Santé mentale. Augmentation de l’anxiété, angoisses et difficultés à se projeter dans l’avenir sont les conséquences directes de l’éloignement social dû aux différentes vagues de confinement. Pour Audrey Mene Garue, psychologue en Unité Médico-Judiciaire au Centre Hospitalier de Cayenne et Fabienne Coqueran, psychologue en libéral engagée aux côtés de l’Association d’aide aux victimes d’infractions pénales (Aavip 973), il faudra faire preuve d’une vigilance accrue en matière de pathologies mentales.

Avez-vous observé une peur du reconfinement comme il y a pu en avoir dans l’Hexagone ? 

Fabienne Coqueran : Le confinement en Guyane a été particulièrement long puisque nous avons cumulé le confinement total dès le 16 mars 2020, suivi très rapidement d’un confinement partiel strict de juin à août 2020. Cette situation a généré un épuisement global.

Les écoles et lycées n’ont pas réouvert avant septembre 2020. Le télétravail, l’école à la maison et les vacances à la maison ont été longs et difficiles pour beaucoup de Guyanais. Les restaurants et cinéma ont réouvert, il y a peu.

L’activité “normale” reprend depuis quelques semaines à peine. Difficile d’imaginer devoir être à nouveau confinés. Bien sûr, un reconfinement inquiète et fait peur.

« On observe aussi de la colère, de la résignation et l’envie que cette situation s’arrête pour que l’on puisse retrouver nos proches hors du territoire guyanais. »

Ce qui est toujours difficile puisque la Guyane se trouve décalée en termes de période de confinement. Dans l’Hexagone, l’été a permis des retrouvailles qui n’ont pas été possibles pour grand nombre de Guyanais. 

Comment la notion d’incertitude est-elle vécue sur le plan psychologique ? 

Audrey Mene-Garue : De manière générale, l’incertitude est assez mal vécue. D’où le fait que l’on retrouve tous ces symptômes anxio-dépressifs : ils nous amènent à nous replier sur nous-mêmes, ce qui entretient l’angoisse.

« Le vécu de l’incertitude sera lié à nos capacités d’adaptation : plus on a du mal à s’adapter, plus l’incertitude est difficile à vivre et supporter. »

L’éloignement social est-il difficile à vivre chez tous les individus ? 

FC : L’homme est un être social. L’éloignement social n’est pas dans sa nature. Et même si certains, plus introvertis, ont vécu ou vivront plus facilement cette période de repli sur soi, propice à la créativité, nous ne sommes pas faits pour être éloignés des autres.

Cet épisode de pandémie nous amène à percevoir le contact humain comme « à risque » pour nous et nos proches. L’autre devient un « risque potentiel », mais nous aussi. Et cette difficulté-là peut générer beaucoup d’angoisse, de culpabilité, mais aussi des décompensations psychiques.

« L’éloignement social est fortement lié à l’isolement vécu et donc très douloureux pour tout un chacun dans des degrés divers. »

Fabienne Coqueran

Quels sont les symptômes les plus communs ? 

FC : L’anxiété, l’angoisse d’être malade ou de rendre malades les autres, d’entraîner la mort des autres ou sa propre mort. 

« On va retrouver les symptômes sur le versant anxio-dépressif : un ennui exacerbé, des migraines et maux de tête, une extrême fatigue, beaucoup de stress et d’angoisse. »

Audrey Mene-Garue

Le profil des patients a-t-il changé ? Quels sont les conseils pour ceux qui peinent à exprimer leurs angoisses ? 

FC : On a vu une augmentation des violences intrafamiliales que ça soit entre les parents et les enfants ou à l’intérieur du couple. Mais aussi, une exacerbation des fragilités psychiques déjà présentes chez des personnes malades.

Il ne faut pas hésiter à appeler un psychologue ! ou un autre thérapeute de la relation d’aide sur les domaines du bien-être. Il est important de pouvoir prendre soin de soi surtout dans ces périodes difficiles !

Peut-on rester mobilisé en télétravail ? 

FC : Tout dépend des conditions dans lesquelles s’effectue le télétravail. Si notre travail est source d’épanouissement, que nous avons un cadre au domicile qui nous est agréable et la capacité de poser des limites claires entre travail et vie personnelle, il est possible de rester mobilisé.

Mais à l’inverse, si le domicile n’a pas d’espace propice à un travail serein, qu’on a des enfants en bas âge qui doivent être gardés à la maison ou des difficultés relationnelles au sein de notre couple ou avec nos enfants, des difficultés à s’arrêter de travailler et qu’ainsi on s’épuise à la tâche : le télétravail peut être une expérience particulièrement difficile. 

AMG : Tout dépend aussi du domaine dans lequel on travaille : certaines professions sont totalement inadaptées au télétravail (par exemple esthéticienne), là ou d’autres professions peuvent s’adapter (notamment la relation d’aide).

« Cela dépend aussi, et là encore, de nos capacités d’adaptation vis-à-vis des nouveaux outils à mettre en place et à utiliser. »

Comment l’employeur peut-il aider à affronter cet éloignement social ?

AMG : L’employeur pourrait aider en mettant vraiment à disposition tous les outils de télécommunication nécessaire à la mise en place du télétravail. Cependant, on a pu constater sur le territoire guyanais que tous les employeurs n’ont pas pu avoir les moyens de mettre à disposition ces outils nécessaires, que ça soit dans le public ou dans le privé.  

L’employeur peut aussi aider en rappelant et en adaptant le cadre de travail : objectif, attentes, résultats, fonction de cette situation de télétravail (respect des horaires, flexibilité).

Cependant, que ce soit dans le privé ou le public, on constate beaucoup de freins à sa mise en place, du fait que le télétravail ne fait pas partie de notre culture-travail. Cela serait à vraiment développer et les esprits gagneraient à réfléchir à ces nouvelles formes de travail.

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