Armel Le Cléac’h : « Une belle histoire à écrire » à la Route du Rhum 2022
Après deux échecs douloureux, Armel Le Cléac’h signe son retour à la barre du clinquant maxi-trimaran Banque Populaire XI. Venu en Guadeloupe en reconnaissance au mois de mai, le skipper breton, l’un des grands favoris de la course, apprivoise son nouvel allié, un monstre de technologie.
Vous venez de traverser l’Atlantique en équipage, à la barre d’un nouveau géant des mers, le maxi-trimaran Banque Populaire XI. Qu’indique sa carte d’identité ?
On peut dire que c’est la version “V2” du précédent bateau (Banque Populaire IX). Après mon naufrage en 2018, il a fallu en fabriquer un nouveau car l’ancien n’était pas réparable. Celui-ci a été construit entièrement en carbone, un matériau léger mais très robuste et bénéficie des dernières technologies.
Malgré ses 16 tonnes (32 m de long, 23 m de large, 35 m de mât), le bateau peut littéralement “voler” au-dessus de l’eau grâce à ses foils. Un peu comme ce qu’on voit aux Antilles avec les wingfoils et les kitefoils, mais en beaucoup plus imposant ! Après deux ans de travail acharné, nous sommes fiers de le présenter pour la première fois en Guadeloupe, en espérant y revenir dans quelques mois pour l’arrivée de la course.
Comme en 2018, vous êtes le seul skipper de la catégorie reine “Ultim” à venir en reconnaissance, à cinq mois du départ. Pourquoi est-ce si important pour vous ?
C’est un très bon entraînement, d’autant que ce bateau a été mis à l’eau seulement l’année passée, à Lorient. Nous avons participé en novembre à la Transat Jacques Vabre (Le Havre – Martinique, 3e), mais il était important pour nous de venir en Guadeloupe afin de prendre nos repères sur le parcours de La Route du Rhum.
Cette reconnaissance est primordiale, notamment le tour de l’île. On sait que tout peut se jouer là. On navigue sur des machines à fort potentiel mais très complexes, qui demandent beaucoup de concentration et surtout d’anticipation. Il ne faut donc rien laisser au hasard.
« Ces bateaux ont beaucoup progressé en quatre ans. On peut atteindre deux fois la vitesse du vent et parcourir en une journée plus de 800 milles. »
Pensez-vous pouvoir battre le record de Francis Joyon réalisé en 2018 (7 jrs, 14 h, 21’47”) ?
C’est tout à fait possible de mettre 7 jours. Peut-être un peu moins. La météo le décidera. Et il y a toujours des aléas, des problèmes techniques, même si ces bateaux ont beaucoup progressé en quatre ans. On peut atteindre deux fois la vitesse du vent et parcourir en une journée plus de 800 milles (près de 1 500 km, NDLR). On est d’ailleurs monté à 44 nœuds pour aller aux Saintes, c’est incroyable ! La taille de l’Atlantique se réduit de plus en plus ! Nous serons sept Ultim au départ, dont cinq bateaux au potentiel identique. Notre objectif reste avant tout de finir devant les autres.
Parmi la concurrence justement, on ne sait toujours pas si François Gabart prendra le départ. Quel regard portez-vous sur cette affaire (1), désormais aux mains de la justice ?
Au sein de la classe Ultime, nous sommes ouverts à faire des concessions pour que François prenne le départ. Mais l’équité sportive doit être respectée. Et aujourd’hui, il n’y a toujours pas d’accord sur cette équité…
Vous êtes arrivé dans nos eaux pour votre anniversaire, le 11 mai. Une traversée sans encombre en guise de cadeau…
Oui, et j’espère que ça me portera chance pour la course, dans quelques mois ! On n’a pas pu faire un gros gâteau car la cuisine est assez petite, mais les copains m’avaient préparé un petit truc sympa avec un bonbon et une fausse bougie ! Je me souviens avoir déjà remporté deux Transat AG2R (2004, 2010) en arrivant à Saint-Barth’ le jour de mon anniversaire. Ce sont des petits signes du destin effectivement.
Après vos deux derniers échecs sur La Route du Rhum (2), on vous sent très prudent aujourd’hui…
Disons que je suis conscient de la difficulté de cette course. Les deux dernières éditions ont été très douloureuses pour moi.
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Vous avez vécu un chavirage qui aurait pu vous coûter la vie en 2018. Pourquoi décider de repartir au combat ?
J’ai d’abord essayé de comprendre pourquoi le bateau s’était ouvert en deux en quelques secondes et surtout si j’avais commis une erreur. Ce n’était pas le cas, ce qui m’a permis de m’ôter le poids de la culpabilité. Il m’a quand même fallu du temps car je ne suis vraiment pas passé loin du drame. Je suis retourné aux sources, sur des bateaux plus petits, moins rapides. Mais je suis quelqu’un de persévérant. Quand j’ai su que Banque Populaire me réitérait sa confiance, que ma famille m’apportait encore son soutien, malgré le traumatisme, j’ai décidé d’y retourner. Tous les voyants étaient au vert. Je sais aussi que je n’aurais pas d’autres opportunités dans ma vie. Il y a une belle histoire à écrire.
« Je suis quelqu’un de persévérant. Quand j’ai su que Banque Populaire me réitérait sa confiance, que ma famille m’apportait encore son soutien, malgré le traumatisme, j’ai décidé d’y retourner. »
Vous avez passé une semaine en Guadeloupe. Est-ce aussi un moyen de vous imprégner des bonnes ondes de notre archipel ?
Oui, c’est un vrai plaisir de retrouver la ferveur de cette île, liée depuis toujours à l’histoire de La Route du Rhum. Je me souviens avoir suivi à la télé les arrivées de Florence Arthaud (1990), de Laurent Bourgnon (1994, 1998) ou de Loïck Peyron (2014). J’ai beaucoup d’images chaleureuses en tête, je suis très attaché à la Guadeloupe.
J’ai d’ailleurs profité de ma semaine pour échanger avec les élèves d’une école primaire des Abymes, très intéressés par la course. J’ai aussi passé du bon temps au golf à Saint-François et à Petite-Terre avec mon équipe. On a tous hâte d’être à l’arrivée au mois de novembre. On sent qu’après ces deux années difficiles, tout le monde a envie de profiter d’une belle fête.
(1) Le bateau de François Gabart SVR Lazartigue fait polémique, accusé de ne pas être conforme au règlement de la Classe Ultime.
(2) En 2014, Armel Le Cléac’h s’était blessé à une main, le privant du départ (Loïck Peyron, vainqueur sur Banque Populaire VII, l’avait remplacé au dernier moment, NDLR).
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