences faites aux femmes et leur accès aux droits, la mixité de l’emploi, la culture de l’égalité.  

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Des étudiants désireux de se dépasser

L’enseignante compte un auditoire d’une centaine d’étudiants, sans oublier les 5 doctorants qu’elle encadre. La plupart sont parents, ont déjà un emploi. Beaucoup arrivent de pays étrangers (Haïti, Brésil, République dominicaine…) et viennent chercher en Guyane un cadre d’études plus stable. « À la différence de la France hexagonale, ici nos étudiants doivent souvent concilier vie familiale, vie professionnelle et vie universitaire. Ils savent pourquoi ils sont là et n’en sont que plus volontaires. » C’est à travers leur motivation qu’Isabelle Hidair-Krivsky perçoit une indéniable recherche d’excellence. « Ils ont des moments de doute mais je ne les lâche pas, je suis là pour les aider à se dépasser. Moi-même, je me suis trouvée à leur place ! Sans l’appui de mon mari, j’aurais sûrement baissé les bras. » 

Récemment auréolée du grade de chevalier de la Légion d’honneur, l’anthropologue guyanaise se dit à la fois flattée et surprise de voir 26 ans de travail de recherche, de vulgarisation et de communication récompensés. « Je n’ai fait que mon métier ! » Au-delà de la reconnaissance personnelle, cette distinction met en lumière, selon elle, les sciences humaines et le rôle des chercheurs. « Mon souhait est que cette décoration aide à mieux faire connaître notre discipline et l’intérêt qu’elle représente pour améliorer notre société. »

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