Comment l’IGUAFLHOR fait rimer agriculture avec futur
« Si je devais choisir, je serais à nouveau agriculteur », déclare Bernard Sinitambirivoutin. Un message fort, engagé et résolument assumé par le président de l’IGUAFLHOR. Rencontre avec une interprofession qui se bat ensemble pour préparer l’avenir. – Photo Lou Denim
La dernière fois que nous avons échangé, nous sortions de la période de confinement. Comment se sont passés les derniers mois pour l’interprofession ?
Bernard Sinitambirivoutin : Le confinement a posé des problématiques d’écoulement des stocks pour tous les agriculteurs. Avec la solidarité de la population, mais aussi l’aide de la Région, nous avons lancé des paniers péyi, ce qui nous a permis de limiter les pertes.
Pourtant, le bilan que nous faisons aujourd’hui reste mitigé car les volumes commercialisés via ce dispositif et les drives que nous avons mis en place au sein des Organisations de producteurs (OP) restent très marginaux par rapport au volume de production hebdomadaire.
Malgré l’enthousiasme général des consommateurs et aussi le nôtre, nous avons été contraints d’arrêter le drive. Mais, je vous entends déjà : comment une action aussi efficace et appréciée des Guadeloupéens n’a-t-elle pas été pérennisée ?
Au-delà des défis organisationnels et logistiques que ces opérations comportent, nous nous sommes rendu compte que nous manquions réellement de diversité dans ces paniers. Une offre comme celle-ci exige la mise en commun de nos productions et une plus grande coordination de la profession pour contenter le client.
Si nous avons dû mettre pour le moment ce projet en stand-by, il n’est pas pour autant abandonné. Mais pour pouvoir faire les choses bien, les bonnes volontés ne suffisent pas, sinon ça aurait déjà été fait.
Nous manquons de moyens structurels pour assurer durablement ce nouveau mode de commercialisation de proximité (plateforme de centralisation de la production, moyens de stockage, et véhicules adaptés…).
« Un tel projet nécessite un vrai plan d’investissement validé par toute la profession, qui doit être ensuite soutenu par la Collectivité régionale et par l’État. »
Nous restons optimistes car nous voyons que sur le plan national, les ventes de proximité et les circuits courts sont de plus en plus plébiscités. Ce qui est de bon ton pour l’avenir.
Nous sommes déjà en novembre. Quel bilan faites-vous de l’année que nous venons de vivre ?
Pour l’IGUAFLHOR, l’année 2020 a été très compliquée. En plus de la crise Covid-19 qui a touché tous les secteurs d’activités, notre profession a souffert d’une longue période de sécheresse. Tous ces éléments n’ont eu de cesse de ralentir les différents projets stratégiques que nous étions en train de pousser tous ensemble.
Mais ne vous inquiétez pas, ces réflexions restent sur la table. Nous n’allons pas y déroger. Nous sommes d’ailleurs très satisfaits du rôle fondamental que l’interprofession joue désormais auprès des institutions publiques et privées.
Notre légitimité nous permet de rassembler les différents acteurs des grandes familles de la production, de l’agro-transformation, de l’approvisionnement et de la distribution autour des axes essentiels à la bonne santé du territoire. En tout état de cause, cette année n’a fait que confirmer ce que veulent les Guadeloupéens.
« La bonne nouvelle dans tout cela, c’est que l’IGUAFLHOR est en capacité de leur offrir ce qu’ils recherchent : des produits frais, locaux, produits à partir d’une agriculture raisonnée et certifiée dont nous pouvons justifier la traçabilité et la sécurité alimentaire. »
Je reviens avec vous sur la longue période de sécheresse. Comment fait-on aujourd’hui pour produire localement quand on manque d’eau ?
La ressource en eau est un élément sur lequel nous avons pris beaucoup de retard ces dernières années. L’eau est paradoxalement essentielle pour penser la pérennité de notre activité.
Nous nous trouvons dans une situation où dès lors que nous sommes touchés, l’impact sur notre équilibre est direct. Pourtant, des alternatives existent et nous commençons à les étudier avec attention.
Nous devons développer des systèmes intelligents pour pouvoir limiter les conséquences d’une sécheresse car chez nous, il y en aura toujours. Je suis convaincu qu’avec des modèles ingénieux qui sont appliqués ailleurs dans le monde, nous pourrions limiter les conséquences d’un cycle météorologique extrême.
« Nous travaillons sur plusieurs stratégies et nous nous efforçons de penser à l’avenir tout en reprenant les bonnes méthodes du passé. »
À l’époque, dans les zones les plus sensibles, les agriculteurs avaient des mares d’eau pour puiser des ressources en cas de besoin. En 2020, nous réfléchissons à des retenues d’eau comme à des systèmes de forage.
Nous n’en sommes encore qu’au stade du listing des solutions, mais nous arriverons prochainement auprès de l’État et de la Collectivité avec des mesures identifiées pour engager des investissements.
Malgré la période très complexe, le moral est-il bon du côté des agriculteurs ?
L’agriculteur, d’une manière générale, est toujours au combat. C’est pour cela que c’est un métier très salutaire. Ce sont des hommes et des femmes qui font preuve d’une détermination sans faille et d’un charisme impressionnants malgré les aléas du quotidien.
On le voit en ce moment. Malgré les difficultés qui sont là et qui s’accumulent, il y a quelque chose qui les anime : c’est l’idée de porter fièrement le défi de la souveraineté alimentaire de la Guadeloupe.
Non seulement de nous assurer une plus grande sécurité, mais aussi de « bien et mieux » nourrir nos populations. Nous avons tous compris que nous avions un atout indéniable : la qualité et la fraicheur de nos produits.
Manger sainement passe par le choix d’une production qui n’a pas fait des milliers de kilomètres pour arriver dans nos assiettes. Si l’on savait nous, d’ores et déjà en tant qu’agriculteurs, qu’il n’y avait rien de mieux que de consommer un produit qui a été cueilli la veille, les consommateurs sont de plus en plus conscients de cette réalité.
L’IGUAFLHOR est le lieu privilégié pour diffuser ces idées. C’est la raison pour laquelle les agriculteurs doivent continuer à garder la tête haute car la production locale est l’avenir de nos territoires. Notre défi est de produire en diversité, qualité et quantité. Et notre agriculture en est capable !
Quels sont justement les engagements que vous souhaitez prendre auprès de la population ?
Ceux que nous avons toujours portés. Les orientations de l’IGUAFLHOR sont principalement axées autour de l’agroécologie. Les quatre OP se sont d’ores et déjà engagées dans des procédures de certification très rigoureuses.
Les démarches les plus courantes rassemblent le bio, l’agri-confiance, l’agriculture HVE (haute valeur environnementale) et la global gap qui s’inscrivent dans une logique de différenciation claire et nette de nos produits par rapport à ce qui est pratiqué dans le conventionnel.
Ce qu’il faut savoir est que nous cherchons toujours à produire tout en respectant les principes écologiques fondamentaux.
En respectant la biodiversité de nos terres, en étant soucieux de la bonne gestion de nos ressources, notamment en eau et en réduisant les intrants et produits phytopharmaceutiques, nous nous engageons à diminuer notre impact sur l’environnement.
« Ce que les Guadeloupéens doivent comprendre, c’est que nous ne faisons pas que produire. Nous sommes aussi des hommes et des femmes écoresponsables qui protégent à la fois la santé des humains et celles de nos terres. »
Lorsque vous vous réunissez à l’IGUAFLHOR, sur quoi portent vos discussions ?
Nous cherchons à rassembler le plus souvent possibles les quatre familles que sont, comme je vous le disais précédemment, la production, l’agro-transformation, l’approvisionnement et la distribution. La production se réunit quasiment toutes les mois.
Nous échangeons sur les problématiques liées au quotidien de chacun pour tenter de trouver des solutions adaptées. L’une des questions que nous soumettons à la réflexion depuis quelques temps est l’amélioration de notre capacité à mieux pénétrer le marché.
Nous sommes conscients que nous devrons mutualiser nos moyens sur le plan de la logistique afin d’améliorer notre compétitivité. Par ailleurs, cette stratégie nous permettrait d’améliorer notre couverture du territoire et d’avoir un meilleur rayonnement.
L’autre aspect important est la fédération des primeurs qui auraient un vrai intérêt à rejoindre notre famille de distributeurs. Les questions de traçabilité vont devenir essentielles dans les prochaines années.
Travailler avec nous, c’est l’assurance de pouvoir fidéliser des clients de plus en plus éclairés et attachés à ces critères. C’est aussi bénéficier de tout le volet promotionnel de l’IGUAFLHOR et l’assurance par conséquent, de devenir une vitrine de la production locale.
Vous parlez des consommateurs. Faire le choix du consommé local, ça passe par quoi ?
Consommer localement est un acte citoyen et solidaire. L’agriculture est un vrai point de départ d’une économie circulaire. Vous savez, une économie locale en bonne santé passe par une agriculture dynamique, et un engagement de la population sur le « consommé local ».
Souvent, on dit que la production locale est plus chère. C’est faux ! Elle est simplement le reflet des spécificités locales et de l’exigence que nous mettons à produire dans les règles imposées.
Il faut que le consommateur se rende compte que nous respectons des normes de qualité et c’est la raison pour laquelle nous devons être fiers de nos agriculteurs. Je vous pose la question : le jour où nous n’aurons pas d’agriculteurs engagés, qu’allons-nous manger ?
Et justement, un agriculteur en Guadeloupe travaille combien d’heures par jour ?
Sincèrement, les heures, on ne les compte plus. Être agriculteur, c’est un métier très engageant. Sur nous, repose une responsabilité que peu de personnes réalisent.
J’aimerais que nous nous rendions davantage compte de l’essentiel de ce métier. C’est un métier difficile et nos agriculteurs font réellement preuve de courage !
Si vous deviez tout refaire, feriez-vous encore le choix de ce métier ?
La réponse est oui. Car même si c’est un métier difficile, c’est le plus beau des métiers.
Quand je me lève le matin, ma joie, c’est d’abord de prendre mon café. Ensuite, c’est de me rendre sur mon exploitation et à ce moment-là, j’entre dans un monde merveilleux qui m’apporte un équilibre que je ne peux pas caractériser par des mots.
Tout ce que je peux vous dire, c’est l’envie de bien faire qui me transporte. Nous sommes tous les jours baignés dans un écosystème qui nous porte, qui nous dépasse. Je crois que si la question avait été posée à n’importe quel agriculteur de l’IGUAFLHOR, il vous aurait répondu la même chose que moi.
« Ce métier m’apporte bien plus qu’une richesse purement économique parce que c’est un métier qui a du sens. »
Que dire aux plus jeunes, à ceux qui hésitent à se lancer ?
Je répète ma question : sans agriculteurs, que pourrions-nous bien devenir et qui serait là pour nous nourrir ? Vous savez, nous continuons d’animer des ateliers, de sensibiliser les plus petits aux goûts de nos produits.
« Sans des jeunes qui prennent la relève, vous aurez beau avoir tous les consommateurs informés, il n’y aurait pas d’avenir assuré. »
Nous devons donc transmettre aux jeunes l’envie de faire ce métier qui se modernise face aux enjeux économiques et environnementaux. Tous les acteurs et particulièrement l’IGUAFLHOR seront présents pour les former, les guider, et les accompagner au démarrage de leurs activités.
C’est important d’être conscient de jouer un rôle pour son pays. L’agriculteur sera toujours un acteur essentiel car en plus de nous faire bien manger, il nourrit nos réflexions pour l’avenir.
IGUAFLHOR FB @iguaflhor |